GAMEBLOG : Pour les besoins du documentaire, tu as été suivi pendant presque une année. Est-ce quelque chose que tu as vécu de façon intrusive, ou au contraire cela t'a-t-il motivé pour être le meilleur ?

Luffy : Alors déjà, je suis très honoré de figurer dans ce film, car c'est un très gros documentaire fait par Red Bull, et en plus cela nous permet un peu d'être des porte-étendards du jeu de combat, du versus fighting, et je suis très content de ça. Aussi, cela permet de se révéler un peu plus : les gens ont une vraie appréhension sur le statut de pro-gamer, et là les choses sont montrées de façon beaucoup plus intime, on voit vraiment l'envers du décor, que c'est énormément d'heures d'entrainement, énormément-énormément de voyages, de temps passé dans l'avion, on a beaucoup de fatigue et, en effet, comme tu l'as demandé, cela a un caractère intrusif, puisque cela nous touche vraiment jusqu'au fait de se réveiller le matin en étant filmé, ou même le soir avant de me coucher lorsque je regardais des vidéos pour m'entraîner. Donc oui, cela était plutôt intrusif, mais c'est vraiment ce qu'il fallait, car ça montre le véritable envers du décor.

Est ce que c'est la première fois que ça t'arrivais d'être suivi pour ce genre de film ?

Non, ce n'est pas la première fois, j'avais participé à quelques reportages par le passé, mais en tous cas c'est la première fois que c'est sur un documentaire aussi poussé, sur différents pays, et avec une durée aussi élevée. Il dure 52 minutes et c'est la première fois qu'on à un film d'une qualité aussi élevée.

Tu as déjà vu le film ? Tes impressions ?

Oui je l'ai déjà vu. Je pense qu'il va forcément plaire, il n'y avait jamais eu autant de moyens mis en oeuvre. On suit donc Xiao Hai, moi, mais aussi Daigo et Tokido, qui sont deux très gros joueurs japonnais. Il y a aussi quelques passages sur NuckleDu, donc vraiment les plus gros joueurs du circuit, sur plusieurs lieux différents, avec du Los Angeles, Guangzhou en Chine, du Las Vegas, du Paris... Avec l'équipe de tournage, on a vraiment fait le maximum pour montrer au grand public ce qu'est la vie d'un joueur professionnel. Le Grand Public devrait d'ailleurs être scotché par le fait qu'on voit vraiment que c'est très dur d'être joueur de jeu vidéo, et que ce n'est pas comme jouer dans son salon.

Tu as donc déjà répondu à ma question suivante, à savoir si le film serait intéressant pour des novices de l'eSport, ou même du jeu vidéo en général. Mais du coup, penses-tu que le film pourrait aussi aider à améliorer l'image de l'eSport et du jeu vidéo auprès de ce grand public ?

Oui je pense que ça ne peut qu'améliorer l'image de l'eSport, et ça devrait aussi démocratiser le métier, celui d'être joueur de jeu vidéo, car aujourd'hui c'est un peu flou, on n'a pas de vrai statut. Celui qui va voir le film va pouvoir se dire qu'on voyage peut être plus qu'un joueur de tennis professionnel. On pourrait donc pousser pour qu'une fédération soit fondée, et faire en sorte que les choses deviennent plus professionnelles, car c'est vraiment un métier à plein temps. Même les producteurs du film, qui étaient totalement néophytes du milieu du jeu vidéo, se sont rendu compte que c'était vraiment super dur, on subit du jet-lag toutes les semaines. Bref, ça ne peux être qu'un plus pour le milieu du jeu vidéo en général.

Ça fait un moment que tu roule ta bille dans le domaine de l'eSport, que tu as une grosse notoriété à l'international, et là, tu te retrouves en tête d'affiche avec les meilleurs. Qu'est ce que ça te fait d'avoir été choisi et de figurer au même niveau que les autres, au top ?

Comme je te le disais, je suis honoré et super heureux, Daigo est un peu la star emblématique et historique du versus fighting, Tokido, ça fait maintenant 8 ans que je le connais, et Xiao Hai est une star en Chine, je suis donc très content puisque ça m'a permis de les côtoyer, d'en apprendre plus sur eux. Quand on se voyait, on était simplement compétiteurs, on ne connaissait pas nos vies respectives, publiques ou privées. Et grâce au film j'ai pu voir que le cap de passer complètement joueur professionnel à été aussi dur pour eux que pour moi, personne n'a pris cette décision à la va-vite, on a tous des parcours atypiques et ce choix a été pour nous tous très difficile à faire. Donc ça prouve encore que passer ce cap est tellement risqué et flou qu'il faut en avoir dans le ventre pour l'avoir fait.

