Ce premier contact au X'10 à San Francisco ne nous aura pas encore permis de cerner avec précision comment nombre des éléments évoqués se joueront, lorsque Fable III sortira sur Xbox 360 à la fin de l'année, mais une chose est sûre : les développeurs de Lionhead et leur patron Peter Molyneux n'ont pas eu peur de tenter de nouvelles choses - ou tout du moins d'en oublier d'anciennes.

Vers un destin majeur

Fable III proposera aux joueurs d'incarner le fils du héros de Fable II. Bien des années ensuite, Albion aura continué sa marche inexorable vers le progrès. Le Bowerstone qui s'offre à nos yeux sur l'écran HD reflète les progrès de l'univers du jeu comme du moteur graphique : plus vaste, plus détaillé, il porte les marques du début de l'industrialisation et d'une époque qui emprunte à présent plus à l'Angleterre Victorienne qu'à celle des contes médiévaux. Les premières usines voient le jour, le port use de grues mécaniques, et les habitants suivent une mode vestimentaire tout à fait différente. Avec ces teintes plus sombres, Fable III fait aussi le choix d'un univers moins typique, moins courant. Il se débarrasse donc d'une partie des clichés des RPG fantasy, mais pas seulement en termes d'univers...

Oser oublier des conventions datées ?

Pourquoi se débarrasser des XP dans un Action-RPG tel que Fable ? La décision peut effectivement sembler outrancière. Molyneux explique :

La principale raison, c'est que les gens ne comprenaient pas. Il y avait des XP verts, bleus, rouges... et au final, l'expérience de Fable II ne correspondait qu'au combat. Et dans ce jeu, il s'agit de vivre des expériences, de se marrier, d'interagir avec les gens, etc. Les XP ça faisait finalement "old school", en quelque sorte. C'est la même chose pour la barre de vie.

De sa voix fluette et de son phrasé si typiquement british, le game designer explique ainsi que, parfois, il faut savoir faire des choix drastiques. La barre de vie, et par extension toute présence résiduelle d'infos en deux dimensions à l'écran, a été éradiquée de la même manière de Fable III.

Nous n'avons fait que copier les FPS. Car au final, lorsque les bords de l'écran deviennent rouge, ou que les couleurs se désaturent, ce n'est finalement qu'une barre de vie. Mais dans Fable II, c'était ce petit élément en haut à gauche de l'écran auquel il fallait prêter attention, alors que le principal se situait en son beau milieu.

Pour ceux qui suivent Molyneux, tous ces changements, bien que drastiques, n'auront rien d'étonnant. Déjà dans Black & White il s'agissait d'utiliser au maximum le monde du jeu pour donner l'information nécessaire au joueur, plutôt que de passer par des affichages classiques en 2D.

Pour moi, la partie en 2D de Fable était nulle. En vérité, vous continuerez de monter de niveau, mais pas par des trucs en 2D qui bavent. Je déteste les trucs en 2D qui bavent.

Ok, admettons... mais finalement, que restera-t-il à Fable III s'il prend de telles libertés avec la formule éprouvée de l'action-RPG ? "Le principal", serait-on tenté de répondre après avoir passé le temps nécessaire à en discuter devant cette toute première démo. Un jeu dans lequel on incarnera encore et toujours un héros, mais qui aura cette fois la lourde tâche d'être un monarque, et y trouvera peut-être, pour la toute première fois depuis la naissance de la série, des mécaniques s'appuyant sur une véritable utilité ludique, mais aussi morale...

Une question de contexte

Le Bien, le Mal... jusqu'à présent dans Fable, tout ceci n'aura finalement été que vaguement lié aux mécaniques purement ludiques du jeu et de sa progression narrative.

Jusqu'à présent, j'ai toujours cru qu'il était important de doter Fable du maximum de fonctionnalités. Mais il se trouve que la majorité des joueurs qui ont fini Fable II n'ont utilisé qu'une toute petite partie des fonctionnalités qu'il proposait.

Pour palier cet écueil fondamental, Fable III a eu la géniale idée de se débarrasser également d'un autre élément : le Bien contre le Mal, en dehors de tout contexte ludique réel. Plutôt que de s'en tenir à ce manichéisme sans réelle influence sur le déroulement du jeu, Fable III proposera au joueur (au bout d'une bonne moitié de l'aventure) d'incarner le nouveau monarque d'Albion. C'est le contexte du pouvoir qui donne tout son sens et toute son utilité à la balance morale du Bien et du Mal. C'est une des nouveautés majeures de cet opus : le joueur devra conquérir le maximum de partisans. Le personnage reflètera bien sûr visuellement l'étendue de son influence, au travers d'ailes éthérées se matérialisant à l'occasion de combats qui ont été, eux aussi, révisés. Noire et rouges pour les tyrans, bleues et blanches pour les monarques soucieux du bien-être de leur peuple.

