GAMEBLOG : Annoncé en 2013, Quantum Break ne sortira qu'en avril 2016. Qu'est-ce qui vous a pris autant de temps ?

Sam Lake : Ça a été un long chemin. Il y a de multiples raisons à cela. La première d'entre elles, c'est que créer un nouveau concept et une nouvelle franchise. Il y a tellement de défis à relever : une nouvelle plate-forme, la Xbox One, qui n'était même pas encore sortie au moment où nous débutions. Il fallait, en quelque sorte, avec notre propre technologie, atteindre une cible mouvante ; créer tous les outils pour les doubles numériques des acteurs ; penser à un jeu et un show télévisé, ce qui n'a jamais été accompli de cette façon.

Penser un nouveau gameplay, un nouveau monde, une nouvelle histoire, de nouveaux personnages... ça fait beaucoup de premières fois. Cela signifie prototypes et essais, trouver ce qui ne fonctionne pas et comment améliorer les idées les plus excitantes. Il y a eu beaucoup de découverte et d'apprentissage au cours du développement. Ce qui prend du temps. En outre, Remedy, en tant que studio indépendant, n'abrite que 130 personnes. A l'échelle des jeux et studios Triple A, nous sommes petits. Ce qui par définition signifie que nous prendrons toujours plus temps.

Comment a évolué l'histoire du projet qui, à l'instar d'Alan Wake, a l'air d'avoir énormément changé par rapport à ses débuts ?

J'aime à penser en regardant les premiers concepts du projet que nous avons gardé le coeur et l'âme de l'histoire. Tellement de choses ont changé en cours de route. Cela fait partie du processus itératif. Il y a tellement d'éléments en mouvement en même temps que l'on tente de faire s'imbriquer.

Si on trouve une idée surprenante et excitante à un moment, qu'on a envie de l'implémenter, on doit ajuster le reste. On apprend tout au long du développement.

Comment se fait-il que Remedy soit à ce point obsédé par le temps et sa manipulation (qu'on trouve également travers le bullet-time de Max Payne, réemployé pour la mise en scène d'Alan Wake) ?

C'est une bonne question... Je crois qu'à un certain degré, cela vous donne des thématiques intéressantes du côté de l'histoire tout en fonctionnant très bien comme élément de gameplay. De toute évidence, dans Max Payne, ce n'était pas la même chose. Ce n'était pas réel, c'était plutôt dans sa tête, la façon dont il vivait les situations et c'était simplement, à un niveau cinématique, une stylisation devenue un élément interactif. Dans Quantum Break, l'approche est différente. C'est de la Science-Fiction. Tout ce qui arrive est réel. Il y a de véritables pouvoir temporels. Le temps se casse réellement. Ce n'est plus symbolique.

Et pour être honnête, la toute première chose qui nous a amené sur le chemin de Quantum Break, c'est l'idée que nous voulons inclure des éléments d'histoire interactifs dans notre narration. C'est la façon dont nous voulons aller de l'avant en termes narratifs, donner au joueur l'opportunité d'affecter l'histoire et faire des choix.

Puis je me suis interrogé. Quel genre correspondrait le mieux à ce genre d'idées ? Et j'ai pensé au voyage dans le temps. Les plus classiques et basiques histoires de voyages dans le temps traitent habituellement de quelque chose qui s'est mal passé avec un désir de revenir en arrière pour changer les événements. C'était le point de départ : narration interactive et voyages dans le temps.

En réalité, le côté action du concept, les pouvoirs temporels sont arrivés sensiblement plus tard. Nous nous sommes dits : "si on aborde les voyages dans le temps, alors ce sera une question de temps. Que pouvons-nous faire de plus avec le temps ?" Puis l'idée du temps qui se fracture, de la manipulation de celui-ci... Puis cela a été un long processus rempli de dessins sur table, de prototypes pour déterminer l'assemblage de pouvoirs qui aiderait à élever un cover-shooter basique en jeu d'action spectaculaire et dynamique.

En regardant le succès d'expériences narratives telles que The Walking Dead ou Life is Strange, qui est très intéressant car il traite aussi de manipulations temporelles, vous vous dites que Quantum Break aurait pu être cet acabit au lieu d'être un jeu d'action ?

Life is Strange est formidable et j'adore les jeux de Telltale Games. Je ne dis pas que nous créerons jamais d'expérience de ce type, purement narratives. Mais en termes d'échelle, d'équipe, de budget, ce sont des jeux qui ont tendance à être plus petits. Concernant les Triple A, destinés au grand public, ce sont toujours des jeux bourrés d'action, des expériences explosives et ils ne sont jamais denués d'éléments d'action ou d'aventure. Nous avons toujours créé des expériences de cette envergure. Je ne sais pas si ce toujours le cas, mais c'est ce que nous avons également essayé de faire avec Quantum Break.