LE JOUEUR PROFESSIONNEL

On passe sur un second thème dans cette interview, et on va s'intéresser un peu plus à ton statut de joueur professionnel. Et pour ceux qui ne te connaîtraient pas, est ce que tu pourrais nous résumer très rapidement ton parcours ?

Alors très rapidement, j'ai commencé Street Fighter et la compétition en 2010, j'ai été champion du monde en 2014. En 2017, je suis joueur et athlète professionnel pour la marque Red Bull, et j'en suis très fier. Voilà les grandes lignes !

Et du coup, en 2010, comment es-tu arrivé dans le monde de l'eSport ?

C'est quelque chose qui s'est fait vraiment au hasard, je suis allé dans un magasin de jeu vidéo pour m'acheter une PS3, et Street Fighter était le seul jeu que je connaissais en rayon, c'est pour ça que je l'ai pris et que je m'y suis mis, et ça à plutôt bien marché ! Il n'y aurait pas eu le jeu en rayon, il y aurait eu un FIFA, aujourd'hui, je serais peut être joueur pro de FIFA ! (rires)

Et du coup, tu connaissais déjà la série ? Tu avais déjà joué à Street Fighter ? Sur Super Nintendo ?

Oui ! Street Fighter II, mais j'étais très petit, j'avais 6 ans.

Et après le suivant à été Street Fighter 4 ?

Oui, direct. Mais quand tu commence avec Street Fighter II, et à 6 ans surtout, tu n'as pas une idée claire de la compétition, de toute la technique, toute la maîtrise et tout le calcul qu'il faut pour être un bon joueur de Street Fighter. Mais une fois un peu plus grand, tu t'intéresse de plus près à la chose.

Et aujourd'hui, après toutes ces années, ce qui te motive, c'est toujours le plaisir du jeu de base, le genre de sensations que tu as pu connaître à l'époque sur Super Nintendo, ou c'est vraiment l'aspect compétition et tout ce qui en découle ?

Aujourd'hui, ce qui me motive a évolué, forcément. Il y a évidemment le plaisir du jeu, le plaisir de la licence, que j'adore. Il y a plein d'autres jeux de combat qui existent, possiblement même meilleurs que Street Fighter, mais c'est cette licence que j'aime, on connait tous un peu les personnages emblématiques de la saga. Mais bien évidemment, comme tu l'as dit, l'aspect compétition entre également en scène. Quand tu joue avec ton meilleur pote, que ce soit à la pétanque ou n'importe quoi d'autre, tu veux quand même gagner, même si tu sais que tu es une brelle ! (rires) Donc oui, le coté compétitif est très important lui aussi, c'est lui qui te pousse à progresser au jour le jour. Et aussi, il faut bien le dire, le milieu financier, on ne va pas se la cacher, lorsque tu joues bien dans une compétition, tu gagne de l'argent. En général, si tu es super fort, le meilleur, tu gagne de très, très beaux "cash prizes". Donc oui, on ne le cache pas. Pour résumer, tu as trois axes : le plaisir du jeu et de la licence, qui est tout simplement le plaisir de jouer aux jeux vidéo, la compétition, qui consiste à montrer que tu es le plus fort dans ton domaine, et le dernier aspect est financier, ça va te permettre de gagner ta vie.

On à beaucoup parlé de Street Fighter, mais la scène eSport utilise beaucoup de jeux obscurs pour le grand public, comme LoL ou Starcraft, pas forcément compréhensibles et spectaculaires pour un public non initié. Et hormis un jeu de foot déjà plus accessible, est-ce que tu ne penses pas que Street, ou le jeu de baston en général, pourrait être un des rois de l'eSport pour le plus grand public ?

Effectivement, même si financièrement il faut bien dire que le jeu de baston reste une toute petite niche dans l'univers de l'eSport, quand tu compare à du LOL ou du DOTA, c'est sur que les jeux de combat font pale figure à côté, en termes de visibilité. Mais je pense que le jeu de baston peut vraiment être le porte-étendard de l'eSport, pour aider à démocratiser tout ça, car une partie de ce genre de jeux est très simple : tu as deux personnages qui se tapent dessus, c'est très, très rapide et compréhensible pour les spectateurs, c'est du spectacle en temps réel, une partie va durer deux minutes, contre un match de LOL qui peut durer entre 30 et 50 minutes. Et même pour quelqu'un qui n'y connait rien, c'est très facile de se mettre à supporter quelqu'un, un des deux joueurs : "Oh tiens, j'aime bien ce personnage, j'aime bien ses coups, je l'aime bien lui, c'est un garçon, ou elle parce que c'est une fille". Par rapport à d'autres jeux c'est donc très simple pour le grand public de se mettre à fond dedans et de supporter le jeu à l'écran.

