Si on l'étudie du point de vue économique, le Jeu Vidéo n'a pas l'air en super forme. Les étals semblent encombrés de super-productions AAA pour lesquelles les gens n'ont plus assez d'argent - et toutes on coûté des millions. Des gros éditeurs comme THQ paient plein pot le prix de certaines erreurs stratégiques. Tous les quatre matins, des studios ferment, des éditeurs restructurent. Le marché américain, selon NPD, a subi un déclin de 20%, d'une année sur l'autre, tandis qu'en Grande-Bretagne, le volume des ventes de jeux a baissé de 29% en février par rapport à l'année dernière. En France aussi, le marché était à la baisse en 2011, mais dans une moindre mesure.

A l'évidence, toutes sortes de facteurs peuvent être énoncés pour justifier cette situation : le déclin de la Wii qui représentait au sommet de sa forme un volume considérable de ventes hardware et software, la crise internationale, l'approche de la fin de cycle des consoles HD, une inflexion attendue à l'issue de plusieurs années de forte croissance, etc. Pourtant, au-delà des chiffres, le jeu vidéo a surtout l'air, de plus en plus, de partir dans tous les sens. L'offre se fragmente, le marché se globalise et les filières traditionnelles (consoles, PC, et jeux retail) font face à une concurrence grandissante des nouvelles (smartphones et tablettes, réseaux sociaux, services dématérialisés naissants à la OnLive). Car si on s'en tient aux chiffres des organismes tels que NPD ou GfK arrêtés à un moment T, bien entendu, on passe à côté d'une part grandissante du Jeu Vidéo dans son ensemble, qui devient de plus en plus difficile à appréhender et à comprendre de manière globale, et cela vaut autant du point de vue des consommateurs, que de celui des producteurs de jeux.

Fragmentation, mutation, évolution ?

Tout récemment, cinq événements intéressants montrent à mon avis que plutôt que de considérer que le jeu vidéo connaît des difficultés, il semble juste subir des douleurs de croissance, se fragmenter, ou chercher à se réinventer.

Pour premier événement, je citerai la sortie de Journey. Rien de très neuf : c'est un jeu à mi-chemin entre l'indépendant et le second-party, le troisième du contrat liant le studio à Sony. Mais le statut spécial de son développeur thatgamecompany aura suffit à montrer qu'il y a de la place pour des titres soutenus par des gros acteurs, mais réalisés avec les forces des indies. D'abord une créativité certaine, ensuite une prise de risque importante, et enfin un résultat éblouissant de fraîcheur et de maturité, en termes d'expérience, de propos, et de force pour le joueur. Evidemment, il est encore trop tôt pour savoir si le jeu sera rentable, et s'il connaîtra un succès suffisamment considérable en dehors de la sphère des joueurs élitistes (intellos-bobos dirons certains), que nous pouvons être parfois. Mais en tout cas, si son cas reste aujourd'hui encore assez inhabituel au sein de la large production de jeux habituelle, il a le mérite d'exister.

Pour le second événement, une fois encore rien de forcément nouveau : l'annonce de l'iPad 3 (ou plutôt du "Nouvel iPad"). Mon propos ici ne sera ni de faire l'apologie de la machine présentée par Apple, ni de la décrier (il y a des arguments dans les deux cas), mais plutôt de souligner que parmi les actualités que nous avons traitées autour du moment de son annonce, elle est parmi les plus suivies, bien entendu. Et je suis convaincu qu'aussi fantastique ou décevant qu'il soit, le Nouvel iPad se vendra comme le précédent, par palettes. Le jeu vidéo fait de plus en plus partie des arguments qui favorisent ce succès, comme en témoigne la keynote d'annonce avec les démos d'Epic Games ou de Namco. Apple, quoiqu'on en dise, propose aujourd'hui un écosystème parfaitement viable pour les développeurs de jeu, ce qui n'est pas véritablement le cas d'Android, handicapé par la multiplication des appareils différents (tant en termes de puissance que de résolution d'écran ou de version de l'OS), et un piratage beaucoup plus répandu (parfois, sans même que l'utilisateur ne le sache, il télécharge des applis repackagées par des gens peu scrupuleux qui n'en détiennent pas les droits). Ce Nouvel iPad incarne l'éclosion et la croissance rapide de nouveaux supports dont le modèle économique, et l'offre, impactent incontestablement le monde du Jeu Vidéo.

Pour le troisième, je parlerais de la (non-)Steambox. La rumeur a vite été démentie par VALVe, mais en quelques jours de vie, elle aura permis de se rendre compte que la création d'un hardware, par un acteur comme le créateur de Half-Life et de Steam, avait de quoi être prise très au sérieux comme, sinon un succès potentiel, du moins quelque chose qui donnait aux analystes, aux journalistes, et aux joueurs de quoi réfléchir. Une illustration supplémentaire, à mon avis, qu'il y a bien encore de la place pour de nouveaux supports, adossés à des avantages différents de ceux des consoles traditionnelles, et souvent liés à une distribution directe entre développeur/éditeur et utilisateur final.

Pour le quatrième événement, je reviendrai brièvement sur l'étonnant succès de l'initiative Kickstarter de Double Fine, grâce à laquelle Tim Schafer et Ron Gilbert se sont fait une com' d'enfer, et un paquet d'argent considérable pour développer le jeu d'aventure qu'ils voulaient faire, et que les éditeurs ne voulaient pas financer, pensant que personne n'en voudrait. Encore une nouvelle façon d'envisager la production de jeux vidéo, en dehors des modèles traditionnels - même si à l'évidence, des développeurs ne jouissant pas déjà d'une reconnaissance aussi certaine que celle de Tim et Ron n'auraient sans doute pas pu réussir ainsi.

Pour le cinquième et dernier événement, j'ai gardé le plus "étonnant" : le départ de Peter Molyneux de Lionhead et Microsoft, pour fonder un nouveau studio indépendant, 22cans. Un vétéran ultra célèbre quitte donc la boîte qu'il a co-fondée puis revendue, et l'un des plus gros acteurs actuels du jeu sur console, pour redevenir "petit". On ne saura probablement jamais les raisons exactes et complètes qui sont à l'origine de cela, mais l'événement seul suffit à mon sens pour figurer parmi cette liste d'actualités notables.

Pourquoi ces événements sont-ils si intéressants à mon sens ? Parce qu'ils montrent tous, d'une manière ou d'une autre, par un angle ou un autre, pour une raison ou une autre, que le jeu vidéo bouge beaucoup en ce moment. Qu'il change, qu'il lutte, peut-être, qu'il évolue, cherche de nouvelles choses. Il semble donc, au contraire de ce que suggèrent les chiffres de NPD et GfK, plus vivant et vivace que jamais. Presque prêt à exploser dans toutes les directions. A mon avis, c'est plutôt le signe d'un organisme en bonne santé, qui s'adapte, mute, et trouve des moyens de se développer, plutôt que de rester figé dans un état ne lui permettant pas de le faire.