Gameblog : Contrairement à bon nombre de compositeurs, il semble très difficile de reconnaître votre travail à la première écoute, c'est comme si vous cachiez votre marque de fabrique. Qu'est-ce qui définit donc le "style Coker" ?

Gareth Coker : Wow, vous y allez fort dès la première question ! Si j'essaie de regarder mon travail avec objectivité, ce qui n'est pas évident, je pense que les gens peuvent ressentir l'émotion que j'espère apporter en fonction du jeu. Tout ce qui relève de la technique ne m'intéresse pas vraiment, seul compte le ressenti, j'appelle ça « la vibe ». Si je devais prendre un exemple pour l'illustrer, ce serait Doom : lorsque vous y jouez, vous avez ce sentiment très particulier, très agressif, qui vous pousse naturellement à aller tuer de plus en plus de démons. J'ai la chance de travailler sur des jeux aux univers assez uniques, généralement fantastiques, et il me faut à tout prix vous y emmener. Mais attention : je ne dicte pas ce qu'il faut ressentir. Et c'est encore plus particulièrement le cas avec Ori, qui se base sur le concept de famille : tous les gens dans cette pièce en ont une vision différente. Ce que je veux , quitte à paraître cul-cul, c'est que la musique doit vous toucher en plein coeur. Je vais vous donner un exemple, vous avez déjà vu E.T. ?

Euuuuuuh...

Bon, je vous la fais courte : tout le film tourne autour d'une scène très particulière, celle du vélo qui s'envole, et passe devant la lune. Certains spectateurs vont pleurer devant cette scène, quand d'autres seront remplis de joie, tout dépend de votre vécu. C'est ce que j'espère faire avec ma musique.

Est-ce pour cela qu'il est si important pour vous de jouer en profondeur aux jeux pour lesquels vous composez ?

C'est impossible de faire autrement ! Surtout avec Ori, qui va énormément jouer avec les sentiments. Si je ne comprends pas ce qu'il raconte, comment pouvais-je le retranscrire ? Cette fois, la musique change en fonction du gameplay, parfois brièvement. La plupart du temps, vous avez un morceau par environnement, et c'est tout. Ici, on peut en avoir jusqu'à sept ! Les joueurs ne le remarquent peut-être pas, mais vous entendez généralement la même musique en boucle lorsque vous explorez un environnement déterminé. Je veux que la musique change le plus souvent possible, car sa variété permet un attachement émotionnel plus important.

Vous avez la chance avec Ori de composer pour un jeu à la narration non-verbale, qui vous laisse a priori une plus grande place pour vous exprimer.

Le danger dans ce genre de situation, c'est d'en faire trop. Et il n'y a rien de pire que d'essayer d'en faire des caisses : si je vous envoie trop d'informations, alors vous ne profiterez pas autant du visuel, ou de l'animation, etc... Tout doit fonctionner de concert. Si vous n'arrivez pas à moduler votre travail, et que vous cherchez tout le temps à occuper l'espace, cela aura moins d'impact au moment où cela compte justement le plus. La musique détermine en quelque sorte le rythme d'une aventure, et j'ai tendance à penser que les compositeurs feraient d'excellent monteurs de films !

Du coup, j'imagine que vous participez également à l'arbitrage, puisque vos thèmes s'enchaînent souvent avec une certaine subtilité, qui nécessite de maîtriser l'ensemble des compositions pour parvenir à un mélange à peine perceptible.

Tout à fait. En réalité, cela fait très longtemps que je joue au jeu : j'ai commencé alors qu'il n'y avait encore aucun décor, juste des formes géométriques, mais cela me permet de comprendre son rythme. Et lorsque les décors arrivent, je commence à associer les instruments aux différentes couleurs. Et puis l'histoire émerge, et je peux associer des mélodies aux personnages. Si j'arrivais plus tard dans le projet, il ne me serait pas possible d'avoir autant de connaissance sur l'univers du jeu, et il me faut donc jouer encore et encore.