En quelque sorte, ces partisans sont les remplaçants de l'XP. Lorsqu'il aura accumulé suffisamment de suivants, le joueur pourra prendre le trône d'Albion pour lui-même, et basculer dans la seconde partie du jeu : le règne. Dès lors, Bien et Mal ne seront plus relatifs qu'à lui-même, mais bel et bien à la manière dont il choisira de gouverner. Il pourra également passer des jugements pour en faire des Lois (l'une des deux mécaniques centrales de la partie règne du jeu, l'autre étant encore secrète). Si le credo de la série est bien "choix & conséquences", alors Fable III semble prêt à en devenir la plus brillante incarnation. Car ce qui pourrait paraître un Bien immédiat pour untel ou untel s'avèrera très relatif lorsque les conséquences trouveront des ramifications qui changeront le destin d'autres personnes, du Royaume, et de son Roi.

Quand ICO passe par là

Un bonne partie du système du Toucher, je ne le cacherai pas, m'a été inspirée par ce grand jeu qu'est ICO.

Impossible en effet d'ignorer l'importance qu'a le contact entre Yorda et Ico, dans le titre de Ueda, revêt. Il y trouve une bonne part de sa portée émotionnelle. Molyneux annonce ainsi une autre nouveauté de ce Fable III : le toucher. Si le système des expressions semble toujours présent, le toucher apparaît lui au cœur de ce troisième opus. Le personnage peut ainsi entrer en contact physique avec d'autres. S'il ne les connaît pas, au départ, la pression sur le bouton approprié pourra le limiter à serrer la main des inconnus. Au fur et à mesure, le toucher s'adaptera à la familiarité entre personnages. Une embrassade, un câlin, une prise par la main... et la possibilité dès lors d'emmener des personnages vers leur destin. La salle des tortures pour un monarque punitif, la salle du trésor pour une récompense. C'est à l'écran qu'apparaît encore le meilleur exemple de l'impact de cet ajout sur l'immersion du joueur au sein de cet univers entièrement simulé : lorsqu'il s'agit pour lui de réconforter sa propre fillette. Un câlin plus tard, les deux se prennent par la main, et le Papa emmène sa fille visiter d'autres quartiers de la ville pour lui changer les idées.

Arrivé près d'un pub, la fillette le tire à son tour dans l'autre sens, prétextant que sa femme lui a demandé de ne plus aller autant au pub... Un peu plus loin un mendiant interpelle le personnage. Celui-ci l'attrape, et le traîne vers l'usine. Au départ volontaire, le mendiant persuadé qu'il aurait droit à un repas dans la maison du personnage commence à se débattre et à traîner des pieds à mesure qu'il comprend que le joueur l'emmène vers l'usine pour l'y vendre comme main-d'œuvre : "ne me vends pas à ces monstres" supplie-t-il en vain.

Des armes uniques

Troisième et dernier tournant marquant de cette présentation : les armes. Ces dernières seront à présent sous l'influence des actions du joueur, comme son personnage. Il ne s'agira plus d'acheter de nouvelles armes plus puissantes au fur et à mesure : plus un joueur utilisera une arme, plus celle-ci changera à son avantage. S'il tue des innocents avec, elle finira par saigner continuellement. Si l'on se charge de crapules, elle brillera de la lumière de la justice. En fonction de la durée des combats, de leur intensité, de leur nombre, sa taille, sa courbure ou la forme de la lame changeront. Le tout influencé par le GamerScore du joueur - de quoi faire de chaque arme avec laquelle le joueur aura passé du temps un objet unique. Lequel pourra par ailleurs être échangé sur le Live, ou vendu pour une valeur proportionnelle à l'investissement du joueur. Et tant qu'on en est à parler du Live, le Co-op sera bien entendu de retour. Il incorporera également la mécanique du toucher, mais, surtout, s'affranchira des limitations spatiales horribles de son prédécesseur dans Fable II : fini l'obligation d'être l'un a côté de l'autre en toutes circonstances, nous a-t-on promis.

Maigre en détails précis et pourtant si riche en idées et en perspectives, cette toute première présentation de Fable III aura au moins prouvé qu'on ne s'endort pas sur ses lauriers chez Lionhead. Prêts à bousculer les conventions et à faire valoir des choix aussi inattendus qu'osés, Peter Molyneux et ses équipes ont une fois de plus réussi à piquer notre curiosité au vif, et à présenter une vision et des idées qui mettent l'eau à la bouche...