New York, 2069. Les mégacorporations telles qu'Eurocorp, celle pour laquelle travaille notre héros Miles Kilo, ont à présent beaucoup plus de pouvoir que les gouvernements. Elles disposent de leurs propres armes, armées, et agents... Kilo est l'un d'entre eux. Chargé de protéger les secrets industriels d'Eurocorp, autant que de voler ceux des autres mégacorporations, Kilo est équipé d'une puce DART de 6e génération, lui permettant de s'interfacer avec le Dataverse (l'Internet du futur), et de pirater équipements et terminaux, mais aussi humains portant une puce de qualité inférieure. Verre, béton, buildings gigantesques, projecteurs holographiques et interfaces à la Minority Report du côté des riches, bidons-villes, maladies et dépendances diverses dans la ville-basse : pour l'instant, pas de doute on est en plein Cyberpunk.

Le bon Cyberpunk, et le médiocre Cyberpunk

Le problème, c'est que pour faire une bonne intrigue Cyberpunk, il faut une chouette conspiration (internationale). Lorsque vient le moment du générique de fin de Syndicate, on a bien l'impression d'avoir suivi une histoire d'idéologie en forme d'affrontement entre humanistes se résolvant au terrorisme et esclavagistes modernes ne pensant qu'au pognon, mais sans vraiment qu'on ait été surpris de quoi que ce soit tout au long du chemin. Le retournement de veste est attendu, le vilain patron corporatiste est bien celui qu'on croyait, même le boss final ne trahit pas nos attentes, bref, on suit, tout au long des 20 chapitres de ce scénario (compter environ 8 heures de jeu), les bottes de Kilo sans jamais que ses pas, et ses galères, ne parviennent à peser bien lourd dans la balance de notre intérêt (Kilo, balance... non ? Vous avez raison). Heureusement, la mise en scène d'un assez bon niveau offre des scènes d'exposition à la Starbreeze plutôt soignées (petits événements se déroulant sous nos yeux et participant à l'immersion), et l'excellent accent porté sur le body-awareness (la vision qu'a le joueur du corps de son personnage à tout moment) rehaussent la narration. Côté atmosphère, si la réalisation visuelle et sonore, de grande qualité, et des petits détails bien vus (réalité augmentée, fichiers à récupérer, quelques tags ici et là, etc.) permettent de deviner que des thèmes comme le transhumanisme ou l'avidité corporatiste sous-tendent vaguement l'univers, il faudra se contenter de son imagination pour espérer y voir quelque chose de profond, ou même d'intéressant. Fort heureusement, si la qualité d'un FPS d'aujourd'hui se résumait uniquement à son scénario, on serait bien mal barrés.

Piratins

Si Syndicate se contente d'être un FPS linéaire relativement classique, avec quelques séquences ça et là pour varier un peu le gameplay de shooting (sur un train lancé à vive allure face à des motos anti-grav, par exemple), le principal intérêt de son game design réside dans la capacité qu'aura Kilo de pirater divers trucs. Des systèmes, d'abord, pour par exemple modifier la configuration d'une salle pendant une fusillade en rabattant ou escamotant des couvertures actionnées par l'informatique d'un lieu, et ensuite, petit à petit, les adversaires pucés, en apprenant trois compétences bien pratiques : contre-feu, suicide et persuasion. La première permet d'enrayer temporairement l'arme de l'adversaire, tout en le rendant plus vulnérable à nos tirs, la seconde le fait exploser au beau milieu de ses coéquipiers, et la dernière le retourne contre eux. Pour pirater, il suffit d'avoir en visuel la cible, puis de laisser appuyé le bumper gauche jusqu'à remplir suffisamment la jauge de piratage. En réussissant un timing parfait, on obtient un bonus de rechargement de ces trois capacités, mais elles se rechargent principalement au combat, à chaque ennemi abattu. Cette possibilité influe sur le gameplay à deux titres : d'une part elle le teinte d'une petite dimension stratégique (quand et quelle capacité utiliser), et d'autre part, elle oblige le joueur à rester attentif et à entreprendre plusieurs actions à la fois, ou alors avec le bon timing. En effet, quelques adversaires, humains ou drones, doivent être piratés avant de pouvoir être abattus, ou alors, pour espérer se tirer de certaines fusillades, il faut agir sur le décor au bon moment. En particulier, les boss demanderont une attention renforcée, d'autant qu'ils sont assez costauds. Voire trop, parfois, ou plus précisément dans un ordre inadéquat par rapport à la courbe de difficulté globale du jeu. Le premier par exemple est beaucoup plus difficile à vaincre que l'avant dernier... Va comprendre, Charles. Mais, globalement, ce petit élément de gameplay relativement simple donne du piment aux affrontements.

