C'est au Paris Games Week que je rencontre Gregory, au détour du stand Ubisoft. Sans le connaître, ce qui m'avait en premier interpellé chez lui était la description qu'il avait faite de sa personne par mail :

  • Taille : 180 cm
  • Poids : 93 kilos
  • Age : 29 ans
  • Cheveux : pas trop
  • Profession : Game Designer
  • Jeu / Anime favoris : Pokémon
  • Plus : Gradé en KungFu Shaolin, vieux danseur HipHop
  • Comment pouvais-je résister à l'envie d'en savoir plus sur Gregory ?

Grégory je te laisse te présenter...

Je m'appelle Gregory j'ai 29 ans, je suis un geek, un bon geek, un pur geek mais pas un produit du geek. J'ai commencé dans le sport, être geek c'était juste une activité extra scolaire. Puis j'ai voulu être geek à plein temps, c'est pourquoi je travaille comme développeur de jeux vidéo, comme game designer et en plus comme pro speaker pour animer les salons. De cette manière je suis en amont et en aval de la geekerie.

Lorsque tu m'as envoyé un mail, tu me disais « être le vrai cliché du geek » : 100 kg, fan de Pokémon... Quel geek es-tu ?

Alors, les Pokémon, j'ai commencé par adorer le dessin animé, ce lien avec la nature (faune, flore) mélangé a un univers coloré et dynamique le tout sur fond d'entraînement, de perfectionnement, d'évolution. Une quette pour s'améliorer humainement et physiquement.

En plus d'être un modèle d'univers prônant des valeurs qui me semblent importantes, c'est un modèle à suivre, ou tout du moins à garder en mémoire en terme de game design.

Et puis le jeu gameboy, quelle révélation ! Après une nuit blanche passée à améliorer mon Salameche, sans comprendre vraiment pourquoi, j'étais addict.

Maintenant, après être passé de l'autre coté du miroir et en passant mon temps à jouer à la version Gold, les boucles design sont justes ultra bien pensées, tout comme la collection et le levelling des Pokémon, la social value avec les échanges, l'accessibilité, ou encore la possibilité de jouer rapidement. En tant que sportif il y a aussi la real life benefit qui permet d'entraîner son Pokémon en courant : c'est du génie!

Sinon à part ça, chez moi c'est la panique entre toutes les consoles branchées à l'écran plat, plus toutes les consoles rétro de l'Atari en passant par les consoles portables, et mes 3 énormes bibliothèques de mangas au grand dam de ma copine, car on se retrouve envahis au milieu de cet univers japanim. Je suis également au-delà du manga et du jeu vidéo, passionné par l'Asie puisque je fais du sport, et principalement des arts martiaux. En clair, j'ai 11 mois par an de geekerie où je produis des jeux, les vends et y joue, en regardant ce que ce qui se fait dans le manga pour essayer de retranscrire cet univers là, puis je m'accorde un mois pour partir au fin fond de la Chine à Shaolin, pratiquer les arts martiaux, loin de tout ce qui est indispensable dans notre société. Pas d'électricité, pas de télé, pas la moindre connexion (sans même parler des censures Google), pas de téléphone, pas de Facebook ni de Youtube... En fait le but est de garder l'esprit de cette passion pour l'Asie qui est en moi, mais d'une autre manière, d'une manière un peu plus « nature » sans avoir besoin d'acheter, de consommer, comme on le retrouve souvent dans l'attitude du geek. C'est d'ailleurs un vrai problème cette consommation permanente, la mise en avant de tout ce qui est mercantile. Tu es geek donc tu dépenses des sous en permanence, parce que l'aspect technologique coûte très cher. Moi j'ai besoin de m'éloigner de ce coté mercantile.

(A cet instant précis, nous sommes assis par terre au Paris Games Week, lorsqu'un enfant se penche vers nous et dépose un faux billet Def Jam Rapstar à nos pieds en nous disant « tenez, pour nourrir vos bébés ». Le geek est généreux mais moqueur).

Qu'est ce qu'un geek pour toi ?

Le point de vue du média, et c'est pour ça que c'est cool de te voir toi et de pouvoir donner une autre image du geek, qui est diffusé sur beaucoup de gros réseaux est que le geek peut se définir comme quelqu'un qui va beaucoup consommer sur différents domaines concernant le Japon, ou touchant à la technologie. Un geek pour moi c'est au-delà de ça. Les geeks ce sont des passionnés, ce sont juste des gens qui vivent à fond, un geek ne peut pas se voir réduit à sa spécialisation. Un geek c'est une culture. Et c'est ça je pense qui fait peur aux gens, c'est qu'on est des passionnés de plein de choses. Généralement les gens qui se passionnent pour le manga, à côté ils regardent les animés, et ils écoutent de la J. Pop... On a envie d'être le plus hétéroclite possible.

Comment expliques-tu que le geek est passé de l'image du boutonneux dans sa chambre au fan de mangas, d'anime ?

