Bertrand Amar, comment vous est venue l'idée du projet ES1 ?

Je viens de l'univers des chaînes thématiques. Je suis né médiatiquement sur Canal J. J'ai produit pour beaucoup de chaînes thématiques. C'est un environnement que je connais bien. Au-delà de ces émissions, je produis depuis quelques années des émissions d'eSport. Ça a démarré en 2012 avec un documentaire sur Bruce Grannec. En 2015, avec une première compétition diffusée sur l'Equipe 21, l'ESWC FIFA. Au lendemain de cette compétition, qui avait été un carton d'audience, car on avait multiplié par 4 l'audience sur cette cible et sur cette tranche, je me suis dit « tiens, l'esport à la TV, c'est là et demain il y aura une chaîne de télévision ! » J'ai commencé à travailler sur cette idée. En parallèle, on a continué à créer des contenus eSport à la télévision : l'eFootball League, beIN eSports, l'Orange eLigue 1 et le projet grandissait, grandissait. Mais je me suis rendu compte que cela coûtait cher de faire une chaîne de télévision et pour faire baisser le prix de cette chaîne, j'avais besoin de personnes qui investissent dedans. Et donc, on a rejoint Webedia, qui dispose de studios, de droits sur des compétitions qu'ils organisent, de teams, que ce soit Millenium ou le Paris Saint-Germain, de journalistes... bref, il y avait une synergie possible qui nous permettait d'avoir le plus de chances de voir le projet voir le jour.

Pourquoi selon vous il y aurait de la place pour une chaîne eSport aujourd'hui ?

Quand on regarde l'audience de l'eSport, sur Twitch mais aussi en télévision... en deux ans, elle a explosé et en 2-3 ans, le nombre de jeux eSport a aussi explosé. Quand on voit des jeux comme Rainbow Six Siege, quand on voit des jeux comme Clash Royale, comme Rocket League, ce sont des jeux qui, il y a deux ans, n'existaient pas. Il y avait moins de jeux et pour faire une chaine, il faut une variété de jeux. Et puis, il y a 2-3 ans, même les jeux qui avaient une dimension eSport comme FIFA ou Call of Duty n'avaient qu'un grand tournoi dans l'année. Il y avait le CoD Championship et la FIWC. Aujourd'hui, ces jeux-là sont organisés en ligues, il y a du contenu tous les jours. Il y a désormais plus de contenu, plus de jeux, et donc de quoi alimenter une chaîne de télévision.

Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de place pour deux chaînes eSport.

L'eSport grandit à une vitesse exponentielle. Mais la discipline suscite encore de très nombreux débats autour de sa nature, de son cadre et de sa légitimité. ES1 n'arrive-t-elle peut-être pas un peu trop tôt ?

C'est toute la question. Quand il y a quelque chose qui naît, ça peut arriver trop tôt, trop tard ou au bon moment. Seul l'avenir nous le dira. Nous on pense que c'est le bon moment. Il y a plein de jeux, un public, une audience, plein de compétitions. Peut-être que si on avait attendu un peu plus, cela aurait été trop tard parce que d'autres l'auraient fait. Peut-être que si on l'avait fait l'année dernière, cela aurait été trop tôt parce qu'il n'y avait pas tous ces contenus. On pense que c'est le bon moment mais ce n'est qu'une conviction.

Il était important pour vous d'être les premiers. Les premiers à mettre sur place la première chaîne française 100 % consacrée à l'eSport ?

Oui, c'est aussi quelque chose de très important. Personne ne sait s'il y a véritablement de la place pour une chaîne eSport mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de place pour deux chaînes eSport. Il y en aura dans le futur. J'en ai la conviction. Mais pas aujourd'hui. Il y a un avantage qui sera donné au premier et c'est le pari que nous faisons.

Un avantage selon vous mais aussi une sacrée pression. Et une énorme attente, autant de la part des spécialistes et acteurs de l'eSport que du grand public.

C'est sûr qu'on est attendu. L'annonce de la chaîne a été très bien accueilli. On ne veut pas faire de fausses promesses. On reste une chaîne thématique. Il ne va pas falloir nous comparer aux productions de beIN Sport, qui ont d'autres moyens que nous, beaucoup plus d'abonnés. On n'est pas comparable à Canal +, on n'est pas comparable à beIN. Si on doit nous comparer en termes de moyens, on va être plus proche de Game One ou de No Life. Mais ce qu'on aura, c'est qu'on aura des passionnés, de la passion. C'est ce qui me fait avancer depuis toujours. Je ne m'entoure que de gens passionnés. On ne fait pas des castings pour demander aux gens s'ils ont envie de faire de la télévision. Non, mais parce qu'ils sont les spécialistes de leur jeu, de leur genre. Ce n'est pas un spécialiste de Clash Royale qui me parlera de FPS, par exemple.

Cette chaîne, ce n'est vraiment pas Webedia TV.

ES1 est une chaîne portée par le groupe Webedia. Vous n'avez pas peur qu'elle soit vite considérée comme la chaîne eSport du groupe, déjà très, très présent dans l'écosystème français de l'eSport ?

