Tales of La Fontaine

Pourquoi la langue est-elle si importante ? Après enquête, sur bon nombre de forums, des joueurs déclarent ne pas envisager une seule seconde un achat si le jeu n'est pas en français à l'écran. Certains le font d'ailleurs dans un français visiblement approximatif, ce qui ajoute un peu d'ironie à la complainte. Pourtant, l'offre actuelle est à des années-lumières de ces générations de RPG 8 et 16 bit cultes qui arrivaient avec leur documentation en noir et blanc. Pire encore, comme on ne savait pas vraiment où l'on mettait les pieds, on offrait souvent un guide-book avec le jeu, parfois de manière justifiée pour éviter aux premiers joueurs du genre une crise d'urticaire devant les donjons de Phantasy Star II. Et glissons sur les plus téméraires (ou fous, je suis de ceux-là) qui sont allés jusqu'à apprendre le japonais pour les avoir en import. Mais l'anglais... À l'heure des DVD multilingues et des séries chopées directement après diffusion... est-ce vraiment un problème ? L'idéal, c'est d'avoir le choix. Mais ça, même pas dans nos rêves de filles. Tel qu'il est vendu en France, Tales of The Abyss est en anglais, de la tête aux pieds, voilà. A l'ancienne.

Remember, 2005

Entre sa sortie originelle sur PlayStation 2 et ce remake 3DS, il s'en est écoulé du temps. Je me suis donc replongé dans ce que j'écrivais à son sujet, il y a 6 ans. Décembre 05, le mois du premier Yakuza, où la nouvelle console de Microsoft, la 360 s'apprêtait à envahir le marché japonais (rire), une époque où Monster Hunter n'avait pas encore explosé. Tales of The Abyss, je le vannais gentiment pour son manque d'originalité, quelques personnages crispants et surtout un protagoniste principal irritant au possible, une espèce de parvenu d'apparence un peu chouinard. Mais c'est les temps de chargement qui étaient à fusiller sur PlayStation 2.

La lutte des classes

Flashforward. Le même jeu en mieux débarque, mais sur 3DS. Et sans temps de chargement. Après quelques heures passées à me gratter le menton en me disant "mais bon sang, ce jeu me dit quelque chose", les morceaux du puzzle se sont recollés. C'est mieux que la première fois, y compris pour ce héros, Luke Fon Fabre, finalement pas si pénible que ça. C'est un garçon gâté, certes, un proto-sarkoziste à la sauce héroic-fantasy mais, circonstance atténuante, il souffre d'un lourd trauma à cause d'un kidnapping. Conséquence, ce fanfaron est amnésique. La venue de Tear Grants et leur évasion téléportée va être un choc pour lui. Neuilly-sa-mère à l'envers, Luke va découvrir qu'il faut payer pour s'acheter des trucs ou pire, qu'il faut se battre pour se défendre. Commence alors un difficile apprentissage de la vie et une marche inéluctable vers la vérité. Il est sans contestation possible le plus chiraquien de tous les héros de Tales of.

Comme du bon vin

Résultat, encore plus de plaisir qu'il y a six ans. De plus, Tales of The Abyss entre dans la catégorie des RPG dits "à twists", ceux qui réservent de grosses surprises. Et ceux-là ne sont pas assez nombreux à se faire traduire, même en anglais. Les combats se laissent littéralement porter par le FR-LMBS. Soit en bon engrish, le "Flex Range Linear Motion Battle System", et bon sang qu'on les aime ces systèmes aux noms techniques absurdes qui décrivent peu ou prou la même chose. A se demander si Namco ne dispose pas d'une machine qui compose automatiquement des blases. Mais trêve de plaisanteries, il est très correct, ce système, puisqu'il reprend essentiellement celui des deux Tales of Symphonia. Depuis, on a vu plus dynamique ou plus impressionnant et là on pense à ce héros-médecin de Tales of Xillia qui se bat à mains nues, tout en aerial combo.

Le gardien du temple

Avec sa bande-son cosignée par le vétéran Motoi Sakuraba et des persos conçus par le chara-designer historique de la saga, le studio Tales of (dissout cette année pour être réabsorbé par Namco Bandai) ne s'était pas trompé. Ils sont presque devenus un sceau de conformité. C'est là toute l'ironie d'une saga qui, à force d'abnégation avec parfois avec plus d'un épisode par an, s'est transformée en une espèce de garantie "old-school". Elle qui a bousculé les concurrents il y a 15 ans en appliquant de l'action à un genre aussi codifié que le RPG japonais, est désormais devenue un bastion. Les concurrents sont en perdition. Final Fantasy faisant désormais du blockbuster en s'y cassant les dents tandis que Dragon Quest se la joue RPG participatif, c'est Namco qui a pris la direction du créneau, d'où le succès massif du dernier épisode en date, Tales of Xillia sur PS3 en 2011. On aura vécu assez longtemps pour voir les Tales of devenir littéralement la référence du RPG japonais néo-classique.

Pourquoi celui-là plutôt qu'un autre ? Tales of The Abyss ne rentre pourtant pas dans le "top-tier" de la série, mais il a droit à une deuxième chance sur 3DS. Ce n'est pas idiot car pour beaucoup de gens, ce sera une première. De toute évidence, il a plutôt bien vieilli. En 2011, on appréciera cette connivence néo old-school qu'Abyss entretient avec le joueur qui n'essayera pas de se spoiler sur Wikipedia. Sans rire, ne le faites pas. Du plaisir calibré d'une série qui n'a d'autres prétentions que d'offrir de l'aventure, peinard, sur place ou à emporter. Ah oui, il n'est qu'en anglais. Maintenant, tout le monde est au courant.