Beaucoup de passionnés de
jeu-vidéo sont marqués à tout jamais par un jeu, fruit précurseur de
leur passion. Dans cette idée, le 8 mars 2002 fut pour moi un grand
jour. J'avais été séduit par Metal Gear Solid, premier du nom, et
j'avais suivi avec fort intérêt le lancement du second opus. Le 8 mars
2002, il était miens. Cette rencontre avec Metal Gear Solid 2 m'a
littéralement insufflé la passion du jeu-vidéo, bien qu'étant déjà
gamer avant que le jeu ne sorte. Je vous propose ici un test aux
allures très subjectives, j'en concède, mais néanmoins critiques.
Laissez-moi vous narrez cette extraordinaire aventure qu'est Metal Gear
Solid 2 : Son's of liberty.

Kojima ou l'art du lancement...
Je ne cautionne pas les dires de certains,comme quoi l'aventure MGS2 aurait commencé 2 ans avant sa sortie, au
fil des trailers exposés aux différents salons. Selon moi, le jeu se
suffit à lui-même et n'a pas à taper dans le buzz du lancement.
Cependant, il est indéniable que Kojima a procédé à ce lancement avec
brio (ce qui deviendra, dés lors, une marque de fabrique assez
gonflante).  Au fil d'incessantes vidéos, Kojima nous a fait entrevoir
ce à quoi allé ressembler son jeu. On pouvait y voir un Snake fringant,
qui allait à nouveau être l'héroïque héros d'une héroïque aventure.
"Snake's back" ne cessez de répéter le père Kojima, et quand on sait la
chute, on ne peut s'empêcher de voir le léger rictus qui alors affublé
son faciès. Snake est de retour... Ou pas. Quelle surprise en effet,
quel étonnement, quand, au bout d'à peine deux heures de jeu, Solid
Snake, le légendaire héros de Shadow Moses est substitué par un dénommé
Raiden, agent androgyne du Foxhound en combinaison moulante... Kojima a
inventé le trailer de l'arnaque, le lancement contre-spoilerisant.
Appelez ça comme vous voudrez. Mais, selon moi, le lancement du jeu
n'est qu'un outil pour faire monter la sauce et les choses sérieuses ne
commencent que une fois le jeu dans la console. Qui donc est ce Raiden
? Il s'agit là, ni plus ni moins d'un coup de maître. Solid Snake, le
héros légendaire au charisme si particulier, qui en avait fait vibrer
plus d'un durant le premier opus, voit sa place de personnage principal
concédée par un bleu de Foxhound. Si certains auront crié à la
traîtrise, au dégoût, il n'empêche que le jeu n'aurait pas eu la même
portée si Snake avait était entre nos mains. Raiden est de loin l'un
des personnages des plus torturés de la série, et il a une consistance,
un statut psychologique et une façon de percevoir les choses travaillés
comme rarement dans le jeu-vidéo.

L'art du scénar'
Raiden et le joueur, une situation privilégiée...

Je
profite de la transition qui m'est offerte pour basculer sur le
scénario. Un autre jeu aurait certainement préféré commencer par le
gameplay, mais dans un jeu comme MGS2, on peut faire dans tous les
sens. Revenons-en à Raiden, première grande surprise (bien que le
prologue avec Snake sur le tanker soit déjà assez foisonnant en terme
de révélations). Le fait de contrôler Raiden n'a pas d'incidence sur le
gameplay (si ce n'est une roulade exclusive) mais un impact sans
précédent sur le scénario. D'abord, le recul forcé quant au personnage
de Snake (qui en aura rebuté certains) nous le fait voir sous un nouvel
angle. Ne pouvant le diriger, Snake (d'abord apparaissant sous le
pseudonyme plein de résonance de Iroquois Pliskin) devient alors le
maître, la légende inaccessible (qu'il refuse de porter en lui), le
héros de l'ombre. Son charisme se voit redoubler du fait de son absence
entre nos mains. Mais ce n'est pas que dans les cut-scenes que s'exerce
cette sorte de "charismatisation" par l'absence. En effet,
l'injouabilité de Snake en terme de gameplay contribue également à son
charisme : Pour Snake, plus de Game Over, plus d'alertes indésirables,
plus de chutes sur des déjections de mouettes. On laisse tout ça à ce
pauvre Raiden. Et Raiden grandit alors dans l'ombre de Snake, autant
par la façon dont est amené le scénario, que par la frustration du
joueur de ne pas jouer Snake. Raiden lui-même préférerait sans doute
être dans la peau de Snake, car, au fond, Raiden, c'est le joueur. Tout
au long du jeu, le scénario appelle à une forme de distanciation
vidéoludique, déjà initié dans le premier opus avec la confrontation
avec Psycho Mantis et la légendaire séquence de la manette. MGS2 va
plus loin. On apprend que Raiden est un bleu, uniquement entraîné par
les VR Missions (Missions en réalité virtuelles, faisant intervenir la
douleur mais repoussant néanmoins la peur de la mort). Bourré de
nanomachines et survitaminé à la réalité virtuelle, il est l'allégorie
du joueur, et le joueur lui-même le contrôle. Cette idée atteint son
paroxysme à la fin du jeu. Tout d'abord, lors du passage dans Arsenal
Gear (une forteresse nucléaire mouvante qui détient un système de
traitement des informations planétaires), le colonel (sorte d'allégorie
du dirigisme vidéoludique) qui s'avère être une intelligence
artificielle qui défaille nous recommande "d'éteindre la console" car
nous jouons depuis trop longtemps. Des extraits de vidéo de Metal Gear
(premier du nom, sortit sur MSX) défilent sur l'écran du Codec... La
distanciation est bien là. La condition de pion de Raiden, constamment
remise en question dans le jeu, confirme l'idée, et la forme de
narration interne nous fait percevoir le scénario par le regard de
Raiden.

