Depuis quelques temps, j'avais
laissé tomber la critique de jeu pour enfin me plonger à cent pour cent
dans les sorties ainsi que dans mes projets personnels. En général
j'aime parler lorsque j'ai quelque chose à dire, que ce soit en bien ou
en mal. Je n'ai donc pas ressenti le besoin de parler de Bayonetta,
Uncharted 2 ou Modern Warfare 2 qui sont des jeux que j'ai adoré, mais
sur lesquels je n'avais rien à ajouter aux tonnes déjà dites.

Demon's Souls m'a donné envie de reprendre la plume afin de
partager l'expérience très unique et la fascination qu'il a exercé sur
moi. Et dire que je croyais plus ça possible...!

Ceci n'est pas une critique ou même une review, mais juste le
partage d'un point de vue et d'un trip extrêmement viscéral. Il faut se
replacer dans le contexte: fin deux mille neuf, From Software sort un
A-RPG assez singulier sur le plan visuel. En effet, celui-ci n'est pas
sans rappeler les productions occidentales telles que Diablo ou
Oblivion. Tout ce que je déteste quoi. Je n'ai jamais trop accroché à
cette façon d'envisager le RPG occidental, qui consiste presque toujours à créer des univers tournant autour de l'héroïc-fantasy avec choix de
l'avatar et de la classe.

Alors que beaucoup crient au génie, moi je trouve que c'est un
manque d'inspiration assez affligeant, même si cet avis n'engage que
moi. Je suis donc assez logiquement passé à côté du titre de From
Software, étant persuadé qu'il s'agissait d'une tentative maladroite de
la part d'un studio Japonais de plagier les occidentaux pour caresser le public roliste international dans le sens du poil.

De fil en aiguille en suivant les forums, j'ai ressenti une vraie
frénésie autour du titre, avec des avis assez pointus et des conseils
très poussés de la part de joueurs chevronnés, ce qui laissait
transparaître une richesse insoupçonnée. En y regardant de plus près,
l'univers m'a séduit. On est très loin du médiéval de papa et l'univers
dans lequel nous sommes immergés est plus proche d'un Berserk que d'un
Oblivion. Quelques images, quelques vidéos et déjà quelques légers
spoils concernant des bossfights assez dantesques.

La curiosité étant plus forte que la réputation quasi-élitiste du
jeu, j'ai foncé sur un exemplaire Américain et j'ai été conquis. Finies
les présentations, place ici à l'expérience unique que j'ai vécue.

Demon's Souls nous plonge au milieu du royaume de Boletaria, où un
démon a décimé toute la population, les abandonnant à l'état de fantômes tentant d'échapper à des créatures assoiffées d'âmes. Le personnage que nous décidons d'incarner s'aventure donc dans les brouillards mais
finira par se faire tuer dès le tutorial. Nous voilà morts. Pas banal de commencer un jeu à l'état de fantôme.

Notre âme se retrouvera piégée dans le Nexus, sorte de monde
alternatif servant de hub central à l'aventure. Ce nexus sera en quelque sorte le seul endroit tranquille du jeu, là où nous pourrons acheter et upgrader armes et objets ou encore faire monter nos niveaux mais aussi
rencontrer des NPCs importants.

Le Nexus est un endroit inquiétant qui possède six entrées sur
différentes parties de Boletaria: un château en proie aux dragons, une
prison glaciale ou la torture est un art local, des mines infestées,...
Chaque monde est divisé en plusieurs parties, qui ne font toutefois
qu'une seule en terme de level design, chaque partie étant ponctuée par
un bossfight mémorable. A ce propos, et sans spoiler, je trouve que le
combat contre Maiden Aestra est probablement l'un des moments les plus
forts qu'il m'ait été donné de vivre dans un jeu aussi bien sur le plan
émotionnel qu'artistique. De la même manière, deux-trois autres boss
sont clairement cultes (Old Monk, Maneater(s), Penetrator, False King,
Flamelurker,...). Oui bon en fait ça fait un peu plus que deux-trois.

Ce n'est qu'une fois le premier boss défait que notre aventurier
pourra récupérer son âme, et donc son corps par la même occasion. Etre
humain à nouveau implique de faire plus de bruit, mais aussi d'avoir une barre de vie complète. Attention toutefois, car la moindre mort nous
fait repasser de vie à trépas (ce qui est logique me direz-vous). En
fait pour être clair dans Demon's Souls on est quasiment toujours à
l'état spectral.

Demon's Souls est géré en temps réel, ce qui signifie qu'à l'instar
d'un Resident Evil 5 ou un Dead Space, l'ouverture du menu se fait sans
pause. D'ailleurs, la pause n'existe pas du tout. On vit le jeu de bout
en bout, et celui-ci ne vous pardonne rien puisqu'il enregistre en
permanence votre progression: lorsque vous trouvez un objet, lorsque
vous battez un ennemi, lorsque vous allez dans l'inventaire,... Comme si ce n'était pas assez, il sauvegarde automatiquement quoi qu'il arrive
toutes les quinze secondes.

