Si la BD Belge a ses Dupond et Dupont, à Arkham, ce sont Philippe et Philippe qui garantissent le bien être de leurs milliers de Comics. Encore mal connue du grand public, la « culture comics » envahit actuellement nos télévisions, cinémas, et même consoles de salon. Rencontre avec deux passionnés, dans le temple des super héros colorés...


Philippe 1 (P1, à gauche) et Philippe 2 (P2, à droite). J'ose espérer qu'il ne me tiendront pas rigueur de ces raccourcis digne d'un tableau périodique des éléments...

Je vous laisse me présenter votre boutique Arkham...

Philippe 2 : c'est une librairie spécialisée comics qui existe depuis bientôt 14 ans (1996), qui était avant située 15 rue Soufflot. C'était plus grand, plus mixte à l'époque, il y avait beaucoup plus de jouets. Maintenant on est 7 rue Broca et on s'est d'avantage recentrés autour de la librairie.

Philippe 1 : C'est plus petit mais il y a plus de comics qu'avant...

P2 : Rue soufflot c'était destiné à un public adulte, y avait un côté collector / vintage qui nous saoule un peu, et ici on ne fait plus que du jouet neuf destiné aux enfants. La différence c'est que les enfants, quand ils achètent le jouet, ils ouvrent le blister jouent avec les accessoires, cassent les jambes, les bras, alors que les adultes ils n'ouvrent pas le blister, le mettent à l'abris de la lumière...

P1 : ... mais en cassant les jouets - ce qu'on ne leur souhaite pas - ils se constituent des souvenirs heureux qui feront d'eux, on l'espère, des adultes équilibrés.

Comment est née votre passion pour les comics? Grâce aux films?

P1 : Y'avait pas de films quand on était petits (rires), on a lu les journaux, on a lu Strange et on est tombé dedans quand on était petits.

P2 : Strange, pour resituer auprès du lectorat de Gameblog que je salue, était publié par une maison d'édition : Lug, qui avait essentiellement du Marvel...

P1 : A la base on aime bien toutes les BD du moment qu'elles sont bonnes, et on a quand même aussi grandi avec la BD franco-belge, parce qu'on vit dans un pays qui en fabrique pas mal. L'ennui c'est le rythme de sorties qui est un peu problématique quand tu veux consommer, tandis que la BD américaine, tout n'est pas bon mais c'est une véritable industrie et y a une production massive et régulière. En plus à l'époque où on en lisait, on a pu lire certains chef d'oeuvres en version originale lors de leur parution.

P2 : De toutes façons il faut être passionné parce qu'on n'est pas dans un genre de métiers qui te rapportent l'amour, la gloire, la beauté, l'argent...

P1 : ... alors quitte à choisir on a pris la beauté !

Donc vous avez des comics collectors qui valent des milliers de dollars ?

P1 : Y a aucun mérite, il suffit d'être vieux (rires) !

P2 : Mais c'est pas le cas de toutes les publications de l'époque...

P1 : ... tu te trimbales aussi beaucoup de merdes.

P2 : Philippe a intellectualisé tout ça mais y a aussi une histoire de « passion »... Tu lis des histoires de super héros et puis t'accroches ou t'accroches pas. Ensuite la BD américaine ne se réduit pas aux super héros... y a des choses qui peuvent se rapprocher de la BD européenne, et des genres beaucoup plus adultes comme Crumb, Spiegelman...

P1 : Mais c'est vrai que les grandes traditions de la bd américaine hors super héros c'est la guerre, l'horreur, la SF.

Quel est le public, votre public, des comics actuellement ?

P2 : Pour la BD on a un public...

P1 : ... qui doit connaître l'anglais ! On a beaucoup de VO et l'import, c'est ça qui fait notre différence par rapport au supermarché de la culture, donc ça crée déjà une première barrière. On vend cependant de plus en plus de VF.

P2 : Quoi qu'il en soit, il y a une forte majorité du public qui se situe entre 30 et 40 ans.

