On ne doit pas juger un livre à sa couverture, nous répète-t-on depuis notre plus tendre enfance. Très bien. Mais peut-on déjà présumer des forces d'un RPG à son créateur de personnage ? Ce passage obligé procure en tout cas un certain sentiment d'ivresse. Au-delà du simple plaisir de pouvoir se confectionner un avatar sans rien laisser au hasard en termes d'apparence (même si les visages et d'autres éléments restent prédéterminés), on entrevoit une profondeur et une rejouabilité hors-norme pour ce Baldur's Gate III. Autant de choix côté races, classes, backgrounds et compétences - et encore, cet accès anticipé en manque -, entre les mains de Larian, cela aura forcément des répercussions, nombreuses, en jeu. Une bonne vingtaine d'heures et des dizaines d'expérimentations plus tard, invitant des sorts, parchemins, artefacts et spécialisations à l'équation, c'est avec un sourire satisfait qu'on réalise qu'on ne s'est pas trompé.

Illithid une fois

Mais que nous réserve ce retour à Féérune près de cent ans après le revers essuyé par Jon Irenicus ? D'abord, une course contre la montre. Contre LA MORT. Votre personnage se trouve captif d'un Nautitloïde, vaisseau volant ressemblant à une conque, qui semble voué à s'écraser. L'accident, que vous pensiez pouvoir éviter en guerroyant aux côtés de Lae'zel, une Githyanki pas très souriante, se produit et vous laisse seul(e) sur le sable, les yeux dans l'eau. Avec un gros mal de crâne. Celui-ci n'est pas une conséquence de l'atterrissage, brutal. Les Flagelleurs Mentaux qui tenaient le bâtiment vous ont, comme à d'autres malheureux prisonniers, laissé en souvenir un ver dans la tête. Celui-ci finira par vous transformer en l'un des leurs - même si le processus est autrement plus lent qu'escompté.

L'objectif du tout premier acte de Baldur's Gate III sera donc de trouver comment vous débarrasser de ce parasite, et vite. Problème : la région dans laquelle vous vous trouvez, très sauvage, verdoyante, et à plusieurs jours de la Porte de Baldur, ne semble pas détenir de solution clé en main pour ce genre d'affliction. Bonne nouvelle, si l'on peut dire : vous allez vous faire des compagnons de route, cinq au total, qui ont le même but, et qui ont presque tous une piste à proposer, avec des motivations pas toujours claires qui pourront vous amener à prendre des décisions graves...

Dans la nature

La zone à explorer se révèle vaste et dense. Votre liberté de déplacement très grande. Il n'y a pour ainsi dire aucune direction prédéfinie, aucun rail vous guidant vers une "mission principale". Mais il y a des groupements, des conflits entre gobelins et druides, des lieux plus isolés où se nichent des pillards... Peut-être même trouverez-vous des liens entre certains emplacements. Suivant le chemin qui vous attire, vous pouvez faire une bonne ou une mauvaise rencontre, avec des créatures plus ou moins humanoïdes ou non, des terrains plus ou moins piégés, avec plus ou moins d'avantages géographiques, d'objets pouvant servir en cas de pépin, ou d'endroits où se cacher, d'alliés éventuels...

Suivant votre race, votre classe d'arme, votre historique et le tempérament que vous souhaitez exprimer, ainsi que les rapports que vous entretenez avec des équipiers que vous pouvez interpeller à tout moment, tellement de choses peuvent se produire. Le moindre détail a son importance, que ce soit lors d'un dialogue ou pendant une bataille, qui sont les deux moyens d'expression principaux en dehors d'une exploration plutôt permissive, grâce à un droit de sauter dont on abusera volontiers.

D20 prolixe

Voulant clairement apparaître comme les maîtres du donjon, les développeurs belges ont mis le dé à vingt faces au centre des débats en le laissant visible. Une action ou une parole importante, quelque chose que vous pourriez percevoir ? Une attaque à porter ou un sort à lancer durant les combats au tour par tour (différent des deux premiers épisodes, autorisant un déplacement, une action et parfois une action bonus, de façon simple et efficace) ? Un coup critique ? Le dé roule. Il faut, comme dans un jeu de rôles sur tables, s'en remettre au hasard. Ce qui peut d'ailleurs avoir un côté excitant. Mais aussi frustrant. Se faire couper une route pour un échec critique qu'on n'imaginait même pas, c'est rageant. Constater que l'on n'a plus aucune chance de toucher une prêtresse qui a lancé un sort d'Image Miroir aussi. Mais c'est la vie. Il faut l'accepter. Accepter aussi qu'une défaite ou un dénouement en notre défaveur ne veut pas dire Game Over mais juste une autre voie.