C'est assez déstabilisant car cela ne laisse pas le droit à
l'erreur, aucun. Si vous utilisez trente herbes régénératrices contre un boss, ces herbes sont définitivement perdues, que vous battiez le boss
ou que vous échouiez. Il n'y a pas de Game Over - Try Again. Une fois
"mort", vous perdez toutes les âmes acquises (la monnaie du jeu) et tous les items utilisés (on conserve les items trouvés et les levels gagnés, ouf).

Vous ne recommencez pas à un check-point, mais au début du niveau.
Si vous arrivez à vous rendre à nouveau à l'endroit où vous êtes mort
sans vous faire tuer, vous pourrez récupérer les âmes perdues. Cela
donne un stress supplémentaire car une nouvelle mort en cours de route
est synonyme de perte irrémédiable de tout le bénéfice acquis. Les souls gagnés ne sont jamais à l'abri, même lorsque vous retournez dans le
Nexus. La seule façon de les mettre définitivement à l'abri est de...
les consommer! Pour cela il vous suffit de les utiliser pour faire
monter vos stats, celles de vos armes ou d'acheter des items.

Vu comme ça, Demon's Souls est un jeu impitoyable et il l'est
vraiment, ce n'est pas la peine de se mentir. C'est à titre personnel le jeu le plus difficile qu'il m'ait été donné de toucher. Beaucoup
d'ennemis sont capables de vous tuer en deux coups, ce qui est frustrant quand on se baladait dans un niveau depuis plus d'une heure avec des
milliers de souls sur soi.

En contrepartie, un mode online est assez bien intégré au jeu.
Tellement bien intégré qu'on ne le soupçonne pas. A aucun moment on ne
vous demande de vous connecter ou de faire une partie en ligne. Les
autres fantômes que vous croisez dans les niveaux sont en fait des
joueurs en train de parcourir ce niveau. Ils peuvent interagir avec vous en laissant des messages sur le sol. Vous pouvez même voir de quelle
façon ils sont morts en touchant les taches de sang au sol, et ainsi
anticiper le prochain piège. Si vous êtes vivants, pous pouvez même
"invoquer" deux autres joueurs pour vous aider dans vos combats.

Ce système est tellement poussé que les développeurs l'ont
directement intégré au scénario d'une manière magistrale:

Un boss (Old Monk) rencontré peut
être contrôlé par un joueur. Vous vous battez donc contre lui alors
qu'au même moment, un joueur a été invoqué au hasard sur les serveurs et joue lui le boss dont le but est de vous latter. Impressionnant!

Ce mode online ne doit toutefois pas vous faire oublier que dans Demon's Souls on est désespérément seuls. A ce titre, je trouve l'ambiance absolument extraordinaire. Il se dégage
un climat opressant, grâce à un grain sur l'image, un level design
grandiose et une bande sonore de haute volée. Oui, je suis dithyrambique sur tout ce côté car je pense que visuellement ce jeu est une claque
sur le plan du design, un peu moins sur le plan technique. Pas moche,
Demon's Souls est dans la bonne moyenne des jeux du genre.

Je vous parlais de la difficulté très poussée du titre, et c'est ici que l'effet hypnotique du jeu entre en scène. Ceux qui me suivent
régulièrement ici ou ailleurs savent que le challenge trop poussé est
rédhibitoire pour moi. Rien ne m'insupporte plus que les passages à
recommencer cent fois, frustrants bien souvent. Je ne joue pas pour le
challenge, mais pour le plaisir. Je ne recherche pas de la résistance,
mais de la fluidité au contraire. Dès lors, Demon's Souls ne semblait
pas fait pour moi. D'ailleurs il m'a fallu deux jours et environ cinq
heures pour finir le Boletarian Palace 1-1, qui fait pourtant office de
tutorial (bien qu'il existe un vrai niveau tutorial juste avant).

Je me faisais tuer en un coup par des ennemis alors que j'avais
l'impression de bien maîtriser le système des contres ou de la
protection. Le principe d'or dans le jeu de From Software est d'ailleurs de toujours avancer bouclier levé, le doigt vissé sur L1. Je ne compte
plus les centaines de mort. Plusieurs fois j'ai abandonné et j'ai même
été jusqu'à vouloir le revendre. Mais pourtant à chaque fois je
rallumais la console et réessayais alors que pour n'importe quel autre
jeu j'aurais déjà rangé le titre au tiroir depuis longtemps.

Il y a vraiment quelque chose de spécial dans ce titre que je ne
saurais définir mais qui donne envie d'y revenir à chaque fois. Je suis
tombé sous le charme et un jeu ne m'avait plus procuré cette attraction
limite hypnotique depuis très longtemps. Je me refaisais même les
niveaux la nuit dans ma tête, en essayant de voir comment je pourrais
varier mes approches.