Que pensez-vous des nombreuses (mauvaises ?) adaptations de Comics au ciné ? Je pense notamment à Green Lantern qui doit sortir été 2011.

P1 : Y a aucun point négatif à ces adaptations, c'est que du positif. Un petit positif mais c'est déjà bien. Le truc le plus rigolo c'est quand même que quand un film Spider-Man sort, des tas de gens se rendent compte que Spider-Man ne s'est pas arrêté de paraître le jour où ils ont arrêté de le lire. Et pour nous c'est bien parce qu'ils se rendent compte que depuis les 10-15 années où eux sont passés à l'Equipe et au journal de TF1 (rires), Spider-Man lui a continué à avoir des aventures. Ensuite la qualité des adaptations, peu importe, car toute publicité est bonne à prendre, même si les superhéros se retrouvent dans ELLE... Nous on était là avant les films et on sera là après si tout se passe bien !

P2 : Pour ma part oui et non. Les productions ciné sont destinées à un public beaucoup plus large. Quand tu fais un film de X-Men tu fais pas un film pour les 1 million de lecteurs à travers le monde, tu rentabiliserais pas le film. Donc les gens découvrent les super héros mais vont pas forcément acheter ensuite leurs histoires en BD. En revanche le truc amusant c'est que quand un film Spider-Man sort et que t'as des Spider-Man accrochés dans ta vitrine, t'as des tas de gamins de 3 à 5 ans qui disent « oh Spider-Man ! » et n'auraient pas forcément connu le personnage sans le film.

Arkham 7 rue Broca 75005 Paris

Et pour ce qui est des adaptation de comics en jeux vidéo ? Spiderman Shattered Dimensions, Batman Arkham Asylum, DC Universe Online... Batman Arkham City.

P1 : J'ai découvert Spider-Man Shattered Dimensions, alors il faut être honnête, j'y connais pas grand chose aux jeux vidéo, j'ai des enfants donc j'ai pas le temps, en plus j'ai jamais été très doué (rires), mais j'ai vu plusieurs jeux qui avaient l'air d'avoir des scénarios hyper développés et notamment deux, Spider-Man et Arkham Asylum. Le jeu Scott Pilgrim aussi, on m'en a dit du bien.

P2 : Moi mon seul rapport récent aux jeux vidéo c'était quand j'ai posté le trailer de DC Universe Online sur le blog d'Arkham.

P1 : ... c'est un meuporg c'est ca?

(rires)

Vous aviez une émission sur Nolife « Duo Comics », qui n'a malheureusement pas continué. Que pensez-vous des émissions actuelles ayant attrait avec des domaines de la culture « geek » - le mot est lâché - dans les différents médias?

P2 : On n'a pas la télé (rires) !

P1 : Cependant si quelqu'un veut qu'on fasse une émission de télé pourquoi pas... On n'a pas envie de se liquéfier le cerveau avec la télé mais on peut sans aucun problème liquéfier celui des autres !

Qu'est ce que ça vous a fait, au coeur, à l'esprit ou ailleurs, la première fois que vous avez entendu que se déroulait un Comic Con à Paris?

P2 : On a fait un salon Arkham il y a plus de quatre ans, le premier salon type Comic Con à Paris c'était nous (rires) ! Ca s'appelait « Collectors rendez-vous » c'était à l'espace Wagram.

P1 : C'est nous qui avons fait venir en premier les acteurs de Star Wars en France... Qu'on voit encore au Comic Con d'ailleurs, j'ai encore aperçu Kenny Baker sur le dernier salon.

P2 : On n'est pas hyper fan de conventions mais allez y, c'est très bien !

Ces derniers temps, l'emploi du terme « geek » (entre cliché et récupération médiatique) fait un peu débat. Que pensez-vous de cette appellation ? C'est quoi un geek ?

P2 : L'utilisation du mot geek peut parfois faire polémique, en ce qui me concerne ça ne me pose aucun problème.