Mais il est vrai qu'il vaut mieux se préparer à avancer avec précaution. Le fait que votre coterie, qui présente des profils bien variés, puisse se séparer offre là de quoi penser sa stratégie et la manière dont se sortir de certaines situations. Et aussi de s'amuser, à travers des discussions pour tenter d'en apprendre plus, notamment sur le campement, utile pour recharger les batteries. Ayant semble-t-il bien digéré l'univers de Baldur's Gate, Larian fait une fois encore parler ses talents en matière d'écriture et de caractérisation. Très bavards et exprimant leur soutien ou désaccord sur vos arbitrages, vos associés sauront vous séduire ou vous agacer ; quelques PNJ parviendront sans aucun doute à vous intéresser et faire montre d'une profondeur inattendue, voire vous arracher un sourire, comme cet écureuil qui, amadoué, vous expliquera quel est son territoire. Dommage que, pour le moment, les intentions en termes de mise en scène, avec des conversations en gros plan "à la BioWare" abandonnant la vue aérienne, naviguent entre le bon et le catastrophique, la faute à une certaine rigidité et, aussi, la plupart du temps, à de sacrées errances techniques.

La route est longue

On ne nous a pas menti : Baldur's Gate III est en Early Access. Il lui reste encore beaucoup de boulot, notamment pour essayer d'affiner un peu une interface assez lourde, surtout si vous comptez troquer ou échanger à gogo. Visuellement réussi, surtout au niveau des visages et de leurs expressions durant les échanges, tous doublés avec conviction en anglais, il lui arrive d'afficher des textures pas très flamboyantes, qu'une caméra ayant du mal à bien gérer l'altitude met souvent en exergue. On appellera cela un moindre mal en comparaison des autre soucis constatés durant notre partie dans la peau d'une roublarde Drow.

Les séquences qui se répètent, l'impossibilité de passer au tour suivant dans un combat dans lequel il ne restait plus qu'un coup à asséner, l'action ennemie qui prend un temps fou à se réaliser, la traduction ou les sons absents, le moteur physique qui s'emballe sur un cadavre, les crashs et autres redémarrages intempestifs sont autant d'épreuves pour lesquelles vous signerez en vous engageant dans un Baldur's Gate III qui, même dans cet "état" et sur une portion maigre et dodue à la fois, donne envie. Reste à s'assurer que le potentiel ne sera pas gâché. La balle est dans le camp de Larian, qui n'a pas l'air de prendre le projet à la légère, et des joueurs qui auront aussi à coeur d'aider à ce que cet épisode arrive à bon port.

INDICE DE CONFIANCE : 75%

UN RPG PROMETTEUR, MAIS CE N'EST QUE LE DÉBUT...

Soyons honnêtes : il faut avoir la foi pour se lancer dans Baldur's Gate III en l'état. Non pas que le premier chapitre du jeu de Larian soit décevant - l'écriture, le contenu, les approches possibles et tous les systèmes en place s'avèrent solides et peuvent occuper de longues heures, et même motiver à tenter une nouvelle partie, en solo comme à plusieurs. Simplement, il reste beaucoup à peaufiner pour que l'expérience s'avère totalement convaincante. Si lutter avec une foule de bugs qui heurtent et freinent la lisibilité comme la progression a des chances de vous filer de l'urticaire, que vous vous attendez à une mise en scène chiadée à tout instant, il vaudra mieux patienter et laisser les fans livrer les retours qui serviront à peaufiner une expérience qui s'annonce d'une ampleur assez folle. Bon, néanmoins, si vous ne pouvez pas résister à cette Early Access, qu'il vous faut votre dose et que vous avez 60 euros en poche, personne ne vous jugera. Surtout qu'il y a déjà de quoi faire pour plusieurs dizaines d'heures. Et bien.

ON A AIMÉ : ON N'A PAS AIMÉ :
  • Une atmosphère et une écriture qui promettent.
  • Une liberté affolante et la promesse d'une grande expérience Donjons & Dragons.
  • Juste le premier chapitre, certes, mais il est très copieux.
  • Des bugs à gogo.
  • Réalisation, mise en scène et interface qui méritent vraiment un coup de polish.
  • ... Mais juste le premier chapitre quand même.