Qui de SEGA ou de Game Freak a approché l'autre en premier ?

James Turner : Il y a eu des réunions il y a environ un an et nous étions déjà en train de travailler sur Tembo. Nous avons invité les gars dans la pièce dans laquelle nous étions en train de travailler (sur le jeu) afin qu'ils y jettent un coup d'oeil. Ils ont vraiment aimé ce qu'ils ont vu et le partenariat a commencé à partir de là.

Comment vous est venue l'idée de Tembo ?

J'ai toujours voulu créer un jeu d'action basé sur une "mascotte" animale en héros, similaire aux jeux de l'ère 16-bit comme Sonic The Hedgehog ou Earthworm Jim, ou même Crash Bandicoot pour prendre un exemple plus récent. J'ai toujours eu envie de faire un jeu comme ça et j'avais en tête l'idée de faire d'un éléphant le héros car je pensais que cela pourrait être très marrant. Ce dernier serait un personnage lourd et puissant qui pourrait envoyer de l'eau et s'accrocher avec sa trompe. Je me suis dit que ça pourrait faire un jeu amusant. C'est à partir de ça que nous avons commencé à creuser l'idée.

C'était il y a combien de temps ?

Il y a environ un an et demi.

À première vue, Tembo ressemble aux types de jeux qui sortent actuellement sur smartphones et tablettes. Pourquoi avoir décidé de le sortir sur consoles de salon ?

C'est lié au concept original du jeu qui est celui d'un jeu d'Action-Plates-Formes totalement contrôlable. Les modes de contrôle tactiles sont bons à leur manière, mais ils réduisent le degré de contrôle auquel vous avez habituellement accès dans ce genre de jeux. C'est pour ça que sur smartphones et tablettes les personnages courent automatiquement. La jouabilité tactile ne permet que de sauter ou attaquer. Nous souhaitions créer un personnage nettement plus satisfaisant et totalement contrôlable. Voilà pourquoi nous avions besoin d'une manette ou d'un joypad et donc de sortir le jeu sur PC, PlayStation et Xbox.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de l'histoire et de l'univers du jeu ?

Tembo vient d'un pays asiatique du nom de Tusquan où une guerre du style de la guerre du Vietnam a fait rage 20 ans avant le début du jeu. Là-bas existait un soldat du nom de Général Krenman qui est devenu ami avec Tembo et qui l'a utilisé comme "éléphant de guerre" pendant le conflit. Après cette guerre, Craneman est rentré dans sa ville natale. Mais 20 ans plus tard, cette ville est envahie par une armée maléfique du nom de Phantom et Krenman se rend compte qu'il a besoin de renforts vraiment puissants pour affronter cette armée. C'est pourquoi il fait appel à son vieil ami Tembo qui est resté dans la jungle. Tembo le rejoint alors en volant au dessus de la mer, porté par des oiseaux. Le jeu débute alors que Tembo arrive en ville et commence à affronter l'armée Phantom.

Comme vous le disiez plus tôt, Tembo est un jeu de plates-formes avec un animal comme mascotte/personnage principal. D'après vous, pourquoi ce type de jeu n'est-il plus sur le devant de la scène comme il a pu l'être dans les années 90 ?

Je ne sais pas, et c'est une des raisons principales pour lesquelles je voulais faire ce jeu, parce que vous n'en voyez plus beaucoup. Il y a pas mal de jeux à défilement horizontal sur Steam et même sur PlayStation et Xbox, mais vous ne voyez pas de jeux à défilement horizontal mettant en scène des personnages uniques disposant de nombreuses compétences. Je ne sais pas pourquoi il y en a moins mais je suis content d'avoir eu l'opportunité d'en faire un.

À titre personnel, qu'est-ce que vous appréciez le plus au sujet du jeu ?

D'un point de vue de joueur ou d'une personne qui a travaillé dessus ?

Les deux.

Du point de vue du gameplay, il est tout simplement amusant de détruire des trucs. C'est quelque chose que j'aime beaucoup. Nous avons mis beaucoup d'objets comme des maisons, des tanks ennemis, ou des murs en béton, et le moteur Unity que nous utilisons a de très bonnes capacités en matière de physique. Le héros est très lourd et puissant et c'est vraiment amusant de l'envoyer à travers tous ces objets et de lui faire détruire des trucs. C'est ce que je préfère dans le jeu.