Pouvez-vous nous parler de la façon dont les personnages, l'histoire ont émergé et la façon dont le concept de la série est arrivé ?

Nous avons souhaité avoir une série live-action très rapidement. Pour moi, il s'agissait d'une progression logique. Si nous en revenons à Max Payne, dans le monde actuel, nous sommes toujours entourés d'autres médias. Ce monde est plein d'histoires auxquelles nous sommes confrontés en permanence. À l'époque, nous avions ajouté à l'expérience ces séries télévisées in-game qui faisaient d'une certaine manière partie de l'histoire. Vous pouviez les considérer comme des blagues, mais ces séries renvoyaient en quelque sorte au périple de Max. Un peu comme un miroir déformant. Les thèmes étaient les mêmes. Dans Alan Wake, nous avions la préquelle live action Bright Falls, nous poussions donc la chose encore plus loin et nous avions du live action dans les télévisions présentes dans le jeu. Puis dans American Nightmare nous avions des cutscenes avec de vrais acteurs, pour expérimenter.

Cette idée d'aller encore plus loin et d'avoir une série en parallèle de la narration du jeu était ce que nous voulions vraiment essayer. Et heureusement, parler avec Microsoft au sujet de la Xbox One... Ils avaient déjà l'envie de proposer une machine de divertissement complet, avec des séries. Nous étions très excités à ce moment-là. Et ils nous ont dit : « Pourquoi ne pas voir plus grand encore ? ». Alors nous avons vu et fait plus grand (rires). Au début, c'était davantage en parallèle que connecté. J'ai pris conscience que ce serait très, très difficile de parvenir à lier le jeu et la série, mais j'ai toujours pensé qu'il fallait essayer. Parce que ce serait quelque chose que personne n'a fait auparavant. Et c'est le genre de défi et d'ambition qui en vaut la peine. Tout s'est fait étape par étape jusqu'à ce que l'on soulève l'idée que chacun représente une facette de notre histoire. Vous jouez le héros, c'est le voyage d'un héros. Mais dans un même temps, lorsque vous regardez les séries télévisées modernes, certaines sont de grande qualité et proposent des protagonistes avec des défauts qui en font quasiment des vilains. Il n'y a plus tant de héros dans la télévision d'aujourd'hui. On tend à dépeindre des bad guys. On s'est dits qu'on devait faire la même chose, proposer un aperçu de ce qui se passe du côté de Monarch Solutions, dans le camp ennemi.

Comment est venue cette idée d'avoir aussi Paul Serene, qu'on considère comme l'antagoniste de l'histoire, jouable ?

Je pensais à la façon dont nous allions amener les moments de jonction. Nous avons réfléchi à des pouvoirs de jonction, mais au départ cela ne voulait pas dire que nous allions jouer le bad guy. Pour cela, j'ai pensé à certains films d'action, de bons films d'action où le méchant vole littéralement la vedette parce qu'il est intéressant, complexe, charismatique. Je voulais que ce soit ainsi avec Paul.

Dans ces films d'action, on voit ce qui se passe de son côté. On ne reste pas attaché au point de vue du héros. Je me suis demandé ce que serait une version jeu vidéo de cette idée. Donnons à Paul les pouvoirs plus impressionnants, procurons la sensation qu'il ne peut être vaincu. C'est ce qu'est un bon vilain pour moi. Et pourquoi pas le rendre jouable et prendre des décisions pour lui ? Cela donne une version interactive des moments où l'on sait ce qu'est en train de faire le bad guy. Vous vivrez ces moments avec Paul dans le jeu.

A propos d'Alan Wake 2, que vous avez en quelque sorte promis dans une vidéo pour Game Informer, avez-vous l'intention de le sortir sur cette génération de machines ?

Je n'en ai aucune idée. Je n'ai malheureusement rien de solide à vous donner à ce sujet. Nous sommes surtout focalisés sur la fin du développement de Quantum Break. Bien sûr, en tant que studio indé, nous étudions d'autres concepts en toile de fond. Mais il n'y a rien de nouveau à dire à ce sujet.

En tant que créatif, rien ne me ferait plus plaisir que davantage d'Alan Wake à un moment. Nous avons des idées vraiment cool à mettre en place si l'opportunité se présente. Mais il faut revenir aux réalités du business pour que ça arrive. Ca impliquerait un financement, un accord et des opportunités de créer quelque chose. Mais oui, il n'y a rien que j'aimerais plus que ça.

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