Le jeu vidéo est-il en train de faire son coming-out ? Pas officiellement en tous cas puisqu'aucun porte-parole attitré de l'industrie ne vient prendre position sur le débat autour des droits homosexuels qui font rage en France et aux États-Unis (jusqu'à faire sortir Apple du bois) pendant qu'ils reculent dramatiquement en Ouganda. Jusqu'ici l'industrie du jeu vidéo n'a d'ailleurs jamais vraiment pris parti publiquement pour telle ou telle cause ou sujet sociétal sinon pour assurer ses besoins économiques dans un pays ou un autre et se défendre (mal) des procès en mauvaises intentions (violence, chronique, et occasionnellement le sexe).

Artistiquement, en revanche, plusieurs exemples concrets de jeux récents révèlent une volonté d'aborder plus ouvertement les rapports amoureux dans les jeux vidéo et, en particulier, avec humour ou sérieux, l'homosexualité.

Le sexe, maudit du jeu vidéo

La représentation de l'acte sexuel dans le jeu vidéo traditionnel n'existe pratiquement pas, y compris bien entendu sous forme de cinématique non interactive. Malgré des scénarios de plus en plus élaborés, les personnages tombent rarement amoureux avant de s'étriper. Sans contexte narratif fort, l'acte sexuel même suggéré (comme dans les night-clubs des GTA par exemple) se résume à un geste burlesque, vaguement provoquant dans l'environnement pudibond du jeu vidéo, mais ayant plus en commun avec le voyeurisme de la pornographie hétérosexuelle qu'avec une représentation sensible de l'acte dit amoureux entre deux personnes. Dans les grosses productions en tous cas, il n'y a guère que les jeux écrits par David Cage qui osent mettre en scène des relations sexuelles dans des conditions presque ordinaires parce qu'ils développent en amont (de Nomad Soul à Beyond : Two Souls), des relations psychologiques et amoureuses complexes (à l'échelle jeu vidéo) entre des personnages.

Mass exploitation

À défaut de savoir représenter le sexe ou l'amour hétérosexuel sans tomber dans les travers de l'exploitation sexuelle (personnages féminins outrageusement sexués), le jeu vidéo ose, ou s'amuse - frontière pas toujours claire entre parodie et sérieux - plus ou moins franchement à mettre en scène des rapports homosexuels. Notamment et surtout féminins, sans doute parce que plus acceptables (et, admettons-le, plus "émoustillants") pour le public majoritaire des gamers, que l'homosexualité masculine. Vivier assez décomplexé, mais aléatoire, de rapports polymorphes transgenres et trans-espèces (humains, aliens) la série Mass Effect contient à elle seule assez de situations troubles et ambiguës pour faire sourire et chatouiller quelques moeurs établis de la société au sens large.

La polémique médiatique ignare autour des scènes de "nudité" du premier Mass Effect derrière lui, BioWare a continué de tester à sa façon fantasmagorique les limites du jeu vidéo en matière de rapports sexuels. Dans le prolongement de Mass Effect 2, choisir la variation féminine du Commandant Shepard entraîne, par exemple, des scènes de séduction rigolotes avec le personnage de Samantha Traynor officiellement lesbien dans Mass Effect 3. Mais dans l'ensemble, les protagonistes interchangeables façon jeux de rôles ne font que rejouer des clichés d'érotisation hétérosexuelle.

Le site de la communauté LGBTI, Gaystarnews, s'enthousiasme en tous cas déjà de retrouver dans le prochain Mass Effect 4 un jeu vidéo permettant de vivre des romances de même sexe.

Recherche porte-drapeau

Faut-il évoquer ouvertement l'homosexualité dans le jeu vidéo ? Interpellé par une femme reconnaissante, en tant que lesbienne, de pouvoir se glisser dans une autre peau grâce à Dragon Age : Origins, David Gaider, scénariste principal de la série et gay déclaré, explique sur son blog que trop insister sur l'homosexualité dans un jeu finirait par mettre en avant quelque chose qui devrait être intégré naturellement sans avoir à être mentionné. Tout en signalant que c'est dans Star Wars : Knights of the Old Republic (2003) qu'une relation de même sexe a été intégrée pour la première fois, Gaider remercie le studio BioWare et l'éditeur Electronic Arts de comprendre assez les enjeux sociétaux autour de ce sujet pour laisser les développeurs s'exprimer dans leurs productions. Le tout sans tomber dans l'écueil d'être catalogué "développeur gay" condamné à militer pour la cause.

La tolérance d'Electronic Arts sur le thème de l'homosexualité dans les jeux vidéo signalée par David Gaider remonte peut-être jusqu'aux années 2000 et la sortie des Sims. Dès leur naissance, "en matière de relations et d'attirances, Les Sims ne faisaient aucune distinction entre les sexes" rappelle Éric Simonovici, journaliste-pratiquant à Overgame à l'époque.

N'importe qui pouvait tomber amoureux de n'importe qui et la vie commune qui en découlait ne faisait aucun distinguo entre les couples hétéros ou homos.

Dans les années 2010, bien sûr, tout est exploitable et le coming-out des Sims devient affaire commerciale avec l'add-on Gay Friendly (filles ou garçons). Et les jeux à degré de plaisanteries variables comme cet improbable Ultimate Gay Fighter amuseront sans changer les moeurs.

Tout comme le chapitre plus parodique que crédible dans The Last of Us où le joueur finit par comprendre que le personnage de Bill croisé par Ellie et Joel a eu une relation de couple sulfureuse avec un autre homme. L'allusion progressive à cette relation homosexuelle inattendue, entre deux hommes rustiques en mode survie, confirme le courage thématique de Naughty Dog mais, contrairement au délicat DLC Left Behind, l'anecdote vire un peu au grotesque et à la caricature. Grossier et sale, le personnage de Bill camoufle son homosexualité mais ne cache pas un tempérament caractériel (on le serait à moins, isolé dans ce contexte de folie meurtrière, certes) et violent.

Et puis surtout, Ellie et Joel comprennent la nature de la relation entre Bill et son ancien partenaire Franck en découvrant des revues pornos gays sur la banquette arrière d'une voiture. Un portrait de gay vraiment trop triste pour être pris au sérieux et ne pas faire sourire, à ses dépends.