Avec L.A. Noire, Rockstar ne fait plus dans la caricature et la parodie. Nous ne sommes plus à Los Santos, ville fictive, mais bien à Los Angeles où l'on croisera d'ailleurs Mickey Cohen. La ville semble à échelle. Les zones résidentielles ne se limitent pas à cinq maisons comme dans Liberty City, ce sont carrément des quartiers au complet. La carte est gigantesque, et se rendre d'un extrême à l'autre prend du temps. C'est très impressionnant, et un indéniable point fort du titre.

Mieux encore, au gré des enquêtes, on visitera la ville en profondeur. Moins cosmétique que les mondes ouverts de Liberty City et Red Dead Redemption, peut-être aussi moins charmante au départ, la ville de Los Angeles de L.A. Noire est surtout plus fouillée. Mais pour le savoir, il faudra la parcourir. On y découvrira la vie quotidienne à travers la visite de bars, de chambres d'hôtel, d'intérieurs de maisons et d'appartements, de marchés aux fruits, d'ateliers d'accessoires de cinéma, d'hôpitaux, et aussi, bien entendu, des commissariats. Ainsi la ville n'est pas seulement extérieure, elle fourmille de lieux privés et de lieux d'intimités. On conduira et croisera de véritables véhicules d'époque. Il y a un aspect documentaire très poussé dans L.A. Noire qui est à souligner. En gros, et ce sera pareil au niveau de la scénarisation, L.A. Noire fout la honte à toute l'industrie.

L.A. Noire se veut plus cérébral que les autres productions Rockstar. Le free-roam est réduit au minimum. Il est difficile de renverser des passants, la plupart du temps ils évitent le véhicule, et d'ailleurs nous sommes punis par de moins bons résultats sur le rapport tandis que notre coéquipier nous engueule copieusement. On ne peut pas sortir son arme lorsqu'on en a envie, mais seulement à des moments spécifiques, et d'ailleurs parfois, même si l'arme est sortie, on ne peut pas l'utiliser. Pas d'accidents spectaculaires non plus, de spots pour faire des cascades. C'est à la fois un parti pris tout à fait légitime, et une mesure d'économie. Difficile d'avoir un moteur physique performant avec une profondeur de champ pareil et une myriade de détails. En somme, la Team Bondi a éliminé au maximum le fun immédiat, et il me semble que c'est une bonne idée. Ça favorise une immersion certes moins directe, mais plus profonde et surtout beaucoup plus authentique.

Sans m'attarder sur le scénario qui est un autre point fort indéniable du titre, il est écrit avec intelligence. Alors que nous poursuivons nos enquêtes dans une sorte de petite routine, une histoire plus vaste se dévoile par touches. Parfait pour un open-world. La qualité d'écriture est tout bonnement exceptionnelle pour du jeu vidéo, et les cinématiques jouissent d'une très belle mise en scène, tandis que la musique vient nous plonger encore plus en profondeur dans le charme vénéneux et suranné de la fin des années 40. En somme, j'ai eu l'impression au départ de jouer à L.A. Confidential et au Dalhia Noir, et non à une parodie simiesque comme sur GTA4 et RDR. Cela est renforcé par les mille visages qu'on croise à travers nos enquêtes. Pas forcément convaincu par le motionscan, je le suis beaucoup plus par la qualité de modélisation des visages. Ils font vrais. Certains ont ce qu'on appelle des gueules. Nos coéquipiers, entre le gros connard borné ou le cynique limite corrompu, renforcent aussi le caractère authentique de l'entreprise. On peut y croire sans éteindre son cerveau ou fermer les yeux.

Seulement, au milieu du jeu, le charme s'est évaporé. La Team Bondi raconte qu'avec L.A. Noire, ils ont réfléchi à comment mettre la narration au coeur du gameplay. Ils ont magistralement échoué. La narration est là, omniprésente, mais au détriment du jeu. Le gameplay, superbement mis en scène, m'a charmé sur environ une dizaine d'enquêtes, le temps de la désillusion. Il est varié, et parcourir une scène de crime, c'est vraiment le pied. Sauf qu'on a aucun réel impact sur les enquêtes, qu'on peut rater la majorité des indices et des interrogatoires et quand même clore une affaire. Tout est ultrascripté, automatisé à outrance, assisté jusqu'à l'os. Les interrogatoires sont mal fichus. Comme ils ne fonctionnent pas par mots-clés, on ne sait jamais ce qui va sortir de la bouche de notre inspecteur. Ils tiennent donc plus du hasard que d'autre chose. On ne peut pas récolter de mauvais indices, donc impossible d'aller sur une fausse piste, et il arrivera d'ailleurs qu'on inculpe un suspect qu'on sait innocent, parce que c'est prévu au programme. On se sent très à l'étroit, de plus en plus à mesure qu'on avance, car pratiquement rien ne repose sur la déduction, on suit des rails. Les courses-poursuites, à pieds ou en voiture, sont elles aussi scriptées à fond, sans vraie marge de manoeuvre. Ironiquement, l'aspect du gameplay qui m'a paru le plus réussi, ce sont les gunfights. Courts et expéditifs, on se retrouve souvent face à un maximum de trois ou quatre ennemis, ce qui permet de conserver au jeu une certaine crédibilité.

Je suis presque à la fin de L.A. Noire, et j'ai du mal à le terminer. Les enquêtes sont de plus en plus longues, c'est fastidieux car quoi que je fasse, j'ai de moins en moins l'impression de jouer, de participer à l'aventure. Je ne sers pas à grand-chose, si ce n'est appuyer sur des boutons. Un jeu no-skill, donc un faux jeu, un jeu joué d'avance, ou je dois suivre gentiment les étapes imposées en m'extasiant de l'atmosphère et du scénario ? C'est d'un ennui très profond. Certes, il y a ici et là des événements qui changent si je tarde trop, ou si je loupe un indice, mais le gros du jeu n'offre aucun choix. On tenait là le plus grand jeu vidéo de l'histoire, et la Team Bondi n'en a fait qu'un truc vaguement interractif. En délaissant ce qui fait la force du jeu vidéo, L.A. Noire, malgré ses immenses qualités, me semble au final complètement vain et inutile. C'est comme voir une pièce de théâtre à la télévision, ou tenir la chandelle d'un couple dont vous êtes amoureux de la fille, ou acheter une voiture qui n'a pas de roues.