En s'attaquant à leur dernier chantier, les funambules de chez Rocksteady Studio le savaient : ils n'avaient pas intérêt à faire n'importe quoi de la mythologie Batman...

Batman n'est pas le
super-héros tout venant. Ce n'est pas un mutant bardé de bons sentiments, ni le
ressortissant indestructible d'une galaxie en perdition. Le Chevalier Noir est
le désespoir encapuchonné. Un héros complexe, en proie à la peur et au doute. Un éternel orphelin de 10 ans dans la peau d'un multimilliardaire, toujours sur la brèche entre désirs de vengeances et pitié pour la racaille qu'il renvoie inlassablement derrière les barreaux.

Ce soir on donne une fête en
son honneur à l'asile d'Akham, là où pourrissent ses adversaires de toujours.
L'ennemi intime de la Chauve Souris s'est autoproclamé maître de cérémonie. Le
dénommé Joker compte bien prouver à Batman que sa place est de ce côté du mur
qui protège les quidams des bêtes de foire.

Au tour du Chevalier Noir de
prouver à ses ennemis qu'il joue tout aussi bien à domicile qu'à l'extérieur.

"Welcome home, Batty !"

 

S'il est un super héros qui a
bénéficié d'interprétations scénaristiques et artistiques variées, c'est bien
Batman. Difficile de tracer un chemin neuf dans la jungle de ses aventures.
Qu'à cela ne tienne, les anglais de Rocksteady Studio font fi de cet écueil
avec brio : Monsieur Paul Dini - scénariste du dessin animé tant de fois
célébré -
ressort ses petits crayons et propose rien moins qu'un scénario
original pour le jeu. Joie donc, quand on connaît la passion que Dini entretien
pour la relation Batman/Joker.

Les premiers contacts avec ceBatman Arkham Asylum installent une atmosphère délectable, sombre et lourde.  Aux influences très cartoonesques du
dessin animé,  les créateurs ont
préféré une ambiance comicbook plus mature, tant dans les palettes de couleurs
apposées que dans le look des personnages. Batman est massif et monolithique(presque trop) et le Joker joue sur un registre dérangeant, celui du dandy
meurtrier diablement attachant. L'île d'Arkham est quant à elle lugubre et inhospitalière,
comme sortie tout droit des contes de Lovecraft.

Après une introduction au
cours de laquelle la Chauve Souris reconduit son meilleur ennemi aux portes
d'Arkham, le joueur prend les commandes. Batman entend garder un œil sur le
Joker et s'assurer de sa réincarcération en bonne et due forme. Cette petite
descente dirigiste dans les entrailles de l'asile est l'occasion de prendre en
main le détective. La balade est assaisonnée des répliques bien senties d'un
Joker hilare. Le joueur ne tardera pas à comprendre son irritante bonne humeur
: à peine l'attention du Dark Knight relâchée, et trois mandales plus tard, le
farceur au costume violet prend le contrôle de la situation et lâche ses
premiers sbires à la chasse au rongeur volant...

 

RANGE TON CQC, J'SUIS CHAMPION DE FFC

Le premier choc entre Batman
et ces voyous est l'occasion d'appréhender le système de combat développé par
Rocksteady, le Free Flow Combat. Déjà prometteur sur le papier, celui-ci
s'avère être l'un des plus intuitifs jamais proposé. L'association du bouton
d'attaque et d'une direction suffit à porter un coup mais surtout à initier un
combo virtuose. Il suffit de changer la direction des prochains coups pour voir
le Chevalier Noir enchaîner les attaques et les pirouettes entre ses différents
opposants, dans une danse guerrière virevoltante.
Mais si ses ennemis n'ont pas
inventé l'eau tiède, ils n'en restent pas moins de gros bras qui profiteront de
leur nombre pour l'attaquer dans le dos. Lorsque l'ennemi s'apprête à frapper,
une pression sur le bouton de parade déclenche clés de bras, torsion de
chevilles et autres manœuvres d'évitement toutes plus déconseillées aux enfants les unes que les autres.

Les
attaques, les parades et les neutralisations au sol s'enchaînent de manière
libre et augmentent le focus de Batman. Cela lui permet d'effectuer des KO de
plus en plus brutaux, ou se servir de son prochain comme d'un projectile en
l'expédiant sur ses camarades. Au fur et à mesure de la progression du joueur
dans le scénario, la diversité des combos ira grandissante et l'on pourra
expédier des batarangs entre deux sauts périlleux, ou se servir du grappin pour
envoyer les gredins au tapis.

 

BATOU-TERRAIN

Distribuer les chataîgnes avec
classe a beau être dans les attributions du Chevalier Noir, cela ne reste
qu'une des nombreuses cordes de son arc. La seconde force du titre est de
proposer des séquences d'infiltration, plus proches de la prédation : enveloppé
dans la pénombre, surplombant ses proies, le joueur pourra semer la panique
parmi les hommes du Joker. Grâce à un gadget baptisé "Vision du
prédateur", sorte de vision à rayons X, le justicier de l'ombre peut
recenser ses opposants, repérer ceux qui s'éloignent du troupeau et les
neutraliser en silence. Et comme si la découverte de leur collègue inconscient
ne suffisait pas, le Joker, toujours joueur,  commentera via hauts parleurs leur incompétence depuis sa
salle de contrôle.

Parfaitement dosées, ces
phases de gameplay procurent un sentiment jouissif immédiat : faire diversion,
fondre sur l'ennemi en planant, constater l'accélération du rythme cardiaque
des autres gardes apeurés, autant de bonnes raisons de faire durer le plaisir.
On appréciera alors de semer le trouble dans les esprits, jusqu'à voir les
hommes de main vider leur chargeur au hasard, persuadés d'être attaqués de
toute part. Rictus sadique garanti.

