En effet, l'être humain est ainsi fait que son cerveau aura tendance à chercher à résoudre les problèmes de la manière la plus simple (ou, plus justement peut-être, la plus évidente) qui soit, c'est à dire celle qui posera le moins de difficulté(s), ou en choisissant le chemin posant le moins de résistance(s). En d'autres termes, on peut montrer assez facilement* que lorsqu'on explique à un esprit comment utiliser un objet (ou une méthode), il aura tendance à ne pas chercher à l'utiliser autrement, ou à découvrir d'autres de ses fonctions. C'est à dire à se montrer créatif, à adopter une posture de découverte, d'exploration. Or, c'est lorsqu'on ne sait pas où se trouve la réponse, qu'on peut se montrer le plus enclin à la chercher n'importe où.

En matière de jeu vidéo, l'exploration, le tâtonnement et cette créativité dans la résolution des problèmes auxquels le jeu nous confronte, font indubitablement partie du plaisir. Dans un jeu offrant de nombreuses possibilités, et qui sait limiter son tutorial aux éléments les plus basiques de ses systèmes, la découverte est plus présente, et le plaisir qui en découle également. Dès lors, on peut se poser la question en des termes plus évidents : quel plaisir y a-t-il à suivre des indications à l'écran pour résoudre un problème de manière mécanique ? MineCraft serait-il le succès qu'on connaît si dès le lancement d'une partie, on nous montrait où aller chercher les premières ressources, indiquant à l'écran comment les associer pour créer des objets, dans un seul ordre optimisé par les designers, puis toujours de la même manière où poser chacun des blocs pour construire une maison en suivant scrupuleusement les plans indiqués par un tutorial ? Sans doute que non. Sans aller jusque là, si Portal ou Braid donnent autant de plaisir à ceux qui les pratiquent, c'est probablement parce qu'il n'expliquent guère plus qu'une ou deux règles. Pour le premier, quand je crée deux portails, je passe de l'un à l'autre instantanément et je conserve ma vélocité d'entrée lorsque je ressors. Pour le second, quand quelque chose saute sur autre chose, il rebondit plus haut, et quand je rembobine le temps, ce qui est entouré de vert reste temporellement inamovible. Passé ces règles : démerdez-vous !

Prenons un autre exemple : les jeux d'infiltration. Mieux vaudra m'expliquer qu'en appuyant sur tel bouton, je peux siffler depuis une cachette ou tapoter un mur contre lequel je suis plaqué, plutôt que de me dire exactement quand faire l'un ou l'autre pour attirer tel garde afin de m'en débarrasser sans alerter les autres. Bref : laissez-moi expérimenter, essayer des choses. Me sentir créatif plutôt que pris par la main à l'excès. C'est là, aussi, tout le concept de gameplay émergeant. Si un joueur créatif associe différents éléments du jeu d'une manière imprévue par ses concepteurs, et résout un problème ainsi ou découvre quelque chose d'amusant, tant mieux ! Steve Jobs disait : "la créativité, c'est simplement associer des choses". Quand on me dit "Voici comment les associer", j'ai naturellement tendance à restreindre la liste de ce que je peux faire avec.

Bref, les tutoriaux ne sont pas mauvais en eux-mêmes, mais je crois qu'ils gagneraient à se faire aussi discrets, subtils, et ouverts que possible, ce qui n'est pas toujours le cas, loin de là. Il faut les concevoir avec attention, finesse, intelligence, de manière à ce qu'au lieu de nous apprendre, il nous fassent découvrir. On parle après tout de jeux, et le retour à la découverte telle que nous en faisions l'expérience lorsque nous étions enfants est un moyen probant et puissant d'en tirer du plaisir, tout en permettant à l'esprit de se montrer créatif plutôt que mimétique. Voilà quelque chose d'autre que les jeux peuvent nous enseigner : la créativité. Car c'est une qualité qu'on attribue faussement à un talent inné alors qu'elle se travaille, se développe, comme une compétence.

*Pour ceux qui sont intéressés par l'étude scientifique des processus créatifs de l'esprit humain, je ne saurais trop conseiller la lecture de cet article du Wall Street Journal (en anglais malheureusement) signé de Jonah Lehrer, auteur du livre "Imagine: How Creativity Works", ainsi que la publication de Elizabeth Bonawitz et ses collègues psychologues intitulée "The double-edged sword of pedagogy: Instruction limits spontaneous
exploration and discovery
", parue dans la revue Cognition.