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Il n'y a rien à faire, quand on appelle de ses voeux une véritable compréhension salvatrice pour son objet de fascination, rien ne va jamais assez vite. Bon an mal an, nous avons tous l'impression que la "banalisation" (dans le bon sens du terme, entendons-nous) du jeu vidéo gagne du terrain jour après jour. Or, les récents amalgames qui ont une fois de plus pu être faits entre une propension folle à cribler son prochain de balles et le temps passé à jouer à des FPS enfermé dans sa chambre (Call of Duty en premier lieu, c'est tellement plus simple quand tout le monde peut s'y référer...) nous rappellent que le clivage générationnel est toujours bien là. En un mot comme en cent : ne nous voilons pas la face, il y a encore du chemin à parcourir avant de ne plus subir les plus simplistes des amalgames de la part des médias généralistes, et par extension du grand public.

Mais il faut avant toute chose se rendre à l'évidence : le jeu vidéo a cela de spécifique qu'il nécessite un investissement actif de la personne qui souhaite s'en emparer. Bien évidemment, la maîtrise des éléments de gameplay peut être un premier élément de blocage, mais vous en conviendrez comme moi si vous avez la chance de prendre les transports parisiens : la dextérité désormais atteinte par les joueurs dits "occasionnels" de Candy Crush Saga ou de n'importe quel Match 3 lambda a de quoi rassurer.

Si l'on ajoute à cela des pads ayant largement tendance à s'uniformiser et une difficulté de plus en plus tempérée, on pourrait se dire que la traversée du Rubicon n'est peut-être plus très loin... Ce serait oublier une autre spécificité du médium : le temps nécessaire à son accomplissement.

"J'espère que vous avez le coeur bien accroché parce que c'est une véritable boucherie à l'intérieur"

En effet, même les productions de la scène indé réputée pour proposer des expériences plus courtes mais intenses réclament a minima 6 ou 7 heures d'investissement (OK, il y a aussi les productions de Jenova Chen). Mais bien évidemment, ce n'est pas vers ce type d'expériences que va dans un premier temps se tourner le grand public. Dès lors, il faudrait plutôt se pencher sur les fameux triple A, équivalents des blockbusters formatés dans les studios d'Hollywood pour une consommation mondialisée : et là, le problème est tout autre ! On parle dans ce cas d'une bonne vingtaine d'heures (la fameuse "durée de vie", une notion sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir dans une prochaine chronique) pour espérer voir le bout de l'aventure, ce n'est clairement pas gagné...

Supprimer totalement le système de vies laisse le designer libre de baser la difficulté plus sur le level design et moins sur la punition par l'échec et de multiples essais, en ce sens la formule de la difficulté a changé. Le joueur n'a plus à se soucier de mourir : la punition pour une mort réside dans le temps nécessaire au respawn ainsi que dans la longueur du niveau.

Edmund McMillen (Super Meat Boy, The Binding of Isaac)

Et quand bien même ceux qui vilipendent le jeu vidéo parviendraient à surmonter ces obstacles, il en demeure un hautement plus clivant : la fameuse dictature du skill. Car vous auriez déjà pu rétorquer à juste titre que la lecture d'une oeuvre littéraire requiert parfois elle aussi un investissement temporel conséquent, mais que les lecteurs passionnés ne comptent pas pour autant leurs heures. Cependant, à la différence d'un livre, d'un film, ou même d'un album, le jeu vidéo ne se dévoile qu'au travers de résolutions, de victoires et autres accomplissements dantesques.

Je ne connais pas à ce jour de film qui se refuse de vous dévoiler sa fin sous prétexte de ne pas en avoir saisi tous les tenants et aboutissants. Les jeux LucasArts de la grande époque exigent en revanche d'en comprendre le fonctionnement pour en profiter. Pas un livre ne vous empêchera de tourner la page sous prétexte que vous n'ayez pas saisi un subtil sous-entendu ou formulé une mauvaise hypothèse. A l'inverse, vous ne profiterez de Super Meat Boy qu'à force d'innombrables essais, de sang et de larmes. Le plus dense des albums ne vous livrera ses secrets qu'après de nombreuses écoutes, tandis que de multiples runs de Final Fantasy VII demanderont à chaque fois des dizaines d'heures de levelling effréné.