P1 : C'est juste une étiquette pour aller plus vite quoi.

P2 : Adulescent est déjà plus discutable comme terme. Ensuite « geek », il ne doit pas y avoir qu'un seul geek, il y en a de plusieurs types, des geeks, y a des gens qui jouent aux jeux vidéo, d'autres qui lisent des BD, qui font du jeu de rôle...

P1 : Les mots comme ça c'est vrai que c'est marrant, parce que nous on était geek y a longtemps et le mot n'était pas courant, il était juste réservés aux « fans d'imaginaire ».

P2 : C'était des termes péjoratifs à l'époque, pour que les pompom girl et les footballeurs américains désignent les mecs qui allaient aux "science exhibits" et qui faisaient des maths, les mecs qui sortaient pas avec des filles... Y avait des nerds et des geeks.

P1 : Oui mais y a un des deux termes qui désigne les techno freaks et l'autre qui désigne l'imaginaire.

Lequel est lequel alors?

P1 : Aucune idée :)

P2 : Pour faire une analogie c'est un peu comme les rappeurs américains qui se sont octroyés le mot nigga, se sont réapproprié un terme plus que péjoratif et insultant pour en faire une interjection dans leurs morceaux et simplement se désigner entre eux ! Aujourd'hui geek et nerd sont entrés dans le langage courant.

Et pour ce qui est du débat « être geek ça se mérite », est ce qu'une personne qui n'a qu'un comic par an peut se dire geek?

P1 : Nous on préfère qu'il en ait 100 pour des raisons évidentes mais chacun le vit comme il veut. Si ensuite ça devient un fait de gloire d'avoir beaucoup de comics, tant mieux !

P2 : Moi je me pose pas la question, je ne joue pas aux jeux vidéo ni aux jeux de rôle mais je lis de la SF, j'ai lu le Goncourt avant qu'il ne soit Goncourt (rire)... Alors après tout Houellebecq est-il un geek ? Il a fait un livre sur Lovecraft, il est informaticien, y a pas mal de twists SF dans pas mal de ses romans...

Houellebecq : premier geek à obtenir le Goncourt, donc !

P1 : En gros les geeks ils ont une qualité, c'est qu'ils sont ouverts à l'imaginaire. Et c'est ça la vraie différence avec le commun des mortels. Ça fait super pédant de dire ça (rires). Les gens n'ont pas peur de se rappeler ce dont se gaussent les journalistes grand public. Continuer à rêver sans être un abruti pour autant. C'est important de faire travailler sa part d'imaginaire.

J'ai toujours rêvé d'être ce petit garçon américain sur son vélo à drapeau, qui partait dépenser ses dollars du mois dans le dernier Spider-Man. Malheureusement, la culture du comics a souvent semblé se heurter à un vrai problème d'accessibilité. Si les jeux vidéo se trouvent désormais à chaque coin de rue, la culture du Comics reste encore underground, les points de vente sont rares, et les seules alternatives grand public viennent des adaptations cinéma et jeux vidéo. A ce propos si ce n'est déjà fait, je ne saurais que trop vous conseiller la série The Walking Dead, le film Scott Pilgrim, et de guetter avec attention la sortie d'Arkham City. Car s'il serait difficile de dire si un super héros procure plus de sensation en cases que virtuellement, ce qui est certain c'est qu'il se diversifie pour le plus grand plaisir de tous les amoureux d'imaginaire, et n'est pas près de rendre son masque.

Salomé Lagresle

Bloggeuse jeux vidéo et gameuse irréversible, Salomé, jeune fille sage de 22 ans, reste néanmoins la femme d'un seul homme : Snake. Collectionnant les jeux Ken le survivant et les pistolets en plastique, cette étudiante en communication et co-présentatrice de l'émission Gameblog sur DirectStar expose, parfois même en chanson, ses humeurs et aventures quotidiennes sur son site coloré : Junkflood.