À l'époque de sa sortie, Heavenly Sword a été plutôt descendu par la presse. Il y a des raisons légitimes à cela, mais aussi une bonne part de mauvaise foi puante. Pour être clair au plus vite, Heavenly Sword est un bon jeu si on se le prend à petit prix des années après la guerre, et un jeu clairement décevant à l'époque pour une exclusivité Sony, si on se remet dans le contexte. Parce qu'Heavenly Sword, c'était une promesse, d'abord d'avoir un jeu solide sur une console de luxe à 600 bâtons où les jeux tardaient à arriver, ensuite d'avoir de quoi se mettre sous la dent en attendant God of War 3.

Heavenly Sword aurait pu être un très bon jeu, voire un grand jeu. Il y a tout de même plusieurs aspects qui le tirent vers le bas ; une direction artistique qui manque d'assurance, des personnages d'un ridicule embarassant, et quelques phases de gameplay pas très au point. En somme, on côtoie de l'excellent travail avec des défauts qui auraient pu être facilement évitables.

L'histoire et la narration

L'histoire d'Heavenly Sword est simple ; le méchant peuple de Bohan décime le gentil peuple de notre gentille et rebelle héroïne Nariko, pour mettre la main sur une épée légendaire ; heavenly sword.
Au lieu de fuir avec l'épée comme le lui recommande son papa, Nariko décide de se battre. Seulement, l'heavenly sword est maudite, et tuera celui (ou celle, en l'occurence) qui l'utilisera, afin de justifier le dicton "qui vivra par l'épée périra par l'épée".

Si on fait abstraction des personnages ridicules (en fait on n'y arrive pas), l'histoire est bien racontée. Heavenly Sword est un jeu très scénarisé, avec de nombreuses cinématiques, ce qui a déplu à l'époque aux joueurs, car ils avaient l'impression de suivre un film au lieu de jouer. Maintenant ils ne réclament plus que cela... (va comprendre, Charles...).
S'il y a effectivement de nombreuses scènes cinématiques, elles s'intègrent très bien au gameplay. En fait, loin d'avoir l'impression de regarder passivement un film, on a plutôt le sentiment de participer activement à l'aventure. La façon dont se mélangent histoire et gameplay est extrêmement bien fichue, c'est très inventif et efficace dans la narration. Même si on n'échappe pas au standard de la cinématique, Heavenly Sword a une façon bien à lui de souligner les enjeux.

Je vous décris une scène, en spoilant le minimum. Vous êtes un archer sur une position en hauteur, vous devez couvrir la fuite d'un personnage blessé, agonisant, tandis que des assaillants lui courent après pour l'achever. Jusqu'ici, rien que du classique, flinguer les vilains pour sauver le gentil. Mais en haut à droite de l'écran, vous avez une fenêtre qui vous montre le personnage blessé en gros plan. Alors qu'on joue, et que ça demande du skill (pas une cinématique interactive de merde, quoi), on voit aussi l'agonisant qui titube, marche péniblement, lève la tête en cherchant l'air. Il est si lent qu'on a l'impression qu'il ne s'en sortira pas. C'est vraiment bien pensé, ça rajoute une belle tension à une phase de jeu qui aurait tenu du tir aux pigeons sans cela. En somme, on utilise des trucs de cinéma, mais en les utilisant pour donner plus de saveur au gameplay.

L'histoire d'Heavenly Sword se raconte aussi parfois en largeur, c'est-à-dire qu'on va suivre des destins croisés. Alors que, par exemple, Nariko est coincée dans une arène sans son arme fétiche, sa copine doit essayer d'accéder à l'armurerie. Le montage du gameplay ressemble alors à celui d'un film, avec l'alternance des scènes. C'est encore une fois très efficace, car on a l'impression que tout est intimement lié.

Univers et personnages

Le monde d'Heavenly Sword est très inspiré de l'univers féodal japonais, et du continent asiatique en général de la même période. Le peuple de l'héroïne fait penser aux moines du Tibet, tandis que chez les méchants, on affronte des guerriers faisant penser à des ninjas et des samouraïs. Mais ces inspirations ne sont jamais assumées pleinement, et c'est dommage car en l'état c'est un peu fade, ça peine à nous convaincre complètement, surtout au niveau des couleurs, toujours douces, jamais vives, ce qui a tendance à aseptiser un peu la violence des combats.

Pour les méchants (je veux dire les boss), là c'est encore moins convaincant. On dirait qu'ils sont inspirés des Perses du film 300, des sortes de déviants sexuels, pervers, sadiques. Ils s'intègrent assez mal à l'ensemble.