Complexe, c'est le mot.
Le
scénario lui même est construit sur un schème graduel. On part d'un
pitch lambda : Solid Snake, héros de Shadow Moses et devenu mercenaire
dans l'organisation Philantropy infiltre un Tanker de l'armée
américaine pour prendre des clichés d'une supputée nouvelle arme
nucléaire possédée par les Marines. Mais les choses changent vite et
les révélations ne se font pas prier quand on apprend que Revolver
Ocelot, ancien ennemi de Snake, est sur place. On va de conspiration en
conspiration, de manipulation en manipulation. Deux ans après
l'incident du Tanker, on retrouve Raiden qui, lui, est envoyé par
l'organisation Foxhound (ancienne maison de Snake) sur la BIg Shell,
une plate-forme pétrolière prise par des terroristes menaçant les
Etats-Unis d'une catastrophe écologique et ayant à leur solde le
président James Johnson. Là encore on repart sur un pitch banal, mais
les révélations se multiplient et c'est une véritable théorie du
complot qui se met en place quand interviennent les Patriotes, un
groupuscule qu'on dit entité, contrôlant la totalité des Etats-Unis,
des échanges boursiers au prix de la baguette (ou disons du donut). On
arrive à une complexité scénaristique assez hors-norme dans le cadre du
jeu-vidéo. Mais il s'agit d'une histoire pleine de résonance quant à la
société actuelle, une fable moderne qui pointe du doigt des problèmes
de société due à l'essor technologique, aux contrôles gouvernementales
incessants, au déploiement d'internet et au traitement de l'information
vivace qu'il engendre. Il y a dans le scénario de MGS2 une richesse, un
foisonnement rare. La génétique, le problème nucléaire, déjà largement
traités dans le premier opus, sont là encore remis en question. Des
thèmes chers à Kojima et qu'il traite avec brio.
Les personnages
desservent cette fable des temps moderne avec une force surprenante.
Qu'il s'agisse du statut refoulé de héros de Snake et de  l'ouverture
sur le monde qu'il a parvenu à apprivoiser, ou encore de la condition
de pion de Raiden et de son sombre passé qui refait surface. Il y a un
soin apporté à ce scénario, un soin qui en fait une histoire complexe
aux sonorités philosophiques et sociologiques.
 

Vous avez dit film interactif ?
Inutile
de l'euphémiser, MGS2 c'est à peu près 730 minutes de cinématiques et
de dialogues (soit 12 heures environ). Et c'est le temps nécessaire
pour qu'un scénario d'une telle ampleur puisse se construire. Le prix à
payer diront certains, car cet aspect "film interactif" a été
énormément décrié par beaucoup de joueurs. Il n'y là aucun deal
possible, on aime, on aime pas. Mais dans film interactif, il y a film.
Kojima, on le sait, est friand de cinéma et on le voit bien dans ces
jeux. MGS2 ne déroge pas à la règle, loin de là. Que ce soit dans le
traitement du scénario, dans le soin tout particulier apporté à chaque
cinématiques, dans la musique on ne peut plus holywoodienne, il est
indéniable de constater à quel point MGS2 se rapproche du monde du
cinéma. MGS2 s'éloigne, il est vrai, par moment du jeu, il s'agit
parfois d'une aventure interactive, mais quelle aventure !

Un peu de gameplay quand même...

Mais
où se situe le gameplay là-dedans. Pour faire court (car ce test prend
des allures de roman), le gameplay, génial en son heure, revient sur
les bases du premier opus et le gonfle d'ajouts intéressants. Mais là
où il prend tout son sens, c'est dans la façon dont il dessert le reste
du jeu. Bien entendu il s'agit avant tout d'une mécanique
d'infiltration géniale, aux nombreuses possibilités. Ainsi le joueur,
plus encore que dans le premier, peut choisir la façon dont il désire
progresser, que ce soit en fin espion, ou en bourin à la gâchette
facile. On y ajoute des duels avec les boss, marque de fabrique de la
série initié dans le premier épisode sur MSX, toujours aussi grandioses
et variés. On passe du plastiqueur fou Fatman à un duel mythique contre
Solidus au Katana sur le Federall Hall en passant par un combat face à
un avion de chasse. Et là où MGS2 frappe fort, c'est dans la façon,
comme dit plus haut, où il dessert le scénario. Les séquences
contextuelles dramatisent l'action, et l'immersion suscitée par les
événements en jeu est telle que le gameplay devient palpitant. De la
sorte, on se retrouve à désamorcer des bombes au spray gelant ou encore
à nager dans les couloirs inondés de la Big Shell. Le gameplay de MGS2
est une mécanique bien rôdé qui s'inscrit dans la bonne mécanique du
jeu dans sa globalité.

Quand le jeu-vidéo transcende le jeu-vidéo...

C'est
ainsi que l'on peut conclure cette critique, car MGS2, oeuvre
hors-norme de par son traitement et sa profondeur. Metal Gear Solid 2
est un jeu hors-norme, à part, qui puise dans des ressources aussi
étonnantes que barriolées. Une fable post-moderne numérique. En somme,
MGS2 est sûrement le chef d'oeuvre absolu de Kojima, qui, par la suite,
ne retrouvera pas ce même niveau d'absolution...