Indubitablement, parmi les jeux les plus marquants de ces dernières années, Red Dead Redemption ou Skyrim on connu des succès critiques et commerciaux déterminants, et les Grand Theft Auto, ambassadeurs du genre en matière d'action et de cadre contemporain, sont peut-être les seuls à pouvoir rivaliser avec le rouleau compresseur Call of Duty qui reste un phénomène presque unique, chaque année, sur le marché.

Une marge de progression énorme

Plutôt qu'un genre, le jeu à monde ouvert, bac à sable, ou free roaming, comme on l'appelle, est l'ambassadeur d'une philosophie de design et d'une immersion qui ont tous deux fait de gros progrès, mais qui en ont probablement encore plus à faire. Si côté action et jeu de rôle, cette approche a déjà des ambassadeurs très convaincants, d'autres genres manquent encore de représentants. Côté course, on commence à y arriver, côté infiltration, on attend encore quelque chose de réellement fort (même si on retrouve cette mécanique de jeu par touches dans les Assassin's Creed, déjà). Mais au-delà des genres de gameplay, les jeux à mondes ouverts sont bien souvent des formules riches, qui, à mon sens, doivent mêler plusieurs possibilités et offrir diverses approches. En effet, à quoi bon donner cette liberté exaltante au joueur d'aller où bon lui semble, si ce n'est au final que pour lui permettre de tirer, par exemple, et rien de plus ?

Je croise ainsi les doigts pour que cette tendance se perpétue avec la nouvelle génération de machines (personnellement, j'adore l'open world), et pourquoi ne le ferait-elle pas d'ailleurs, la technologie étant un moteur important de la concrétisation de ces game designs ? Mais si l'aspect visuel, tant en taille qu'en qualité du détail, est un ingrédient majeur en la matière, les chantiers de l'animation, de l'IA, ou de l'ergonomie (plus exactement, comment permettre au joueur de faire plein de choses différentes sans que ça devienne trop compliqué) sont aussi importants. Sans oublier peut-être le plus complexe d'entre eux : la narration. Bien évidemment, octroyer au joueur la liberté d'aller plus ou moins où bon lui semble et de s'atteler aux tâches qui le tentent dans l'ordre de son choix, c'est évidemment une complication d'envergure lorsqu'il s'agit de pondre une narration sinon soutenue, du moins rythmée. Comment par exemple donner un sentiment d'urgence sur une mission particulière, lorsqu'on peut la faire quand on veut ? Ne faudrait-il pas dès lors ménager des zones précises sur la chronologie de la narration où le joueur pourra s'amuser à faire ce qu'il veut, et le priver de ce choix à des moments clefs pour plus de tension et de logique ? Mais alors, cela ne risque-t-il pas de hacher l'expérience globale, voire de frustrer ? Sans aller jusqu'à des refontes complètes de la structure de ces jeux, il y a déjà pas mal de choses qu'on peut faire pour ménager un semblant de "réalisme narratif". Par exemple, dans Far Cry 3, lorsque le joueur a crapahuté pendant des lustres avec pour seule direction ce qui attirait son regard et son envie, les PNJ donneurs de missions peuvent lancer des "Mais où étais-tu ?" et autres "On ne t'a pas vu depuis longtemps". Ca n'a pas l'air de grand chose, mais ça aide énormément la cohérence de l'univers.

S'adapter aux préférences d'un joueur

Il y a également beaucoup à apprendre du data mining auquel ne manquent pas de se livrer les développeurs de jeux de ce type. En effet, quand vous jouerez par exemple à Assassin's Creed III, sachez que les missions secondaires que vous choisirez, le temps que vous passerez à faire telle ou telle chose, l'ordre dans lequel vous les ferez ou encore les objets que vous collecterez le plus seront connus des développeurs, et qu'ils en tireront des leçons. Dès lors, j'espère que ces informations cruciales sur les habitudes des joueurs dans les mondes ouverts permettront d'améliorer ces derniers. On pourrait imaginer par exemple la modification d'éléments narratifs, comme le comportement de personnages ou même l'angle d'une mission de l'histoire en fonction des préférences d'un joueur qui seront connues par le programme, simplement en analysant quelles sont les tâches facultatives ou le comportement qui ont sa préférence. Sans être pour autant un monde ouvert, un titre comme Dishonored exploite en partie cette mécanique : tuez beaucoup, et le monde comme ses personnages le refléteront. Mais de Red Dead Redemption à Assassin's Creed en passant par Just Cause ou tout autre titre du genre, au lieu d'adapter l'histoire et les personnages, ne serait-ce que par petites touches, la plupart attendent patiemment que le joueur veuille bien déclencher une mission principale, et n'adaptent aucunement le déroulement de celle-ci à son style. Du coup, l'impact que le joueur à sur le monde ouvert qu'il explore et avec lequel il interagit reste relativement limité.

Mais proposer par exemple des journaux télévisés rendant compte de certaines choses déclenchées par le joueur dans un GTA (comme une fusillade provoquée par ses soins dans tel ou tel quartier), enregistrer des dialogues légèrement modifiés en fonction de ses habitudes, offrir des embranchements narratifs différents s'adaptant à son comportement, tout ça demande bien entendu une masse de travail supplémentaire assez faramineuse... Pourtant, son entreprise et son aboutissement seraient indubitablement un progrès substantiel pour ce type de jeux, qui, j'en suis persuadé, sont appelés à se multiplier, et donc à progresser.