Mais le gros problème reste les personnages. Nariko, quoi qu'en bien plus subtil (en même temps ce n'est pas difficile), est une sorte de Lara Croft ; la fille guerrière et rebelle qui a des couilles mais n'oublie pas d'être une bombe sexuelle. Alors, contrairement à Lara, elle est habillée sobrement, de manière à laisser voir qu'elle est sexy, mais sans tomber dans la vulgarité ou les détails scabreux (genre faire pointer les tétons sous le tissu...).
C'est le personnage le plus réussi, et le seul, du jeu. J'aurais préféré qu'elle porte au moins un semblant d'armure, qu'elle ait quelques cicatrices, qu'on puisse croire au personnage, quoi. Puis cette coiffure... cette espèce d'immense poulpe rouge qui bouge mal, et ondule comme si ses cheveux étaient toujours sous l'eau...

Il y a sa copine, Kai, la femme-enfant avec son bonnet rouge à oreilles de chat, toujours enjouée, insupportable de niaiserie. Un cliché total, jusqu'à sa manière de se mouvoir... comme un chat.

Puis il y a les méchants, et là on sombre... Le pervers aux mille lames, la femme-serpent-salope-sadique, le Sinoc (vous savez, le montre dans les Goonies ?) super obèse et super idiot, et le roi Bohan avec ses gantelets énormes qui lui font des mains de King Kong.
Peu inspirés au niveau du design, c'est lors de leurs dialogues lamentables que ces personnages massacrent le beau déroulement de l'histoire. Tout est exagéré, ridicule, mal doublé (en même temps, les doubleurs ont fait ce qu'ils ont pu), on dirait des méchants des dessins animés des années 80 ; ils tirent la langue, ils secouent la tête, disent des gros mots, font des allusions sexuelles à propos de l'héroïne, qui tombent à plat.

Au début ça passe plutôt bien ; on sent que les scénaristes ont essayé quelque chose, qui n'a pas réussi, mais qui est rigolo. Une sorte de décalage pour éviter le cliché du méchant très méchant. Vers la fin on n'en peut plus... Plus on avance, plus c'est ridicule. Difficile de savoir s'ils ont cherché à être humoristiques, ou s'ils se sont totalement viandés, mais j'ai quand même du mal à comprendre comment on arrive à pondre des personnages aussi minables sans s'en rendre compte.

Un gameplay excellent mais pas toujours au point

J'ai préféré de loin Heavenly Sword à Dante's Inferno. Contrairement à ce dernier, Heavenly Sword n'a pas repompé bêtement God of War, mais a proposé une variation plutôt pertinente, avec de véritables changements aussi bien sur la partie beat'em all que sur la façon de varier le gameplay. En somme le jeu a sa propre identité de gameplay, contrairement au jeu d'Electronic Arts.

Avec Nariko

D'abord visuellement, contrairement à God of War où on mise tout sur la brutalité et la force, les combats d'Heavenly Sword ont des chorégraphies plus souples, à la manière du Kung Fu et d'autres arts martiaux aériens. Ça ressemble à God of War, mais de loin. Comme ici l'univers n'a rien de la démesure du modèle, tout est plus sobre, jusqu'aux petites gerbes de sang, ici et là, visibles mais discrètes.

Il y a eu beaucoup de mauvaise foi de la part de la presse sur les combats, et le gameplay en général. Non, ce n'est pas vrai qu'en appuyant sur les boutons n'importe comment on parvient à venir à bout des ennemis. Cela n'est possible qu'au début, avec les premiers ennemis de base, quand on en est encore à l'initiation. Après, en continuant à bourriner, on frappe sans cesse contre les gardes de nos adversaires, qui en profitent pour nous frapper par derrière.

On ne joue pas à Heavenly Sword comme à God of War. Le système, très dynamique, mise autant sur l'offensive que sur la contre-offensive. On peut frapper l'adversaire au moment où lui-même attaque, en essayant d'être plus rapide, ou on peut contre-attaquer, ou, le mieux, combiner les deux. Notre personnage se protège automatiquement si on ne fait rien, ce qui permet au système de contre-attaque d'être très dynamique, bien que technique. On ne pourra pas contre-attaquer une attaque lourde comme on contre-attaque une attaque légère ; il faut être vigilant, avoir des réflexes, et entrer la bonne combinaison de touches. De plus, selon le timing, la contre-attaque sera un simple repoussoir, ou sera mortelle.