Et pour ce qui est du projet, c'est toujours amusant de dessiner un personnage, de l'intégrer dans Unity, d'augmenter ses capacités, et de le voir commencer à bouger et attaquer de plus en plus. Et quand toutes les attaques sont établies et que les ennemis réagissent au personnage, vous avez cette première étincelle qui vous fait dire "oh ça va être marrant !" C'est un moment vraiment appréciable.

Combien de personnes travaillent sur le jeu ?

Chez Game Freak, cela représentait environ 15 personnes. Il y a beaucoup d'autres personnes également impliquées du côté de SEGA.

Vu que vous avez créé tout un univers autour du jeu, voyez-vous Tembo comme un jeu unique ou une potentielle licence ?

Il y a de nombreuses possibilités. Je pense que la thématique de la guerre peut être creusée et il serait également possible de mettre en scène d'autres amis animaux de Tembo venant lui prêter main forte. Il y a de nombreuses possibilités mais il faut d'abord voir comment celui-là va s'en sortir (autrement dit, comment il va se vendre, ndlr).

Game Freak est principalement connu pour son travail sur la série des Pokémon. En quoi le développement d'un titre comme Tembo diffère-t-il du développement d'un Pokémon ?

Avec Tembo, vous partez de rien. Vous utilisez d'autres jeux que vous appréciez comme références mais dans les faits vous devez trouver un nouveau style de gameplay. Vous inventez des trucs au fur et à mesure et vous les essayez afin de trouver ce qui fonctionnera bien. À l'inverse, quand vous travaillez sur Pokémon, vous avez d'emblée une idée du type de gameplay que proposera le jeu et de la structure dont il disposera. Travailler sur de petits jeux comme Tembo est quelque chose d'un peu plus imprévisible et improvisé. Mais c'est également excitant grâce à ça.

Pensez-vous qu'il est nécessaire pour Game Freak de sortir de la bulle Pokémon de temps en temps ?

Tout le monde ici aime vraiment les jeux et nous avons de nombreuses idées de jeux. Je pense que c'est génial. Tout le monde au sein de la société apprécie que cette dernière vous donne la possibilité d'essayer de concrétiser ces idées et de tenter de nouvelles choses. Cela permet à Game Freak de rester intéressant (pour ses employés) et aux employés de rester motivés.

Comment avez-vous soumis l'idée de Tembo à vos supérieurs chez Game Freak ?

Au sein de l'entreprise, il y a une sorte de compétition tous les deux ans. Pendant cette compétition, tous les employés ont l'opportunité de réfléchir à leurs propres idées, de créer des documents, et de les envoyer à notre producteur Watanabe-san (Tetsuya Watanabe est producteur chez Game Freak, et également lead programmer des Pokémon, ndlr). Nos supérieurs regardent ensuite tous les documents et cherchent ceux qui ont l'air les plus amusants et les plus prometteurs. Le gagnant de ce premier tour peut ensuite créer une démo de son projet. Si cette démo est bonne, le jeu passe ensuite en production. Et c'est ce qui s'est passé pour ce jeu.

Vous dites que l'équipe de Game Freak a en permanence de nouvelles idées de jeux autres que des épisodes de Pokémon. Dans ce cas, pourquoi ne sortez-vous pas davantage de jeux non-Pokémon ?

(rire gêné) Eh bien, je dirais qu'il s'agit d'une question qu'il faudrait poser à des gens plus haut placés dans la société.

Pensez-vous que le studio a envie de créer de nouvelles licences ?

Oui, nous avons un département production qui se consacre intégralement à la création de nouveaux jeux et de nouvelles licences.

Est-ce que le fait de travailler sur des jeux comme Tembo et d'autres nouvelles licences vous permet d'apporter de nouvelles idées aux jeux Pokémon ?

Oh oui, je le pense vraiment ! Rien que d'un point de vue purement technique, le travail que nous avons effectué sur Harmo Knight nous a permis d'utiliser les capacités de la 3DS en matière de 3D, et cela nous a aidé lorsque nous avons développé Pokémon X et Y. L'expérience que nos artistes et nos programmeurs ont gagné sur Harmo Knight nous a aidé à développer ce dernier jeu. Je pense que les connaissances sont partagées au sein du studio et c'est une des raisons pour lesquelles nous avons deux départements de production.

