Bien que la next-gen soit dans toutes les têtes, on a encore du mal à savoir en quoi elle le sera vraiment hormis le Minority Report du prêt et de l'occasion. Aura-t-on des nouveautés à couper le souffle, des expériences vraiment inédites? Avec le nombre de jeux qui font le «pont» en étant juste un peu plus beaux, on a du du mal à être vraiment enthousiaste. Remember Me vient nous rappeler que la révolution vidéoludique ne se décrète pas à coups de communication ou par la puissance brute, mais qu'elle peut sortir de nulle part quand passion, inventivité et travail minutieux sont réunis.

Bien qu'étant sur nos bonnes vieilles PS360, Remember Me est un claque graphique comme j'en avait pas reçue depuis Final Fantasy XIII-2. Les environnements de jeu sont à la fois très fouillés et nickels (si l'on excepte l'éternel aliasing ici et là) et le souci du détail force le respect. La modélisation des persos n'est pas reste même si les personnages secondaires ne sont pas logés à la même enseigne. Les effets de lumière sont sidérants, au même titre que la pluie qui détrempe carrément la veste de Nilin! L'excellente mise en scène participe efficacement au spectacle avec des situations aussi incongrues que variées : poursuite sur les toits, course contre la montre dans le métro, match de catch sans oublier les fameux memory remix. Les capacités spéciales à utiliser en combat ainsi que les finish spectaculaires bouclent la boucle d'une réalisation irréprochable.

Le gameplay, au début entièrement basé sur le combat à mains nues, s'enrichit au fil du jeu de capacités de hacking par lesquels vous allez tour à tour devenir invisible, reprogrammer à votre avantage les robots ennemis, désorienter vos adversaires, siphonner leur centre mémoriel ou encore planter dans l'un d'eux une surpuissante bombe électromagnétique! Tout cela n'est évidemment pas gratuit et il faudra aligner précautionneusement vos combos entre chaque attaque spéciale. Il existe quatre types de «coups» possibles : heal pour recouvrer des points de vie, power pour infliger plus de dommages et provoquer un finish, cooldown pour récupérer vos capacités spéciales plus vite et chain pour booster l'effet des 3 sus-citées. A vous de constituer vos propres combos (système fort similaire à Neptunia Victory soit dit en passant) en mixant ces différents éléments pour trouver l'équilibre qui reflète votre style de jeu. Le tout s'enchaîne avec fluidité pour un résultat incroyablement dynamique et jouissif, d'autant plus que le challenge est plutôt relevé et la difficulté aux petits oignions. Les combats de boss vous demanderont outre de réfléchir car ils demandent tous une stratégie particulière. Il y a déjà largement de quoi être comblé mais Remember Me ne s'arrête pas là. En plus de petites énigmes souvent bien trouvées lors de votre progression, le jeu vous demandera de modifier les souvenirs de vos victimes en entrant dans leur centre mémoriel. Il s'agit de rembobiner/avancer une séquence afin d'en changer plusieurs paramètres (bouger un objet, provoquer une anomalie...) dont les combinaisons amènent à des résultats très différents, dont un qui est votre objectif et qui provoquera un changement d'attitude chez la personne ainsi «remixée». Ces missions sont réellement prenantes, il est juste dommage qu'il n'y en ai que 4 même si chacune présente un double défi avec un trophée à la clef. Je vais chicaner en disant que c'est parfois bien difficile d'aligner des combos longs, mais dans l'ensemble Remember Me fait encore un quasi sans-faute en plus d'innover comme jamais.

Mais ce qui impressionne le plus dans ce jeu, c'est la construction d'un univers à la fois nouveau, cohérent et fascinant dans lequel s'intègre un scénario intriguant qui se suit avec beaucoup de plaisir et d'émotions. Le Paris dévasté de 2084 est truffé de petites références amusantes bien contemporaines tout en donnant une saisissante vision du futur par sa direction artistique de ouf. Le background scénaristique est hallucinant de détail : essouflée par la crise économique, l'Europe sombre dans la guerre civile. Après l'armistice, une technologie de manipulation et de stockage des souvenirs (le Sensen, donc) est inventée et permet la reprise économique, au prix vous vous en doutez de nombreux problèmes éthiques. En effet, les abus ne tardent pas à se faire sentir et seule Nilin, jeune recrue d'un petit groupe extrémiste opposé au Sensen et dirigé par le très mystérieux Edge, est la seule à pouvoir renverser la puissante multinationale Memorize en la combattant avec ses propres armes. On a rarement vu une telle recherche, une telle profondeur, un sens aussi pertinent dans l'élaboration d'un jeu (le seul qui me vienne à l'esprit étant l'excellent Deus Ex Human Revolution). Tant tous ses aspects jusqu'à l'OST techno du plus bel effet, ce jeu crie littéralement la volonté de ses créateurs de proposer quelque chose de vraiment neuf, bien fini et divertissant.

Alors oui, c'est court (une dizaine d'heures), c'est linéaire, c'est dirigiste, il y a des couloirs. ET ALORS BORDEL!? Un jeu peut être linéaire ET bon à la fois que je sache, pas forcément la peine de foutre des open world partout! C'est vrai, moi aussi j'avais envie de rentrer dans la boulangerie pour acheter ma baguette à 2 écus (l'euro a disparu), de prendre la ligne 13 pour aller chiper les souvenirs de madame Michu, de me faufiler sans être vu à Bercy. Oui je rêve déjà de Remember Me 2 sur PS4 où l'on pourra faire tout cela, mais put** au moment où l'ensemble de l'industrie semble tourner autour de rééditions sans intérêt (CoD, Mario, FIFA, Battlefield, Assassin's Creed... la liste est longue) et de reboots plus ou moins surfaits (Tomb Raider, Hitman, Alien), ne pourrait-on pas reconnaître les mérites de concepts réellement innovants et le soutenir, au lieu de se concentrer sur des petits défauts comme les tests anglo-saxons n'ont pas manqué de le faire? Quand les «grands» éditeurs évitent tous les risques et ne montrent plus aucune volonté de surprendre, DONTNOD nous montre qu'on peut faire quelque chose d'extraordinaire sans piocher dans la boîte à souvenirs. Et ça, ça mérite d'être mis en avant...