À voir aussi : Patrice Desilets préfère le premier Assassin's Creed


Nous avions eu l'occasion de rencontrer longuement Patrice Desilets lors de l'E3 2015 (voir notre interview en vidéo ci-dessus).

L'homme, aujourd'hui à la tête d'un nouveau studio, Panache Digital Games, et d'un projet personnel, Ancestors : The Humankind Odyssey, ne cachait pas avoir quitté Ubisoft de manière houleuse. On le sait depuis l'été 2013, les deux parties sont actuellement en procès.

Au coeur du litige, une manière distincte d'aborder la création d'un jeu vidéo... et le respect d'un contrat portant sur une nouvelle licence (aujourd'hui endormie), 1666 : Amsterdam

Une longue interview accordée à Game Informer permet d'entendre la version des faits de Desilets. Un document enrichissant sur les coulisses d'un milieu où s'affronte souvent les pulsions créatives, et les enjeux économiques. 

La trajectoire de Patrice Desilets est ainsi atypique. Après avoir rebooté Prince of Persia avec l'épisode Sands of Time et créé Assassin's Creed, il aurait souhaité plus d'autonomie créative... Ubisoft lui aura refusé. Le rythme frénétique finira par faire son oeuvre.

Patrice Desilets raconte : 

Chaque matin, chaque nuit j'étais là, depuis le premier jour à Ubisoft Montréal, depuis mes 23 ans. Je me suis réveillé à 36 ans, et je me suis dit : OK, je ne suis pas heureux. Je suis retourné travailler sur Brotherhood à peine trois jours après la naissance de [ma fille] Pénélope. Ce n'est que quatre mois après sa naissance que j'ai vraiment réalisé que j'avais une deuxième fille que je ne connaissais pas du tout. 

Fort de ses convictions, Desilets a ainsi remis sa démission à Ubisoft en, mai 2010. Il finira par poser ses valises chez THQ en 2011 avec, à la clef, un beau contrat : 3 jeux à produire et un contrôle créatif total. Tout ce dont il rêvait depuis des années... malheureusement la suite est plus complexe. 

Janvier 2013, THQ englué dans de lourds problèmes financiers ferme ses portes... et Ubisoft rachète les projets en cours, dont celui de Desilets un certain 1666 : Amsterdam. Un peu plus de 2 ans après avoir claqué la porte de l'éditeur français, le créateur canadien est donc (indirectement) de retour. Ambiance. 

7 mai 2013 : viré et escorté hors des bureaux

Pour discuter de son retour et de son avenir au sein d'Ubisoft, Patrice Desilets a traité directement avec Yves Guillemot, PDG du groupe. Desilets se souvient :

Il m'a dit qu'il "voulait faire le jeu, mais que ça allait coûter beaucoup d'argent, donc comment puis-je vous contrôler ?" J'ai dit "Yves, nous avons un contrat, et ce n'est pas plus difficile que ça. Vous m'appelez, c'est désormais ça le contrôle. Nous parlons. Je suis joignable, et on peut avoir une discussion ensemble." Un mois après, j'étais viré."

Patrice Desilets se remémore d'ailleurs ce 7 mai 2013 au matin, où après un rapide entretien avec Yannis Mallat et Cédric Orvoine au 7ème étage d'Ubisoft Montréal, on lui a signifié son licenciement. Desilets n'a même pas pu retourner à son bureau récupérer les clefs de son appartement, ou dire un mot à son équipe. Il fut littéralement "escorté" à la sortie directement. 

On m'a escorté hors du bâtiment comme un voleur, mais ce n'était pas moi le voleur, là. Quelqu'un est bien en train de commettre un vol, et ce n'est pas moi.

Ce matin là, Desilets n'a pas tergiversé. Il s'est rendu chez son avocat pour préparer sa défense. Le "combat de sa vie" souligne Game Informer. 

A noter que Yves Guillemot a commenté cette négociation, y apportant un éclairage complémentaire : 

Après plus de deux mois de discussions avec Désilets, nous n'avons pas pu aligner nos visions sur le développement du projet et sur l'équipe de management, nous avons en conséquence mis fin à notre collaboration et nous avons suspendu 1666 pour un temps indéfini. 

Une histoire de prototype "acceptable"...

Patrice Desilets est donc aujourd'hui en procès contre Ubisoft, et réclame plus de 300.000$ à son ancien employeur. Ce n'est pas la première fois que l'éditeur français se retrouve d'ailleurs confronté à une telle situation suite au licenciement, jugé abusif, d'un employé (à lire : viré pour avoir caricaturé Ubisoft). Dans cette affaire, le contentieux tourne autour du prototype de 1666

Ubisoft justifie le licenciement de Desilets en s'appuyant sur une clause indiquant que l'équipe de Desilets avait jusqu'au 30 juillet 2012 pour présenter un prototype acceptable. L'éditeur ayant jugé que cela n'a pas été le cas. 

De son côté, Desilets souligne qu'une démo avec le moteur du jeu a bien été réalisé pour l'E3 2012. Etait-elle de qualité suffisante ? 

Reste donc deux questions :

  1. Comment définit-on le terme "acceptable" pour qualifier le prototype ? 
  2. La clause courait jusqu'à 30 juillet 2012 et n'avait pas été utilisée par THQ. Le rachat du projet par Ubisoft étant intervenu début 2013, soit après l'expiration de cette clause.

La justice devra prochainement trancher. Pour en savoir plus, retrouvez l'excellent article de Guillaume Delalande (Journaliste LCI) sur le sujet dans le magazine The Game du mois.