Cette chaîne, c'est la chaîne de l'eSport français. Ce n'est surtout pas la chaîne de Webedia. C'est Webedia, qui est aujourd'hui la plus grosse structure investie dans l'eSport, qui a les moyens de faire vivre cette chaîne. Mais dès le départ, on a signé O'Gaming, avec GamersOrigins, Arma Team, ZQSD Productions, des chaînes de production référents dans l'eSport, pour qu'ils nous produisent des émissions, pour que l'on diffuse leurs compétitions et que tout l'écosystème de l'eSport profite de cette chaîne. Il y a beaucoup de talents de Webedia qui n'ont pas leur émission sur cette chaîne. On est allé chercher par exemple Chips et Noi qui sont sur O'Gaming. On va avoir beaucoup de talents eSport qui vont avoir des émissions sur cette chaîne mais qui ne travaillent pas chez nous.

Qu'en sera-t-il des compétitions ? On aura autre chose que des événements organisés par Webedia ?

Ce sera la même chose. Evidemment, il y aura les compétitions de Webedia. Mais on va acquérir d'autres compétitions. Ce n'est vraiment pas Webedia TV. On va acheter des compétitions et travailler avec des entreprises qui sont nos concurrents. Tout le monde chez Webedia a compris cette nécessité d'ouvrir la chaîne aux acteurs de l'eSport, pour qu'elle soit la chaîne de référence.

Quels types de compétitions ou de droits vont intéresser ES1 ?

On s'inscrit plutôt dans le paysage français, avec des compétitions se déroulant en France, avec des teams français. Les compétitions qui se déroulent à l'autre bout de la Californie, ce n'est pas particulièrement le type de droits que l'on va rechercher. On va plutôt s'intéresser à la grosse compétition de Tours ou de Poitiers plutôt que celle d'Anaheim. Ce qui ne nous empêchera pas de donner le résultat de toutes ces compétitions.

ES1 a un système économique particulier puisque ce sont les opérateurs qui vont la diffuser qui ont participé à son financement.

C'est l'économie de la chaîne. Ce sont les opérateurs qui vont payer pour diffuser la chaîne, en l'occurrence Orange et Bouygues, qui sont les premiers avec qui on a signé. Si on avait décidé de faire la chaîne complètement en gratuit, il aurait fallu qu'on aille chercher de la pub pour la financer. Aujourd'hui, ce n'est pas viable pour ce type de chaînes. Parce que le prix de la pub est trop bas et qu'on n'arrive pas à financer une chaîne. Et cela aurait mis le projet en danger. On veut qu'il y ait de la valeur, qui nous permette d'acheter les émissions à d'autres acteurs, de produire des émissions et de payer tous les gens qui vont travailler sur la chaîne. Merci à Orange, merci à Bouygues, d'avoir été les premiers à croire au projet. On espère qu'il y en aura d'autres.

Une chaîne qui aurait coûté 4 millions d'euros par an.

On annonce une arrivée prochaine chez Free. Qu'en est-il de SFR ?

SFR, c'est un opérateur qui a un véritable intérêt pour l'eSport, on le voit avec leur chaîne SFR Sport 3. On le voit aussi de par le sponsoring qu'ils ont sur des compétitions comme l'ESWC. Il y a un intérêt de SFR pour la thématique. Par conséquent, on devrait arriver à trouver un accord avec SFR, en tout cas, je le souhaite vivement.

Quel aurait été le coût global de cette chaîne, sans ce système économique ?

Sans les économies qu'on a faites en arrivant chez Webedia ? C'est une chaîne qui aurait coûté aux alentours de 4 millions d'euros par an. En tout cas, quand j'ai créé ce projet il y a deux ans environ, elle coûtait 4 millions. Maintenant, je ne parle pas budget parce qu'il va évoluer en fonction des opérateurs qui vont arriver.

La grille d'ES1 est-elle d'ores et déjà figée ?

Elle ne le sera jamais. Il faut qu'on ait de la souplesse. Il faut que des émissions s'arrêtent, se créent, que de nouvelles compétitions arrivent. C'est pour ça que toutes les personnes qui ont envie de faire des choses seront les bienvenues. On étudiera toutes les idées. On peut avoir des émissions événementielles, des "one-shot". La grille ne s'arrêtera jamais. Il y aura toujours de la nouveauté. Il y aura toujours des nouveaux jeux, des nouveaux genres. Les jeux comme PUBG ou Fortnite, c'est un genre qui n'existait pas il y a très peu de temps. La grille ne sera jamais arrêtée.

Merci Bertrand Amar et bonne chance à ES1 !

Les programmes d'ES1 seront axés autour de 4 formats complémentaires :

  • Des magazines inédits autour des catégories les plus populaires de l'eSport (Versus Fighting, FPS, TCG...)
  • Des sessions de jeux en compagnie des plus grands champions et joueurs français.
  • Des compétitions en direct ou retransmises en différé comme Dreamhack, ESWC, Blast, Trackmania Cup, Arma Cup et bien d'autres dont le tournoi Africa Game Show qui sera diffusé dans un rendez-vous hebdomadaire dédié à l'esport africain
  • Des documentaires exclusifs : les premiers documentaires seront consacrés à « La place des femmes dans l'eSport » et à la première édition du tournoi EVO Japan.
  • ES1 débutera ses programmes, le 10 janvier 2018 en Avant-Première au sein de la nouvelle offre PICKLE TV de la TV d'Orange. Elle rejoindra ensuite d'autres opérateurs dont le bouquet de télévision de Bouygues Telecom courant février.