Depuis l'avènement d'internet, et des espaces d'expression libres comme les Forums, on a l'impression que la guerre des opinions est devenue un nouveau mal du siècle. Ce qui, à l'origine, devrait être un comportement constructif (échanger des opinions, débattre), est devenu parfois incongru, exaspérant, souvent violent et disproportionné. Les discussions tournent quotidiennement au pugilat verbal, et les inimitiés s'entretiennent et se développent ainsi, jour après jour. Bien entendu, d'aucuns considèrent que c'est la faute de cette liberté qu'offre Internet : chacun peut s'exprimer, aussi extrémiste, borné, ou stupide soit-il, avec les mêmes outils et la même "légitimité".

Mais en vérité, ce n'est pas tant la liberté d'expression qui pose un problème que la conjonction de l'anonymat et de l'impunité qui en découle, bien sûr, et de ce qu'on appelle le Biais de Confirmation. Le Biais de Confirmation, c'est un des nombreux ennemis de la critique, du critique, et de la civilité.

Le Biais de Confirmation : qu'est-ce que c'est ?

Il s'agit d'un type de biais cognitif, c'est à dire un schéma de pensée qui s'exprime chez les individus lorsque certaines conditions sont réunies. En l'occurrence, le biais de confirmation, c'est la tendance qu'on a tous (plus ou moins) à privilégier les informations qui s'accordent avec nos idées préconçues. L'inspecteur Harry l'avait bien compris : "les avis, c'est comme les trous du cul, tout le monde en a un". Même sur une expérience qu'on n'a jamais vécue. Un jeu auquel on n'a jamais joué. Et sans même avoir cherché à confronter une opinion vis à vis des faits et d'une manière aussi objective que possible, un individu accorde naturellement plus de poids aux arguments qui vont en faveur de son biais, qu'à ceux qui vont à son encontre.

C'est un véritable processus cognitif, car il influe sur la gestion de notre mémoire, et les processus cérébraux par lesquels nous raisonnons. On se souvient plus facilement des informations qui s'accordent avec ce biais, on oublie plus facilement les autres. On les lie et les conjugue plus naturellement quand elles vont dans le sens de nos préjugés, on les trouve illogiques ou hors-de-propos lorsque ce n'est pas le cas.

Et même si on est conscients en notre for intérieur d'être sujet à ce biais de confirmation, on continue de l'entretenir comme un petit cancer de la pensée. On choisit son journal en fonction de ses opinions ; ceux de Gauche préfèrent acheter Libération, ceux de Droite Le Figaro. A l'échelle sociale, c'est aussi un des nombreux processus permettant à des individus de créer des groupes, des sociétés, et donc d'assurer leur survie, comme celle de leurs opinions, en favorisant la passation de leurs idées, de leur biais, depuis l'unité de base qu'est la famille nucléaire (la brique sociale fondamentale, un ou deux parents, et ses ou leurs éventuels enfants), jusqu'à des nations entières. Le biais de confirmation fait donc partie des processus naturels indissociables du fonctionnement des sociétés humaines comme de leurs individus.

Raymond Nickerson, psychologue américain contemporain écrit ainsi* : "Si quelqu'un tentait d'identifier un seul aspect de la problématique du raisonnement humain méritant de l'attention sur tous les autres, le biais de confirmation serait, de tous les candidats possibles, le plus à prendre en considération (...) il semble être suffisamment fort et persuasif pour qu'on puisse se demander si ce biais, en soi, ne pourrait pas compter dans une part importante des disputes, altercations et mésententes survenant entre les individus, les groupes et les nations". Mais, bien sûr, l'ami Raymond n'écrivait pas ça pour parler des critiques de jeu vidéo ou des forums de joueurs. Il écrivait ça à propos de littérature. Mais ça marche pour tout... c'est, selon ses propres termes, "un phénomène omniprésent sous de nombreuses formes". Finance, Médecine, Politique, Paranormal & Religion, Image de Soi... et Jeu Vidéo, le biais de confirmation est partout.

Le Biais de confirmation, c'est pour faire plus simple, ce qu'on utilise pour ne pas se tromper, car personne n'aime se tromper. C'est en quelque sorte le processus naturel d'une mauvaise foi inconsciente.

