"Pour Raymond Bryce, cette journée va vraiment être un enfer !" Voici le pitch tellement never before seen de ce jeu où les catastrophes s'accumulent à un rythme trépidant. Ancien marine et affublé d'un nom ridicule, Ray est spécialiste en sauvetages. Lors du prologue, il ne peut cependant éviter la disparition de son meilleur ami... un ami qui lui confie la mission de s'occuper de sa sœur cadette. Trop marqué par l'événement, Ray n'y parviendra pas. Jusqu'au jour où une milice rebelle, les SURGE, kidnappe un scientifique et son associée... qui, comme de par hasard, s'avèrera être la fameuse sœur ! Ta-ta-ta-taaaa ! S'en suit une avalanche de catastrophes naturelles et de menaces nucléaires liées aux terroristes. Ray, forcément, gravite dans l'œil du cyclone. Voilà, vous pouvez apposer le tampon série B. Mais comme (malheureusement), les joueurs sont habitués à ne pas juger un titre à la seule lecture de son scénario, l'avenir de Disaster n'était pas encore embrumé...

Gesticuler n'est pas jouer

Original, convivial, différent, attirant... Le concept de la Wii a tout pour séduire. Goûter à de nouvelles interactions, brandir le combo Wiimote/Nunchuk pour mieux s'immerger dans l'aventure, autant d'aspects qui pourraient renforcer l'impact ludique des meilleures productions calibrées Action ! Seul hic, pour le moment, ces interactions se transforment le plus souvent en simples gimmicks. Et gesticuler n'est pas forcément jouer. Depuis quelques mois maintenant, les gamers sont d'ailleurs en train d'en faire l'amère expérience, eux qui doivent souvent attendre de longues périodes entre deux jeux leur étant destiné. Autant dire que Disaster : Day of Crisis était attendu. Pourtant il ne faudra que quelques instants pour comprendre, avec un zeste d'étonnement, qu'au lieu de l'expérience hautement immersive qu'on était en droit d'attendre de Monolith, le titre opte pour un virage arcade et action ambiance vieille époque. Succession de catastrophes, de phases de gameplay et d'incohérences stylistiques (éclater d'énormes rochers à mains nues, sauver des gens sans le matériel adéquat, dévorer des burgers plus gros que votre tête, etc) s'enchaînent ainsi sans qu'on se sente vraiment concernés. On joue. Oui. De là à dire qu'on ressent quelque chose ou, pire, qu'on s'amuse, c'est autre chose... Car si l'ensemble n'est pas non plus catastrophique, il demeure bien moyen. Tout est alors question de perspectives. Nous sommes fin 2008. Nous sommes sur Wii. Des idées, Disaster en a à revendre (une manipulation pour chaque type de sauvetage, courir sous la fumée pour ne pas étouffer, nettoyer vos poumons par de larges respirations...). De grandes idées ? Pas forcément non plus. Mais que dire du fiasco technique ? Visuel comme sonore. Un désastre. Rien que le bruit des pas de Raymond peut rendre fou. Mais vraiment. "Tic-tic-tic-tic". Un métronome glissé dans chaque pied. Pire que Resident Evil premier du nom il y a maintenant, allez, 12 ans ! A aucun moment vous ne percevrez vraiment le caractère d'urgence. Jamais vous n'aurez d'empathie pour ce héros bodybuildé du nom de Raymond. Une succession de courtes séquences, de mini-jeux, voilà le portrait de cette aventure qui aurait mérité tellement plus d'ampleur pour réellement séduire...

Une question de public

Disaster n'est tout simplement pas conçu pour les joueurs de 25/30 ans, ceux qui écument les jeux d'action depuis des années. Ceux qui en connaissent un minimum les codes et attendent aujourd'hui d'un jeu vidéo qu'il s'approche plus de "l'expérience numérique" que du petit divertissement sans souci de cohérence, celui qu'on picore en pointillé. Dans Disaster, tout est segmenté, découpé, ré-expliqué. Malgré la thématique pourtant propice à de réelles surprises, ici, pas de grand "rollercoaster" un rien étouffant où la survie aurait été exacerbée. Non. Ici, Raymond alterne entre phases d'exploration aux animations éblouissantes de rigidité, séquences de tirs mollassonnes à la Time Crisis, et sauvetages interactifs. Pas de panique. Pas de grosses surprises non plus, car tout est savamment étudié pour vous sortir du cadre anxiogène des situations. Un immeuble de 30 étages s'effondre et risque de vous écraser ? Rassurez-vous, pas de Quick Time Event à dégainer en urgence. Oh non. Un freeze de l'écran, et un joli décompte. 3... 2... 1... et c'est à vous d'agiter la Wiimote et le Nunchuk. La catastrophe placée derrière le prisme de l'accessibilité, du rappel permanent des règles... Idéal pour faire s'évanouir l'immersion comme un nuage de fumée qu'on espérait tellement plus âpre.

C'est la crise !

Le jeu gamer de Noël de la Wii se révèle donc n'être rien d'autre qu'un petit jeu d'action pop-cornisé. On peut y jouer en grignotant, sans trop d'implication. Tous les ingrédients sont là. Des cinématiques aussi héroïques que mal numérisées. Un déluge d'utilisation du combo Wiimote/Nunchuk, certains bien pensés (respect d'un timing à plusieurs, alternance de pressions et de mouvements) et d'autres surréalistes : "toi aussi nettoie des blessures avec de l'eau... alors que tu n'en as pas sur toi" ! Bon. Ok. N'oublions pas aussi les caméras mal calées ou les phases de shoot rappelant ni plus, ni moins, Time Crisis. Mais le Time Crisis d'il y a 10 ans hein. Ici les ennemis ne cherchent pas à vous prendre à revers. Du tir au pigeon basique. Je me cache. Je zoom. Je tire. Pan t'es mort ! Je me recache. Je recharge. Aucune IA. Aucune trouvaille. Aucune surprise hormis celui des sons d'un cheap effarant (le bruit du fusil, un régal de bruitage). Comment ne pas avoir l'impression de voir et de jouer à un titre d'une autre époque ?

