Des cas parlant

Du mauvais côté de la barrière, les exemples qui étayent cette théorie sont nombreux. Lorsque Mass Effect 3, par exemple, parvient à se vendre à plus de 3 millions d'exemplaires, cela ne semble pas suffisant aux yeux des dirigeants d'Electronic Arts. D'un autre côté, Activision se retrouve confronté à des problèmes similaires avec plusieurs titres dont Prototype 2, un jeu à la qualité moyenne mais aux prétentions élevées qui a pourtant bénéficié d'une campagne de promotion colossale. Alors lorsque Star Wars : The Old Republic, le jeu de rôle massivement multijoueur de BioWare, dont le développement a duré plus de six ans et coûté plus de 150 millions d'euros (!) d'après le Los Angeles Times, est en perte de vitesse et ne semble pas encore rentabilisé après six mois d'exploitation, il y a de quoi s'inquiéter. Et il s'agit là de produits à priori parfaitement markétés et développés par les plus gros acteurs de notre industrie alors imaginez à quel point souffrent des productions AAA de plus faible envergure telles que Spec Ops : The Line, Steel Battalion : Heavy Armor, Dragon's Dogma et autres Ninja Gaiden 3. Un dernier exemple parlant, Enslaved, un titre qui a bénéficié d'un succès d'estime correct (81% sur Metacritic) ne parvient même pas au million d'unités vendues dans le monde.

On termine ce petit tour d'horizon avec la plus grosse rumeur de ces derniers jours : Vivendi voudrait revendre Activision Blizzard, le plus gros et sans doute le plus rentable des éditeurs / développeurs au monde. Mais pourquoi ? Est-on en droit de se demander. Une partie de la réponse se trouve peut-être ici : continuer à tabler sur les gros jeux, les fameux "triple A", ne semble plus être une stratégie pérenne, ou plus précisément, pas un business en voie de progression. En effet, même World of Warcraft est sur la pente descendante et les ventes de Call of Duty : Modern Warfare 3 semblent stagner, voire carrément régresser sur certaines plate-formes (PC et Wii), par rapport à son ainé sur la même période de l'année. Les actionnaires sentiraient-ils le vent tourner ?

Les autres voies

Sur PC, outre le piratage, on constate que les joueurs préfèrent claquer 30 euros dans des petits jeux fun et pas nécessairement dans un titre annoncé comme un blockbuster, vendu 70 euros et aux coûts de développement colossaux avoisinant les 50 millions d'euros. La tendance est d'ailleurs renforcée par les promos Steam qui surviennent généralement quelques mois à peine après la sortie d'un gros jeu et qui permettent souvent d'obtenir le dit blockbuster, et la plupart des épisodes de la série qui lui sont rattachés, s'il y en a, pour un prix dérisoire... S'ajoute à cela l'émergence du marché des jeux sur les smartphones qui, pour beaucoup d'éditeurs, représente une alternative de plus en plus séduisante (à tort ou à raison) ; alors que côté joueurs ce marché mobile semble avoir le travers de modifier la perception de la valeur des jeux aux yeux des consommateurs, et ceci au moyen de tarifs dérisoires en dessous de l'euro.

Dès lors, le marché des triple A et leurs millions de dollars ne semble plus faire la Loi, pas plus qu'il ne constitue finalement une assurance de qualité (que ce soit dans le contenu ou sur la longueur) par rapport à la concurrence des jeux indépendants, souvent moins chers, ou des jeux mobiles faciles à produire, à acheter et aisément récupérés où que l'on soit et quel que soit le support. D'ailleurs, pourquoi payer plein pot pour un titre de qualité qui ne va durer que quelques heures alors que l'on pourrait acheter plein de "petits jeux" pas chers sur iPhone et Android qui amusent parfois bien plus longtemps ? Pour toutes ces raisons, beaucoup se disent : "adieu l'Aventure avec un grand A et bienvenue dans un monde de snack gaming", finalement plus adapté aux habitudes de consommation d'aujourd'hui. Ont-ils raison ?

Par ailleurs, les dernières années prouvent qu'avec une production quasiment ininterrompue de jeux presque tous AAA (au moins de volonté) qui, au passage, ne trouvent rien de mieux que se cannibaliser entre eux, la plupart ont du mal à se vendre et à être rentables. Les dernières fermetures, et autres restructurations récentes de studios, sont sans doute l'expression de ce constat : 38 Studios, Etranges Libellules, Radical Entertainement (restructuration), Sega (restructuration), THQ (restructuration), etc.

Pour résumer, les candidats sont toujours plus nombreux et les élus toujours plus rares. Dès lors, on peut envisager une évolution dans un sens ou dans l'autre : soit les jeux AAA sont en passe d'être réduis au rang de simple vitrine pour les studios les plus prestigieux, qui trouveront d'autres moyens de les financer, soit le nombre de AAA se réduira de lui-même pour éviter l'étouffement du marché et l'effondrement financier des plus faibles. Dans un cas comme dans l'autre, il semble évident que le marché traditionnel des jeux AAA ne puisse continuer dans la direction actuelle bien longtemps. Les années à venir risquent donc de marquer un changement radical dans la manière dont les millions de dollars, auparavant claqués sans compter si je puis dire, seront distribués au sein des productions futures, ce qui aura un impact profond sur notre manière de jouer mais aussi de consommer. A croire que si le jeu vidéo avait déjà gagné il y a plusieurs années, il ne ressemblera en rien à ce que nous avons connu durant ce que certains appellent déjà avec nostalgie "l'age d'or du jeu vidéo".