La chimère de la critique objective

La critique n'est pas facile. Tout du moins la critique que nous essayons de pratiquer. Tout d'abord parce que nous sommes nous aussi soumis au Biais de Confirmation et qu'il nous faut le combattre le plus possible pour que ce que nous écrivons soit valable. Mais aussi parce que pour chaque critère objectif à prendre en compte (prix du jeu, nombre de modes de jeu, présence et utilité d'un multijoueurs ou d'un solo, nombre de bugs, etc.), il y en a 10 autres qui ne le sont pas. Faut-il juger un jeu pour ce qu'il est, ce qu'il aspire à être, ce qu'on attend qu'il soit ? A quel point doit-on juger un jeu par rapport à ceux qui lui sont similaires ? Ceux qui sont proches ? Uniquement sur son support ou sur toutes les plates-formes ? Faut-il tenir compte ou non de la période de l'année (chargée en titres de qualité ou non) ? De jeux futurs qui pourraient l'éclipser, mais risquent aussi d'échouer ? Convient-il de favoriser plus l'originalité d'un concept, même s'il est moins efficace, ou la qualité d'exécution d'un autre, même s'il est déjà connu ? Doit-on tenir compte des tendances, favoriser son propre ressenti ? Ecrit-on plutôt pour soi, pour ses lecteurs, pour les connaisseurs ou les profanes ?

Ce sont de vraies questions, même si en les lisant, vous y répondez tout de suite naturellement avec probablement une opinion arrêtée. Et probablement influencée par le fameux Biais de Confirmation. Ce ne sont pas des questions simples, et leur réponse ne sera jamais exactement la même, critique après critique, jeu après jeu. Toute critique sérieuse amalgame des critères objectifs et d'autres subjectifs. Toute critique sérieuse est le produit d'un nombre de facteurs important, de processus critiques variés et parfois en opposition, catalysés par une large quantité de variables.

Non seulement la critique (d'une oeuvre culturelle) ne peut pas être objective, mais il s'agit même d'un non-sens. La raison d'être de la discipline, c'est l'expression d'une subjectivité, dosée, maîtrisée et tempérée par des critères objectifs, peut-être, mais l'objectivité, c'est la mort de l'exercice critique. S'il y avait réellement une manière mathématiquement correcte de noter la qualité d'un plaisir, nous aimerions tous la même chose, il n'y aurait pas besoin de critique, et pas de guerre d'opinion dans les forums. Car oui : en fait, on note du plaisir. Mais les plaisirs sont tous différents, toujours, et les comparer, à plus forte raison en ignorant que le biais de confirmation s'en mêle, c'est toujours hasardeux (ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire, hein, mais il faut le faire prudemment et avec le cerveau en état de marche).

Il convient de s'en souvenir, mais s'il y a une chose qu'il ne faut pas oublier, une seule, c'est que ce ne sont que des critiques de jeu vidéo. Lorsque je lis certaines réponses dont le ton semble plus approprié pour répondre à une insulte qu'à l'expression d'une opinion, beaucoup étant écrites alors même que celui qui l'écrit n'a pas joué au jeu critiqué (100% biais de confirmation), je ne peux m'empêcher de penser que le sens des réalités de certains manque un peu de perspective sur ce qui est important dans la vie.

Personne à Gameblog n'écrit de critiques en ayant la prétention de détenir la vérité, car elle n'existe pas. Nous discutons des fonctionnements de notre appareil critique, de la valeur des notes, de la manière de les attribuer suivant les cas. Nous répétons à l'envi que les textes sont certes plus importants que les notes, mais n'allez pas croire que nous les considérons comme superflues et secondaires pour autant.

N'oubliez pas, enfin, que les notes sont une échelle objective appliquée à quelque chose qui ne l'est pas. Et surtout, n'oubliez pas le biais de confirmation.

* Le biais de confirmation, charlatans.info
Pour en savoir plus sur le biais de confirmation :
• Biais de confirmation, wikipédia
• Biais de confirmation, Dictionnaire des sceptiques du Québec
• Biais cognitif : le biais de confirmation, le blog psychologue

P.S. : Oui, cet édito a été rédigé en grande partie pour faire suite aux réactions à nos critiques parues de Zelda Skyward Sword ou encore Shinobi 3DS. Dans les deux cas, le biais de confirmation par rapport aux opinions d'autres publications était parmi les plus forts.