Quel soulagement lorsque la première cinématique se déclenche, celle de l'ouverture de la grande porte menant au premier boss. Cette immense porte s'ouvre lentement et une immense lance se plante en haut des
escaliers. C'est inquiétant et on pénètre dans le brouillard nous
séparant de l'antre du boss avec la peur au ventre. Un moment comme j'en ai rarement vécu dans mon histoire vidéoludique. D'ailleurs chaque
entrée de boss est un petit moment culte en soi, et ici je citerai pele
mele Tower Knight, Penetrator ou encore Old Monk (youtube est votre ami
si vous n'avez pas peur des spoilers).

Une fois le premier boss défait, le jeu commence vraiment. Vous
pouvez à présent choisir d'aller dans n'importe quel niveau et c'est là
que le titre prend toute sa dimension. Aucune ligne droite ne vous est
imposée et vous êtes libres de faire ce que bon vous semble. A ce stade, du levelling s'impose. Pour ma part, étant donné mon skill, j'ai
"choisi" de faire dix heures de levelling. Ca paraît incroyable alors
que je déteste ça, mais ce sont pourtant dix heures que je n'ai pas vu
passer. Normal car le levelling propose cet avantage de faire monter
votre soul level, de récupérer des items bien pratiques pour la suite et de grappiller des souls très utiles pour booster rapidement vos stats.

Après vingt heures de jeu, je n'ai battu que le premier boss mais
j'ai pourtant parcouru tous les niveaux. C'est ceci qui est incroyable
dans Demon's Souls: le temps semble s'arrêter tant chaque instant est un moment d'émerveillement. On tâte le terrain, on s'enfonce de plus en
plus profondément dans les niveaux avec la peur au ventre, la peur de
tomber sur le monstre qui vous fera tout perdre.

Les possibilités offertes par le jeu sont impressionnantes. Par
exemple, il existe dans le premier monde deux dragons qui crachent du
feu sur quelques cadavres au pied d'une colline. Ces cadavres portent
sur eux des objets et armes très balèzes. Impossible de s'y aventurer
sous peine de mort immédiate. Dans la deuxième partie du niveau, le
dragon rouge survole un pont infesté d'ennemis. J'ai donc décidé ce
matin de me poster en haut d'une tour et de l'attaquer à l'arc à
flèches. Il m'a fallu du temps, beaucoup de flèches (et donc beaucoup de farming en amont pour me payer ce stock de flèches), mais j'ai réussi à le terrasser. Résultat: un dragon de moins qui protège les items
précieux au pied de la colline.

Ceci n'est qu'un exemple parmi d'autres, car si le jeu est
difficile, à force de patience on finit par compenser ses carences en
puissance brute pour mettre au point d'autres stratégies. Demon's Souls m'a marqué à tout jamais,
captivé et emporté à deux cent pour cent dans son univers. Jamais je
n'avais vu un jeu prenant place au moyen-âge si riche et tellement en
phase avec ce que j'aime. Même les écrans de loading ont la pure classe
avec les artworks de tous les personnages importants du titre!

Demon's Souls ce sont plein de petits détails qui font un tout, à
l'image de l'équipement emporté. Chaque objet, de la moindre herbe au
plus gros casque pèse un certain poids (vérifiable dans l'inventaire).
Plus vous vous équipez et plus cela influe sur vos mouvements. Au bout
d'un moment vous ne pouvez plus porter d'items supplémentaires et il
faudra alors les laisser à un marchand dans le Nexus qui les stockera
pour vous. Cette gestion du poids est primordiale et vous obligera à
faire des choix. Beaucoup choisissent d'ailleurs d'évoluer en slip et
avec une simple épée et un bouclier pour gagner en rapidité. A vous
d'évaluer le risque: rapide mais très vulnérable ou lent mais
ultraprotégé?

En plus du poids il faut prendre en compte la stamina, qui se vide a chaque coup évité, encaissé, donné, à chaque roulade ou encore a chaque sprint. Une fois la barre de stamina tombée à zéro, vous êtes
vulnérables le temps qu'elle se recharge. Cela donne un côté stratégique supplémentaire au jeu, vous obligeant à choisir avec parcimonie vos
combos.

Des petites choses comme celles-là il y en a des dizaines dans
Demon's Souls. C'est pourquoi j'aime ce jeu autant que j'ai pu le détester.
C'est vraiment unique comme sensation. Une fois la console éteinte, je
repense pendant longtemps à ce que je viens de vivre et ça faisait très
longtemps que ça ne m'était plus arrivé. C'est ce que j'aime dans le jeu vidéo et c'est pour ça que j'aime Demon's Souls malgré toutes les
souffrances qu'il me fait endurer. Un jeu sorti de nulle part, que je
n'attendais pas, et qui est devenu à mes yeux non seulement le meilleur J-RPG next gen, mais sans doute l'un de mes trois jeux les plus marquants de ces dix dernières années.