Personnellement, ce que j'aime le plus dans le jeu, c'est qu'il est une fenêtre sur d'autres mondes. C'est l'immersion qu'il offre dans des fictions aussi diverses qui me donne généralement le plus de plaisir une fois la manette en mains.

Et justement : beaucoup vient de cette fameuse manette - ou du couple clavier/souris. Des périphériques capables de se faire oublier au maximum une fois maîtrisés, tout en offrant de larges possibilités d'interfaçage avec le jeu, grâce à leurs boutons, leurs sticks, leurs gâchettes, etc.

Quand je joue, je les oublie. Je m'immerge. Ça fonctionne. Lorsque la Wii a débarqué, lorsque Kinect a fait sa promesse si séduisante ("la manette c'est vous"), beaucoup y ont vu la possibilité d'une immersion accrue : "si je mime le mouvement de ma raquette avec ma wiimote, ce sera comme si j'étais dans le jeu !" pouvait-on penser. Ça paraissait logique. Mais ce n'est que tout récemment que j'ai réalisé pourquoi je n'étais pas très friand, tout en mesurant sa qualité, du motion control. Parce qu'en réalité, j'y cherchais précisément un outil pour une immersion accrue, alors qu'il en est l'assassin.

Le jeu par l'esprit, et non par le corps

Loin de moi l'idée d'envoyer le motion gaming au pilori, il a son intérêt, il élargit grandement les possibilités ludiques offertes par le jeu vidéo, et il y a même sans aucun doute des gens qui le ressentent tout à fait différemment, voire à l'opposé de ce que j'expose ici. Mais pour revenir à ce plaisir du voyage virtuel, qui n'est que l'un de ceux que le jeu vidéo peut susciter, les Wiimote, PS Move et autres Kinect sont de terribles freins (pour moi en tout cas).

L'immersion, c'est plonger de l'autre côté de l'écran. S'oublier, devenir autre chose ou quelqu'un d'autre. Un des pouvoirs fascinants du jeu vidéo. Mais comment puis-je me prendre pour Link si je dois me lever de mon canapé et tracer avec mon bras un mouvement précis pour faire rouler une bombe dans la bonne direction ? En réalité, j'ai plutôt besoin d'oublier mon corps, pour m'incarner dans celui, virtuel, d'un personnage de jeu vidéo ; précisément l'inverse ! Ce que beaucoup expliquent en disant "moi je veux rester vautré dans le canapé", c'est précisément cela : oublier sa position de jeu, ne plus avoir à penser à son corps, et ne plus percevoir de ses doigts et de leurs mouvements sur les touches que ce qu'on perçoit du mouvement de notre poitrine lorsqu'on respire ; rien, en définitive. Et embrasser, dès lors, ce qui se passe derrière l'écran, fenêtre sur l'autre monde.

A l'opposé de ces accessoires, il y a des choses comme l'Oculus Rift. Probablement le truc le plus immersif existant à ce jour (bien qu'à l'état de prototype) pour profiter plus encore de l'immersion proposée par le jeu vidéo. Une fois le casque posé sur la tête, plutôt que d'ajouter le mouvement réel à l'univers virtuel, il ôte vision et audition réels au joueur pour leur substituer pleinement ceux du jeu. Et il intègre, d'un certain point de vue, du motion gaming puisque le mouvement de la tête conditionne celui de la caméra dans un environnement de jeu 3D. Seulement voilà : si j'en juge par la vingtaine de minutes que j'ai passées Oculus Rift sur la tête, ce mouvement-ci semble aussi proche de la respiration que de la course des doigts sur les touches : il est naturel, précis, 100% efficace, il se fait oublier. Orienter notre champ de vision, quoiqu'on en dise, fait partie de ces actions de notre corps les plus naturelles et les plus inconscientes. Peut-être que si nous étions nés avec une épée dans la main, agiter la Wiimote à sa place serait tout aussi naturel, mais la nature en a décidé autrement, pour le bien sans doute des statistiques de mortalité en couche.