L'attrait vers le Japon ca fait déjà un moment qu'il est pointé du doigt. Moi j'ai été élevé avec les Ken le survivant et les Nicky Larson, je commence à faire partie des vieux. Au Japon ils se permettent et s'autorisent une liberté de création que nous en Europe ou aux Etats-Unis avons du mal à réaliser. Quand des petits regardent Naruto, c'est le shonen, c'est un chemin initiatique, et c'est d'ailleurs pour ca que j'aime les arts martiaux. J'ai été élevé avec Dragon Ball Z et Ken et pour moi l'anime est un moyen de communication très facile pour les enfants. Ça les touche directement. Certaines productions françaises comme par exemple les Ratz, ça communique rien tu vois. Y'a pas de valeur. J'ai l'impression que toute cette culture du manga touche les jeunes parce qu'elle parle de valeurs qu'on a tendance à oublier.

Revenons aux arts martiaux. C est pas un peu insolite pour un geek de savoir se défendre ?

C'est surtout très pratique, comme ca quand on me dit que je suis qu'un gros geek je peux mettre un mawashi geri direct.

Moi je peux juste mettre un entrechat... On est au PGW que penses-tu du salon et de ce qu'il peut apporter à la culture geek ?

Déjà, je trouve qu'il y a beaucoup de monde pour une première édition (le salon aura rassemblé 120.000 visiteurs sur les 6 jours d'ouverture). On s'ouvre au grand public et ce qu'on constate c'est que plus ou moins tout le monde s'y intéresse, geek ou non. Et puis après tout, on est obligé de vivre avec son temps, ma maman a un iPad, ma grand-mère joue à Gran Turismo... bon j'ai eu du mal à la mettre à Gran Turismo, mais on voit que le public a changé, et a évolué ces cinq dernières années. Les jeux eux aussi s'adaptent au public, c'est pas seulement le public qui devient plus large. Il y a eu une écoute peut-être plus attentive de la part des éditeurs et développeurs. Sur Michael Jackson The Experience typiquement : les gens aiment Michael, ils aiment danser sur du Michael et on leur donne une opportunité de jouer avec ça, qu'ils soient geeks ou non. Mais c'est valable aussi pour les jeux de Tennis ou encore les jeux Kinect. Quand tu vois les jeux Kinect ou PS Move, il ne s'agit plus d'une configuration seul à seul face à son écran, maintenant c'est au grand jour que ça se passe, ce n'est plus pudique.

Il y a deux semaines dans Une fille qui aime les Geeks #5, Mme Cocotte disait que des grandes conventions étaient désormais pour les gamins et non plus pour les geeks. Preuve en est qu'il y a autour de nous beaucoup de jeunes enfants accompagnés de leurs parents, et pas tant de « vrai geek » trentenaires comme elle les décrivait. Est-ce que les gens qui viennent ici sont quand même des « geeks » ou est-ce que ce sont juste des personnes curieuses et intéressées par une culture très commerciale ?

Pour le coup je ne suis pas d'accord avec elle. Parce qu'au Paris Games Week on a les deux publics, on a les très jeunes et les geeks. Si tu regardes à côté de nous, il y a une grosse file d'attente, et ces gens attendent depuis plus d'une demie-heure pour aller voir Assassin's Creed Brotherhood en solo. Les geeks ce sont aussi ceux qui ont payé mercredi matin 15€ pour être là avant tout le monde et jouer tranquillement à toutes les nouveautés. Il ne faut pas se tromper de cible, car il y a les deux publics. Actuellement, le fossé entre passionnés de toujours et nouveaux venus s'équilibre, et c'est à cause de ça qu'on voit un tel succès et un si grand nombre de visiteurs sur cet type d'évènement.

Un slogan geek pour finir ?

KaaaaaameeehaaaaaameeeeeeeGEEK !

Pour la première fois en France, un salon entièrement consacré au jeu vidéo ouvrait ses portes au public pendant 5 jours. Cinq jours qui pouvaient auprès de puristes, s'apparenter d'avantage à une transposition d'un salon de l'auto ou de tout autre rassemblement de masse, visant plus à « scorer » qu'à réellement réunir les passionnés autour de nouveautés vidéoludiques. Cependant, comme le précisais Gregory, le clivage entre grand public et « geek » tendrait à s'amoindrir. Ne peut-on pas simplement voir en un événement comme le Paris Games Week un pas de plus fait en direction de l'acceptation du jeu vidéo comme divertissement de masse qui, certes, engendre des millions, mais aussi a cet incroyable pouvoir de fédérer les générations ?

Il est important de faire comprendre à nos parents et grands-parents tout le plaisir que l'on peut ressentir en jouant en avant-première à un Call of Duty : Black Ops ou à un Gears of War 3, même entouré de 20.000 personnes... Non pas dans une optique d'échange inter-générationnel lors d'un repas dominical, non, mais bel et bien dans le contexte actuellement hautement pré-Natal. Et si vous ne voyez toujours pas où je veux en venir ne vous inquiétez pas... Vous comprendrez le moment venu en déballant avec amertume votre gilet en tricot au pied du sapin.

Salomé Lagresle

Bloggeuse jeux vidéo et gameuse irréversible, Salomé, jeune fille sage de 22 ans, reste néanmoins la femme d'un seul homme : Snake. Collectionnant les jeux Ken le survivant et les pistolets en plastique, cette étudiante en communication et co-présentatrice de l'émission Gameblog sur DirectStar expose, parfois même en chanson, ses humeurs et aventures quotidiennes sur son site coloré : Junkflood.