Il est vrai que l'on peut se passer d'apprendre les listes de combos, du moins en normal. Ça ne rend pas le jeu moins technique. Pour moi, devoir apprendre des listes de combo, ça n'a rien de technique, c'est juste de l'apprentissage forcé. Nous avons à notre disposition des attaques rapides, des lourdes et lentes, et des attaques de distance (où on dirait du God of War) qui servent surtout à faire reculer les adversaires, car ils ont tendance à chercher à nous étouffer. À force de placer des coups, nous faisons aussi monter une jauge "attaque super-style" (avec 3 niveaux de puissance) qui permet de terrasser un adversaire lorsqu'elle est déclenchée.

À noter tout de même que le système de QTE n'est pas très bien intégré, et qu'il peut se révéler à certains moments même assez frustrant car pas du tout permissif, notamment contre le premier boss du jeu qui récupère les trois quarts de sa barre de vie si on ne parvient pas à l'achever avec le QTE final.

On aura aussi droit à des passages franchement sympas, avec de l'artillerie lourde. Aux commandes d'un canon, dont le boulet est téléguidé, on devra détruire des catapultes avant d'écrabouiller des dizaines et des dizaines d'adversaires. Le pied. Plus loin, moins épique mais tout de même sympathique, on aura en mains une espèce de bazooka médiéval, un peu à la manière des armes à feu de Princesse Mononoké, mais en plus puissant. Alors, paraît-il que ces passages sont chiants à cause du manque de précision de la Sixaxis. Personnellement, vu que je déteste la Sixaxis, je n'ai pas essayé. Les commandes traditionnelles, elles, fonctionnent très bien.

Pour finir avec Nariko, les boss sont tout ce qu'il y a de plus classique. La mise en scène des combats est franchement bonne. Reste qu'ils sont totalement ridicules.

Kai

De temps en temps, on jouera la femme-chat, Kai, qui utilise une arbalète. Ça va du sympa au pas terrible du tout. Lorsque Kai se retrouve face à d'autres archers, les passages permettent de varier les plaisirs et d'éviter au jeu de tomber dans le combat ad nauseam. C'est du TPS avec des flèches téléguidées, pas transcendant, mais pas méchant non plus. Ce qui fera la différence, encore une fois, c'est la mise en scène de ces phases qui est particulièrement soignée et réussie.

Par contre il y a des passages franchement pas terribles, lorsque Kai est poursuivie par des assaillants. On souffre du syndrome Resident Evil 4, ne pas pouvoir tirer et marcher en même temps, sauf que là c'est vraiment problématique. La visée n'est pas précise ; ce qui n'est pas un problème quand on peut diriger la flèche à distance, en devient un quand on doit agir dans l'urgence en combat rapproché.

Mais le pire, c'est qu'on peut facilement se mélanger les pinceaux, car Heavenly Sword propose une vue imposée à la God of War. Donc, en gros, vous avez une vue imposée, vous déplacez Kai, puis lorsque vous passez en vue subjective, elle vise là où elle regarde, droit devant elle. En somme, si les ennemis sont derrière vous, et que vous visez à ce moment-là car vous avez oublié de vous retourner, vous êtes dans la merde, car en plus la visée ne bouge pas rapidement.

Alors ces passages-là ne sont pas impossibles, mais barbants. On s'en sort, mais avec des techniques minables. C'est tout à fait le genre de passages qui découragent lors d'une deuxième partie, comme le jet-ski du premier Uncharted.

Linéaire

On a dit d'Heavenly Sword que c'était un jeu à couloirs et arènes. Oui, mais ce n'est pas forcément un défaut. En fait les décors sont plutôt cohérents. On se bat sur un pont, dans une armurerie, une caserne, une salle de banquet, dans des endroits en somme crédibles, et qui s'enchaînent de manière logique. Contrairement à God of War, il n'y a pas de murs invisibles, ou d'issues qui se bloquent et se rouvrent comme par magie quand tous les ennemis sont morts. Si le level-design en souffre, l'architecture des lieux a le mérite de ne pas être pas incohérente.

Pour finir, les bouts de chapitre sont courts, mais s'enchaînent bien, sans nous laisser sur notre faim. On a à chaque fois notre dose.

Un mauvais jeu à petit prix reste un mauvais jeu. Il arrive aussi qu'un soft payé trop cher soit décevant. Exclusivité Sony à 70 euros, Heavenly Sword a de quoi être mal digéré par le joueur s'attendant à un digne successeur de God of War sur sa console qui lui a coûté un bras. Trois ans plus tard, dans les paniers remplis de jeux en occasion à un prix ridicule, alors qu'on hésite encore à débourser pour la fille avec une poulpe rouge sur la tête qui a eu si mauvaise presse, Heavenly Sword est un sacré bon jeu, imparfait, certes, mais avec des qualités fortes qui tiennent tête à ses défauts.