Être invité à découvrir un "jeu de stratégie" encore non annoncé, avant qu'il ne soit officialisé, c'est plutôt rare. Ça soulève la curiosité, en tout cas. Mais après avoir découvert R.U.S.E., on peut comprendre que les développeurs d'Eugen Systems et Ubisoft aient souhaité rester le plus discret possible : le jeu chamboule tellement les habitudes en introduisant une approche radicalement différente à de nombreux points de vue, qu'il eût été dommage d'en dévoiler trop en amont de sa sortie, prévue cette année.

La stratégie "pure"

"Avec R.U.S.E., on veut vraiment plonger le joueur au cœur de la stratégie," nous explique Alexis Le Dressay, Directeur Créatif. "Il s'agit de fournir l'expérience de stratégie la plus pure possible. Quand on joue un stratège, une grande part du succès repose sur les services de renseignements, qu'il s'agisse de tirer le meilleur des siens ou de tromper ceux de l'ennemi". Et tout est là. Comme le suggère habilement le trailer filmé que vous pouvez visionner sur cette page, R.U.S.E. incorpore des éléments de bluff et de jeu d'information/désinformation absolument cruciaux. Mais ce n'est tout : en jouant sur un moteur propriétaire (le IRISZOOM Engine), il se joue autant au cœur de la bataille, qu'avec une vision très reculée sur les immenses (que dis-je, gigantesques) cartes, pour des batailles de très grande envergure et un angle aussi stratégique que tactique. Au degré de zoom le plus reculé, on est dans une pièce à contempler une large table sur laquelle une carte tactique de toute la région, divisée en secteurs, sert au stratège pour une vue d'ensemble et la mise en pratique de plans de désinformation ou d'opérations de renseignement. Les unités y sont représentées sous forme de piles de jetons (elles ne seraient pas visibles individuellement à une telle hauteur). Plus on zoome (à la Black & White, c'est-à-dire sans "étape" discernable), plus ces piles se séparent et deviennent des illustrations moins symboliques et plus précises, jusqu'à ce que le nez collé au sol, chaque soldat soit représenté comme dans un STR "classique". La technologie fonctionne à merveille, et impressionne vraiment.

Malin comme le goupil

R.U.S.E. ne joue pas la carte du jeu à micro-management centré sur le réflexe et les batailles tactiques avec 200 ordres / minute. C'est un jeu de stratégie temps réel, certes, mais qui, en se focalisant réellement sur la tâche d'un stratège, et ce qu'il est censé connaître, ne s'encombre pas des piliers traditionnels des Command & Conquer et autres Warcraft. Ici, on réfléchit, on prend son temps, on étudie le terrain, on planifie dans la longueur. La meilleure illustration de cette approche, au-delà du moteur 3D qui permet de jouer à une échelle suffisante pour penser grand, ce sont les Ruses qui donnent son nom au jeu. Ces sortes de "pouvoirs" peuvent être utilisés sur des secteurs de la carte générale, pour mettre en place de véritables plans de fourbes. Décrypter les messages ennemis pour avoir leurs positions et leurs ordres à l'avance, utiliser de faux chars en carton pour détourner l'attention de l'ennemi, passer en silence radio pour contourner les lignes adverses sans se faire repérer, construire une fausse base menaçante pour attirer des troupes pendant que la vraie s'établit ailleurs, mêler un espion à un bataillon ennemi pour intercepter communications et autres, voici quelques exemples des cartes que le stratège pourra jouer pour prendre l'avantage en amont de la bataille elle-même... ou qu'on pourra lui jouer, et l'IA ne s'en prive pas. À contrario, un stratège est aussi censé savoir de quoi ses troupes sont faites par rapport à l'ennemi : au niveau de la gestion des batailles, les unités prennent certaines décisions d'elles-mêmes, à commencer par sauver leur peau si quelque chose tourne mal, sans avoir besoin nécessairement de les surveiller tout le temps. De même, lorsque le stratège considère une attaque, la cible indique ses chances de succès en fonction de la situation, avec une couleur et un indicateur de difficulté.

"Le Gran Turismo de la stratégie"

Cette analogie frappante, que l'on doit à Alexis Le Dressay, illustre autant l'ambition de l'équipe que son approche sur le genre ; accessible mais pointu, complet mais sans superflu, réaliste mais fun. R.U.S.E. a choisi la seconde guerre mondiale comme théâtre, avec un accent plus particulier sur les années 42 à 45. Côté ambition, il y a bien sûr l'aspect historique des choses, mais aussi la taille des cartes que nous avons déjà évoquée, ainsi que l'arbre technologique qui permet de développer plus de 200 unités historiques réparties en 6 factions (Allemagne, Italie, France, Etats-Unis, Royaume Uni et Russie). Chars, infanterie, forces aériennes, et même quelques unités navales (en soutien cependant), les passionnés de la période risquent l'extase. Opter pour des chars plus puissant mais plus lents, ou plus polyvalents, alors que l'adversaire - la machine de guerre allemande - dispose elle d'un autre type de blindés, cela rentre évidemment tout autant dans les choix stratégiques que le reste. La campagne solo, côté alliés, comptera une vingtaine de missions divisées en sous-chapitres. Conquérir les points de ressource, maîtriser les axes routiers pour la construction de bases et l'acheminement de ressources, optimiser le déploiement des troupes pour leur offrir les meilleurs angles de tirs et la portée la plus importante tout en les protégeant de l'ennemi, le stratège jouant à R.U.S.E. n'est pas près de se tourner les pouces, même si côté ergonomie, Eugen Systems joue la carte de l'accessibilité. Caméra assez libre, trois boutons pour tout faire, et automatisation des tâches les plus rébarbatives du genre, interface escamotable qu'on peut appeler à tout moment (inutile de revenir vers une base pour commander des renforts)... les idées ne manquent pas pour que ça reste clair à l'écran, et donc dans la tête du stratège.

Au sortir de cette présentation, je m'avoue charmé. Evidemment, c'est après y avoir longuement joué, en solo comme en réseau, que nous saurons si le pari est réussi, mais Eugen Systems et Ubisoft tiennent là ce qui pourrait bien être un sacré coup de pied au cul au genre, un peu comme Company of Heroes a pu l'être à sa manière et en son temps, tout en se libérant plus et mieux encore des carcans du STR classique.