Si Batman n'avait pas forcement
prévu de passer la nuit à Arkham, il réserve pourtant de belles surprises (et
de taille)
d'un point de vue ressources et équipement. Les batarangs, le grappin
ainsi que d'autres bat-gadgets seront débloqués de manière fluide par la
progression du scénario, mais pourront être upgradés via un système de
d'améliorations libres. Le joueur pourra ainsi développer des nouvelles méthodes
de neutralisation, renforcer son armure, apprendre à pirater les systèmes de
sécurité, etc. L'amélioration de telle ou telle capacité dépendra donc des
affinités du joueur avec les différentes phases de gameplay.

 

SYMPATHY FOR THE DEVIL(S)

Pour progresser, le joueur
disposera de points qui seront accumulés au fur et à mesure de ses victoires de
guerrier, de prédateur, mais également en relevant de nombreux défis annexes. Et c'est dans ce domaine que Rocksteady frappe très fort,  en conférant une profondeur et une
diversité à son univers. Chaque grand vilain de la mythologie Batman entretient
avec le Chevalier Noir une rivalité unique, qui se traduit dans le jeu par une
nouvelle approche du gameplay.
L'homme-mystère, par exemple, n'à que faire de
briser la Chauve Souris. C'est un génie prétentieux qui mène une bataille
d'intellect dans le seul but d'affirmer sa supériorité. Dans son délire
narcissique, il a disséminé des dizaines d'énigmes sur l'île d'Arkham :
retrouver ses statuettes, photographier des éléments autoréférentiels à
l'univers Batman, autant d'éléments qui étoffent l'expérience de jeu. Il
n'appartient évidemment qu'au joueur de céder aux énigmes du Sphinx ou non.
Mais le jeu pourrait bien en valoir la chandelle...
Les confrontations avec
l'Epouvantail, quoique plus centrales dans le scénario, seront tout aussi
délectables par l'opressante dimension psychologiquequ'elles proposent. Autre
chasse au trésor amusante : retrouver les extraits audio d'entretiens des
pensionnaires avec les psychologues d'Arkham. Déjà vu dans Bioshock, le procédé
permet surtout ici d'accéder à des dialogues forts savoureux.

 

T'ES OK, T'ES BAT' (?) T'ES IN !...

Techniquement, cet Arkham
Asylum est une réussite. L'Unreal Engine fait encore une fois un travail
remarquable, appuyé par des textures détaillées et nombreuses. L'asile
d'Arkham, oppressant humide et moite, offre un terrain de jeu gigantesque pour
le prédateur qu'est Batman. La modélisation des personnages est excellente,
avec un soin particulier apporté aux textiles. On regrettera cependant de
petites fautes de goût comme un commissaire Gordon aussi carré qu'un rugbyman
de 20 ans, ou un homme chauve-souris qui, dans sa position par défaut, donne
l'impression d'héberger un manche à balai en son fort intérieur.
De petits défauts vite
pardonnés dès que notre héros se met en mouvement. Car la vraie réussite se
trouve dans l'animation du Chevalier Noir, dans la fluidité de ses
déplacements, de ses vols planés, mais surtout de ses coups de latte
magistraux. Lorsque Batman achève un malpropre, c'est à grand renfort de
ralentis et d'angles de caméras précis. Les coups pleuvent et les gameplay
différents se succèdent dans un ordre relativement régulier, sans pourtant jamais
lasser.Le scénario est un petit bijou
qui ravira les connaisseurs tout en posant les bases nécessaires pour les
néophytes. Sans jamais tomber dans le fan service, les références sont
nombreuses et bien amenées. Une mention spéciale aux dialogues, écrits avec
brio, avec une liberté de ton qui permet aux interventions du joker de faire
très fort dans le cabotinage.
Si les doublages originaux
restent recommandés, avec Mark Hamill (Luke Skywalker himself) dans la peau du
Joker, la VF est de très bonne facture, principalement grâce au choix de Pierre
Hatet (Doc Brown de Retour vers le Futur) pour incarner le clown meurtrier. Dommage que le reste de
l'ambiance sonore des aventures du justicier soit tant en retrait. Les thèmes
sont répétitifs, peu nombreux et beaucoup trop stéréotypés. On ne peut
s'empêcher de regretter les partitions ciné de Danny Elfman ou de Hans Zimmer..

 

Batman Arkham Asylum est la
réponse la plus tonitruante aux aficionados de la formule "adaptation =
échec"
. Proposant un scénario original et un bel hommage à la mythologie
Batman, le titre peut également se targuer d'offrir une expérience inédite :
prendre en main un héros torturé et embrasser sa dualité de détective mesuré et
de justicier implacable. On aime relâcher la force contenue du Chevalier Noir,
à travers un système de combat d'une maniabilité prodigieuse ; ce qui
n'empêche pas de prendre le temps de taquiner sa proie du bout des griffes,
luxe extrême du prédateur à sang froid. Si l'on pourra toujours lui reprocher
une certaine linéarité du scénario, la diversité du gameplay permet de ne
jamais en souffrir. Au contraire, on embrasse ce jeu du chat et de la souris un
brin dirigiste avec le même plaisir avec lequel on suivrait le lapin blanc au fond du
terrier : le plaisir d'avoir plongé dans l'inconnu, mais d'en être ressorti, le
sourire aux lèvres.