Quelles qualités faut-il pour être un bon joueur de Street Fighter dans le cicuit eSport ?

Pour être un bon joueur, je pense que le point le plus important est de savoir se remettre en question, quand on a perdu il faut savoir pourquoi, et ne pas être têtu sur ses défaites, ne pas avoir peur de revisionner ses échecs pour trouver une solution. Je pense que c'est la chose la plus dure à faire. Ensuite, il faut savoir s'entourer des bonnes personnes, avoir des partenaires d'entrainement que tu pousses à progresser comme eux peuvent le faire pour toi, car c'est vraiment tout l'environnent qui se tisse autour de toi qui va te pousser vers le haut et te pousser à progresser, car logiquement, c'est en jouant avec les meilleurs que tu auras le plus de chances de progresser. Il faut aussi en vouloir, il faut viser le top, se fixer des objectifs puis s'adapter, car dans les jeux vidéo en général, tu as régulièrement des mises à jour, qui font que de façon très récurrente tu dois te réadapter au jeu. C'est comme si tu étais prof de maths, et que du jour au lendemain on te changeait tes programmes, tu dois te réadapter, c'est un peu la même chose. Et enfin, il faut aimer et apprécier le jeu auquel on joue !

Combien de temps consacres-tu par jour à ton entraînement ?

En moyenne, entre une et trois heures. Ce n'est pas beaucoup, mais je suis un partisan du fait de bien s'entraîner. C'est à dire que tu ne joues pas pour jouer, et il faut qu'à la fin de la session d'entrainement tu ressortes plus fort. Ça ne sert à rien de jouer 24 heures d'affilée si tu n'es pas performant dans ta manière de t'entraîner. Il faut vraiment pouvoir en retirer quelque chose.

Toujours sur l'eSport, que penses-tu de Nintendo qui veut faire son entrée dans le milieu, avec un jeu comme Arms par exemple ?

C'est bien, ça rajoute un éditeur. Par contre, Arms, je n'ai pas eu du tout le temps d'y jouer. Après, selon que l'on y joue avec les Joycons ou une manette classique en compétition, ça va être très délicat, il risque d'y avoir des déséquilibres, car lorsque tu joues avec les Joycons, malgré leur fiabilité, ça ne remplacera jamais une manette...

... Un peu comme l'utilisation des minis Joycons sur Street 2 ?

Oui, donc à voir comment ça se déroule, mais si le jeu se joue à la manette, pourquoi pas ? L'important étant pour un joueur professionnel d'avoir la meilleure précision existante, c'est à dire que je veux que ce soit le mouvement que j'ai réalisé qui se déroule à l'écran. Après, Nintendo, je sais également qu'ils veulent faire un gros push sur Splatoon 2, et je pense qu'il a plus de chances de réussir qu'un Arms.

Mais bon, du coup, on ne parle plus baston là ! Et tiens, tant qu'on est sur Nintendo, Pokkén, tu en as pensé quoi ?

Pokkén ? J'y ai joué un peu. Il est assez séduisant, par contre on ne va pas se le cacher : son univers le dessert, les gens peuvent avoir des a priori sur le fait que ce soit un jeu Pokémon, et donc enfantin. Je pense que la licence pourra attitrer soit les hardcore gamers, soit les fans de Pokémon. C'est difficile de rallier les communautés de joueurs de combat, un joueur de Guilty ou de Street ne sera pas forcément tenté. Mais le jeu qui me donne le plus confiance actuellement, c'est le prochain Dragon Ball Z (NDR : Dragon Ball FighterZ, tout juste annoncé lors de l'E3 2017), car c'est une licence qui va totalement faire l'unanimité. Qu'on soit joueur de Tekken, de Street Fighter, de Guilty Gear ou de King of Fighters, je pense que tout le monde est resté bouche bée devant les premiers trailers, que ce soit graphiquement, ou au niveau des animations super fidèles et spectaculaires, avec les mêmes positions pour les attaques que dans le manga. Je pense qu'il y a de fortes chances pour que ce jeu redonne véritablement un nouveau souffle au versus fighting.

Tout à fait d'accord, en plus, avec Arc Sys aux commandes, le jeu devrait avoir sa petite légitimité dans le monde de la baston.

Exactement, ce studio n'a jamais déçu.

Que penses-tu de l'état actuel de l'eSport, sommes-nous déjà au point culminant, ou la discipline devrait-elle encore grandir ?