StanDART

Il faut également reconnaître que Syndicate, en plus de sa réalisation visuelle et sonore réussie, offre un feeling des armes plutôt jouissif, et que ces dernières, tout en restant relativement classiques, s'avèrent réussies. Du snipe au lance-flammes, en passant par le fusil gauss, divers fusils d'assaut, un bon vieux pompeux ou des pistolets et revolvers, les armes proposent souvent deux modes de tir différents, un look réussi, et une impression de recul bien rendue. Outre la réussite du pur gameplay de shooting, l'incorporation de la "vision DART", la vision de la puce de Kilo, permet de ralentir le temps, mieux isoler les ennemis grâce à leur signature électronique visible au travers des murs, et surtout se sortir d'une situation qui tourne mal. On la déclenche d'une pression sur le bumper droit, et elle se recharge naturellement au bout d'un certain temps, comme la vie d'ailleurs, à la Halo. Quelques séquences utilisent le piratage pour de petits puzzles (détourner le courant pour réalimenter un ascenseur par exemple), tandis que la vision DART permet aussi de mieux affronter des adversaires disposant d'un camouflage optique. Et c'est tant mieux, car en termes de difficulté, Syndicate opte pour une approche plus oldschool, et plutôt brutale. Les ennemis ne sont pas forcément très futés, c'est dommage, mais ils sont plutôt mobiles, et surtout, très bien équipés, très bons viseurs, et presque toujours en supériorité numérique. Si la visée propose une aide (désactivable) à la Call of Duty (quand on épaule près d'une cible, le réticule se place automatiquement dessus), on passera tout de même l'essentiel de notre temps à tenter, le plus souvent vainement, de trouver un endroit offrant une couverture à peu près valable. Foncer tête baissée comme dans un Call of ne marchera pas, même si l'efficacité du corps à corps (visuellement très fort au travers du body-awareness réussi du titre) permettra parfois de se sortir d'un mauvais pas.

Défilé de gabardines

A chaque boss éliminé, on récupérera une puce d'où extraire un peu de technologie à notre avantage ; en jeu, cela se traduira par l'achat de "talents" sur une grille, lesquels offriront des bonus divers selon nos choix (vie, dommages, durée du DART, capacité à recharger plus rapidement les compétences de piratage, etc.). Cette progression du personnage est également présente en multijoueur coopératif, l'autre pan du jeu, dont le fun n'est pas négligeable. En compagnie de 3 autres joueurs, un ensemble de 9 missions relativement simples permettent de prolonger l'expérience, tout en reprenant l'exigence du solo. Il faudra impérativement s'organiser correctement, utiliser les capacités liées à la classe choisie, et coordonner les actions pour traverser les vagues d'ennemis et parvenir aux objectifs. Les agents peuvent se soigner, se "buffer", et se "rebooter" (i.e. se ressusciter) les uns les autres. Le grand problème de cette partie du game design, c'est que les puces à récupérer pour s'améliorer ne sont pas démultipliées entre les joueurs : premier arrivé, premier servi. Du coup, mieux vaut jouer entre potes courtois. Bref, le coop fonctionne bien, même si une fois les stratégies découvertes, il perd assez vite de son intérêt.

Au final, Syndicate n'est pas au niveau de certaines des meilleurs productions passées du studio. Il reste bourré de détails soignés et agréables, de qualités propres, mais aussi de défauts ou d'éléments qui auraient mérité d'être plus développés. Reste un FPS relativement solide pour les gros bouffeurs du genre, qui offre surtout aux joueurs chevronnés l'opportunité de briller grâce à leur capacité à faire plusieurs choses à la fois plutôt que de simplement appuyer sur la gâchette, et aux fans de cyberpunk une petit dose de plaisir, surtout visuel, dans un univers globalement bien retranscrit mais pas assez creusé. Avec un vrai scénario, il aurait vraiment pu convaincre bien plus.