"A Rubber chicken with a pulley in the middle"

Pas facile n'est-ce pas ? Lorsque l'on prend conscience de toutes ces barrières que nous avons-nous autres joueurs trop tendance à oublier, on se rend compte du chemin qu'il nous reste à parcourir. Et pourtant, certains ont essayé de proposer autre chose... Qu'est-ce qu'ils ont pris ! Je pense en premier lieu à Nintendo - qui à défaut de rencontrer un succès critique quant à sa méthode, essaye, tant bien que mal, de trouver un palliatif à ce blocage récurrent qui conduit un pourcentage incroyablement élevé de joueurs à ne pas aller au bout de l'aventure.

Depuis plusieurs années en effet, le géant de Kyoto introduit régulièrement dans ses productions la possibilité de sauter littéralement le niveau récalcitrant. Si cette annonce a pu provoquer l'ire et le courroux des gamers les plus hardcore comme le nord, il me semble néanmoins honnête de saluer l'effort qui, rappelons-le, est purement optionnel. Est-il nécessaire de le rappeler ? Oui, mille fois oui, car au vu des premières réactions (de ceux qui n'avaient de toutes façons pas eu l'occasion de tester le principe manette en main), cela paraissait hautement nécessaire. En quoi le fait de proposer à autrui de poursuivre l'aventure est-il scandaleux dans la mesure où jamais cette aide n'apparaîtra comme une obligation ?

L'un des problèmes avec les jeux d'action, c'est comment en faire quelque chose qui soit agréable pour les joueurs de tous niveaux ? L'une des solutions est d'ajouter un mode "facile", mais je pense que la meilleure des méthodes serait que le joueur puisse lui-même adapter la difficulté tout en jouant.

Shigeru Miyamoto (un ou deux petits jeux chez Nintendo)

Dans une moindre mesure, je pourrais également mentionner le remake très intelligent de The Secret of Monkey Island, qui proposait en plus d'un somptueux ravalement de façade (optionnel aussi, tiens donc) un système d'indice aiguillant le quidam paumé au milieu d'une ribambelle ubuesque d'items sur la voie à suivre. Car faisons preuve d'honnêteté cinq petites minutes : si nous avions à la sortie du jeu un nombre quasi-infini d'après-midi et de soirées à y consacrer, quelques années plus tard, la donne a bien changé. Travail, famille et obligations de toutes sortes sont venus comme de perfides termites dévorer notre précieux temps libre, et sans céder à cette théorie purement capitaliste de l'homo oeconomicus qui veut que nous rationalisions la moindre de nos actions, le temps passé à en prendre du bon (temps) pad en main sur le canapé a bien diminué.

"We would like you to play"

Alors est-ce véritablement un mal de souhaiter élargir le cercle sans exclure ceux qui auraient déjà pris place ? A l'heure où les joueurs s'orientent de plus en plus vers le format du Let's Play pour se forger un avis, je ne plaide certainement pas dans ces colonnes pour que l'on annihile la dimension de l'exploit dans le jeu vidéo, mais pour que l'on accepte de tenir la porte pour celui qui voudrait prendre le train en marche. L'entre soi a cela de terrifiant qu'il conforte un petit nombre de personnes partageant le même avis dans leur bien-fondé.

La première saison de The Walking Dead m'a bouleversé, littéralement. Au point de sortir hurler mon désespoir sur mon balcon (je déconseille, ça n'aide ni dans la prise de décision, ni dans la pacification des relations avec son voisinage). Et pourtant, à aucun moment je n'ai eu la sensation d'accomplir un exploit au cours de l'aventure (sauf peut-être en ayant eu les cojones de presser la détente à la toute fin...) : cela n'en demeure pas moins un jeu inoubliable. Et pourtant je prends à côté de ça un pied fou à me faire massacrer la tronche sur Hotline Miami 2, en y croyant de plus belle à chaque respawn.

Alors ouvrons grand les bras sans écarter les fesses, nous aurons tous à y gagner sur le long terme, et peut-être n'entendrons-nous bientôt plus parler de MEUPORG ou de "produit sous-culturel" (©Michel Denisot).

Avouez que ça serait quand même franchement sympa.


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