Pour moi, l'eSport ne peut qu'évoluer. Nous sommes tous les deux issus de la génération Y, et la prochaine qui arrive est encore plus connectée que nous, sachant que nous le sommes déjà extrêmement de notre côté. La télévision commence à décliner, c'est de moins en moins regardé par les jeunes, ceux qui continuent de la regarder, c'est encore des personnes issues de notre génération. Les jeunes sont ceux qui passent finalement le plus de temps sur les ordinateurs, sur Youtube, Twitch, les réseaux sociaux... donc forcément, lorsque tu as un pied dans tout ce qui est nouvelles technologies, tu as plus de probabilités de toucher un jour aux jeux vidéo et à l'eSport. C'est obligatoire, c'est logique. Les éditeurs sont de plus en plus intéressés, comme on en parlé il y a quelques minutes avec Nintendo, le grand public est lui aussi de plus en plus intrigué, et l'industrie dans sa globalité, avec par exemple Gillette qui va créer ses équipes eSport, ou Red Bull, Lion, et bien d'autres. Toutes ces marques grand public essayent de capter cette jeune génération. Au niveau gouvernemental, tu as des pushs qui se font également, ils essayent de commencer à fédérer tout le numérique, d'y mettre des textes de loi. L'eSport à encore de belles années devant lui. L'explosion date d'il y a un an ou deux, mais ça devrait continuer sur cette lancée.

Est-ce que tu penses que ça pourrait avoir un jour la même notoriété que le "vrai" ?

Absolument, je pense que l'eSport aura un jour les mêmes audiences que le vrai sport. Pour moi c'est sûr. Combien de temps ça prendra, je n'en sais rien, mais je pense qu'un jour on y arrivera, et que ça dépassera peut-être même le sport.

Du coup tu seras dans les livres d'Histoire comme un pionnier ?

(rires) J'espère bien être dans les livres d'Histoire !

LE JOUEUR DERRIÈRE LE JOUEUR

Parlons maintenant de ton rapport avec le jeu vidéo en général. Pour en finir avec la baston, y a-t-il d'autres jeux de combat que Steet Fighter auxquels tu aimes jouer ?

D'autres jeux ? Oui, j'aime beaucoup King of Fighters, même si je n'y joue que pour le loisir évidemment. Ensuite, en toute honnêteté, lorsque tu te met à un jeu compétitif, tu as du mal à jouer de façon "casual", tu as toujours envie d'être le meilleur, donc c'est pour ça que j'essaye de ne pas trop jouer à d'autres jeux, sinon je vais devoir tous les faire en mode compétition, c'est un peu dur ! (rires) Après, pour le reste, j'aime bien jouer à la Switch, avec Zelda, pour me détendre, mais aussi sur mobile avec Clash Royale ou du DOTA, ainsi que sur PC avec LOL. Mais c'est vrai que lorsque je joue à ces autres jeux, je les vois comme un loisir. Pour moi Street Fighter n'est pas du tout vu comme un loisir, en r1evanche LoL, c'est juste pour le plaisir...

... Alors qu'il existe de vraies compétitions eSport sur ce jeu ! Tu n'es pas tenté d'aller plus loin que le simple loisir du coup ?

Oui il y a une vraie compétition eSport, mais j'y joue avec des copains, on rigole, si j'ai perdu, je ne vais pas regarder le replay pour savoir pourquoi ! C'est vraiment pour m'amuser, pour le loisir. Et c'est marrant, car finalement, tu te dis que mon métier c'est joueur de jeu vidéo, et mon loisir c'est aussi être joueur de jeu vidéo, mais le domaine est tellement riche et vaste qu'au final, pour t'amuser, tu vas jouer à d'autres genres que celui qui fait ton métier. Si tu es comptable, tu ne vas pas faire du Excel en rentrant chez toi le soir ! (rires) Je pense que ça contribue à faire la richesse d'un joueur de jeu vidéo, ne pas se borner à un seul domaine au final. Même si ça peut aussi être un peu traître. Par exemple, sur un Street Fighter, j'aime le jeu et la licence, et finalement c'est aussi mon métier. Je devrais donc travailler maximum 8 heures par jour, mais finalement, quand tu allies travail et passion, tu peux y passer 15 heures de suite sans t'ennuyer, et c'est ça qui est traître, car certains joueurs pro ne vont finalement pas arriver à sortir de leur boulot !

Je t'avoue que c'est un peu la même chose dans le domaine de la presse : j'ai du mal à jouer pour mon loisir ! Et sinon, pour terminer, hormis Street Fighter, du côté loisir, quels sont tes trois jeux de l'année ?

Alors, forcément, Zelda Breath of the Wild en numéro un, c'est vraiment un carton plein. Après, c'est une prédiction, mais je pense que je serai forcément séduit par Mario Odyssey, que j'attends énormément, et puis aussi Final Fantasy XV...

... Ah, celui-là c'est un jeu de 2016 !

(rires) Bah c'est pas grave !

Merci d'avoir pris le temps de répondre à mes questions en tout cas, bon film !

Merci à toi aussi, à bientôt !