Lorsqu'on est habitué à travailler sur consoles portables et plus particulièrement sur 3DS, est-il difficile de développer un titre sur consoles de salon New-Gen comme la PS4 et la Xbox One ?

Non, ce n'est pas difficile. Je ne sais pas pourquoi, mais les choses se sont faites naturellement. Nous jouons avec ces consoles à la maison et nous savons ce dont elles sont capables d'un point de vue graphique. D'une certaine manière, c'est libérateur de pouvoir utiliser des textures haute résolution et un très grand nombre de polygones supplémentaires. Quand vous travaillez sur une console plus limitée techniquement, il y a toujours cette masse de travail supplémentaire qui consiste à réduire ce que vous faites pour que cela tourne correctement. Mais avec des plates-formes comme Xbox, PlayStation et Steam, vous avez la liberté de repousser vos limites en matière de textures et de polygones. D'un point de vue artistique, cela ne pose strictement aucun problème. Unity est un moteur sur lequel il est très simple de travailler.

Il semblerait donc que travailler sur Tembo est en quelque sorte des vacances loin de Pokémon pour vous.

Je pense qu'on peut dire ça oui (rires).

Vous avez dit plus tôt que vos idées sont limitées par la puissance de la 3DS. Je suis certain que vous êtes conscients que les joueurs réclament depuis des années un vrai RPG Pokémon sur console de salon. Pensez-vous que c'est quelque chose que vous ferez un jour ?

Et bien... (long blanc... James Turner parle à côté du téléphone à son producteur). J'ai vérifié ce que je pouvais dire auprès de Watanabe-san. Il a dit que la possibilité n'était pas nulle.

Est-ce quelque chose que, personnellement, vous aimeriez faire ?

(long blanc... James Turner parle une fois encore à son producteur) Il (Watanabe-san) dit qu'un élément vraiment important au sujet des jeux Pokémon, et ce depuis le début, est l'idée de connexion et de réseau. Cette idée colle vraiment à une plate-forme mobile. Et c'est pourquoi ils ont toujours été intéressés par le potentiel des plates-formes portables. Voilà pourquoi ils se sont toujours concentrés sur ces dernières.

Sachant que Tembo est un jeu en 2D rapide et que vous travaillez dessus avec SEGA, il est impossible de ne pas penser à Sonic. Aimeriez-vous avoir un jour l'opportunité de travailler sur un jeu Sonic en 2D ?

(rire gêné) Bien sûr. (long blanc...) Ça serait amusant à faire.

Nobuyuki Minato, producteur chez SEGA, l'interrompt : C'est un sujet hautement confidentiel. Il y a quelques années nous avons sorti Sonic The Hedgehog 4 épisodes 1 et 2.

Vous êtes un développeur britannique travaillant au Japon. Comment avez-vous rejoint Game Freak ?

J'ai rejoint Game Freak il y a environ 5 ans. Avant ça, je travaillais pour une autre société japonaise du nom de Genius Sonority qui faisait également, entre autres choses, des jeux Pokémon. Là-bas j'ai travaillé sur Pokémon Link! et Pokémon Battle Revolution. J'ai toujours voulu travailler sur la série Pokémon principale et les gens de chez Game Freak avaient connaissance de mon travail effectué sur ces deux jeux. J'ai donc passé un entretien qui s'est bien passé et j'ai rejoint Game Freak.

Pensez-vous qu'il est difficile pour un Européen de travailler pour un studio japonais ?

Il y a un certain nombre d'obstacles à franchir. Le premier est celui de la langue. Ensuite, si vous êtes designer, il y a aussi celui du sens artistique. Le style et le design des personnages occidentaux sont très différents du style et design des personnages japonais. La difficulté est donc liée au fait que le studio japonais aime ou non votre style, qu'il cherche une touche occidentale. Si vous pouvez parler le Japonais, que vous êtes bon dans votre domaine, et que le studio aime votre style, il y a de bonnes chances pour que vous puissiez travailler dans un studio de développement japonais. J'ai beaucoup d'amis européens et américains qui travaillent ici.