Au bout du tunnel

Il est cependant impossible de reprocher à Disaster de manquer d'un vrai sens du rythme. Car c'est un fait, l'action ne s'arrête jamais. La richesse des nombreuses séquences interactives joue aussi en sa faveur. Malgré son scénario cliché, sa réalisation abyssale (texture fades, modélisations approximatives, ralentissements, caméras à l'ouest) et son découpage tellement prévisible, Disaster sait aussi ménager quelques bons moments. Les séquences de conduite surprennent agréablement, la radio dans la Wiimote (comme le téléphone de No More Heroes) renforce un chouia l'ambiance, et il faut parfois bien chercher pour trouver les derniers survivants à secourir.

Mais soyons clair. Il y a 10 ans, Disaster serait passé pour un bon jeu, pas cultissime, mais gorgé de bonnes idées. Le problème c'est qu'en 10 ans, le niveau général des productions a explosé... ringardisant Disaster en un souffle. Dépassé dans la forme, mais pire, dépassé dans le fond. Car nombreux semblent oublier qu'il ne suffit pas à un jeu Wii de proposer moult gesticulations à la Wiimote pour en faire un jeu hautement interactif... ou immersif. Reste néanmoins un dilemme. Si vous n'avez qu'une Wii, l'offre en titres d'action est si limitée que, par défaut, Disaster se montre plutôt honnête. Moyen plus. Mais l'absence d'offre justifie-t-il de revoir sa manière de considérer une expérience ? Juge-t-on par comparaison ? Je ne le pense pas, et surtout je ne le souhaite pas. A mes yeux, Disaster restera donc une amère déception, une expérience bien trop contrastée pour faire de lui un titre fondamentalement recommandable. Les défauts grèvent ainsi un plaisir qui surnage par touches sporadiques. Ceux qui espéraient trouver là leur grand titre gamer de fin d'année sur Wii en seront pour leur frais. Certes ludique, voire arcade, mais trop peu ambitieux en matière d'immersion et de sensations, comme en mécaniques de gameplay, ce Day of Crisis fait dans le service minimum.

Ainsi pour ceux que l'alléchant concept de catastrophes naturelles en jeu vidéo attire, espérons maintenant qu'I Am Alive, projet au pitch similaire développé pour le compte d'UbiSoft, n'oublie pas l'essentiel : la survie n'est pas fondamentalement un "jeu"... la survie est une urgence... un réflexe viscéral... une atmosphère... un défi personnel.

COROLLAIRE

Pour conclure cette critique, j'aimerai vous faire part d'une réflexion personnelle. J'ai beaucoup réfléchi à comment aborder ce jeu. Cette critique. Car initialement, je le confesse, j'avais envie d'y croire. D'ailleurs en se limitant à la ludothèque de la Wii, Disaster aurait pu récolter une note sensiblement meilleure. Mais j'ai réalisé que ce serait justement faire injure à la Wii. La considérer définitivement comme une console à part, voire une "sous-console" dont finalement on attendrait pas grand-chose en terme d'expérience vidéo-ludique (au-delà de bouger ses mains). C'est tout l'inverse que je pense. Je suis persuadé que la Wii peut nous surprendre. Mais le problème est ailleurs et se montre finalement plus grave : les développeurs désirent-ils vraiment nous surprendre en profondeur sur cette console ? Techniquement, la Wii équivaut, nous a-t-on dit, à 2 GameCube. Ok. Dans ce cas, nous serions au minimum en droit de voir des jeux d'action à la beauté approchant celle d'un Resident Evil 4. Au lieu de ça, on se trouve des années en arrière, époque des modélisations coupées à la serpe, des textures baveuses, des jeux artistiquement et techniquement vite faits. Je suis désolé, mais c'est un fait, dans le cas présent qu'est Disaster. Sous couvert d'offrir une "nouvelle prise en main", l'artistique passe à la trappe à l'exception de trop rares jeux (No More Heroes, le prochain Madworld, Okami...). Le colossal succès grand public de la Wii ne serait-il donc pas en train de faire sombrer les projets liés à cette console dans la facilité ? Dans l'impression que ce nouveau public ne verra pas la différence, trop peu éduqué qu'il est ? Que le public de la Wii se fiche des grands jeux d'aventure ? Des épopées où fond et forme cohabitent réellement ?

J'ai envie de jouer sur Wii. Comme beaucoup de joueurs d'ailleurs. Mais je n'y arrive pas. Je n'y arrive plus. Qu'adviendra-t-il si les "casuals" finissent par se désintéresser de la Wii un beau jour ? Ne faut-il pas profiter de ces nouveaux arrivants pour leur montrer la richesse du jeu vidéo ? Eduquer leurs goûts ludiques. Leur montrer le meilleur... et ne pas se contenter de concevoir des jeux vite faits, ayant 10 ans de retard sur ce que le jeu vidéo peut produire aujourd'hui, en 2008. La prise de conscience est d'importance. Car l'ouverture du jeu vidéo est saine... sauf si elle n'engendre qu'un grand retour en arrière artistique, technique, narratif, immersif. La Wii peut faire bien mieux que ça.