Grégory Szriftgiser, alias RaHaN, est un ancien journaliste jeux vidéo qui a fait ses armes dans la presse papier (Joypad, Joystick, PlayStation Magazine, Gaming) avant de fonder avec ses anciens compères le site Gameblog. Il quitte cette aventure en 2013 pour embrasser une carrière de l'autre côté du miroir, du côté des développeurs de jeux, tout en allant à l'autre bout du monde, au Canada. Il travaille actuellement sur différents projets, mais revient nous voir régulièrement pour publier ces billets d'humeur ou participer à des podcasts.


EA conserve son avance technologique

Au-delà même des qualités visuelles de leur formule 1 maison, le moteur Frostbite, Electronic Arts a démontré son avance technologique sur les autres éditeurs tiers au travers d'une des annonces passées plus ou moins inaperçues de cet E3, au sein de sa conférence : l'initiative SEED.

Alors qu'une majorité de développeurs et éditeurs ne voient bien souvent dans les technologies d'Intelligence Artificielle fondées sur les réseaux neuronaux et le machine learning qu'un outil d'analyse business, quand ce n'est pas moins encore, EA semble s'intéresser à leurs applications en matière de game design, en sus d'autres dossiers de R&D suivis par SEED. Et ne vous y trompez pas : même si l'horizon de leur concrétisation sous forme de jeux reste lointaine, ces technologies représentent une nouvelle frontière à explorer pour l'industrie, laquelle permettra indubitablement de proposer des expériences impossibles sans elles.

Les constructeurs retombent dans les travers du passé

Microsoft balance le plus possible de chiffres ronflants pour affirmer qu'ils ont la plus grosse (console), Sony se déclare comme le paradis du meilleur contenu en gonflant la poitrine, et tous deux ne mettent plus véritablement en avant que des blockbusters ronflants mais classiques. Le premier tente de reprendre le devant de la scène avec une Xbox One X qui n'a finalement rien à montrer pour l'instant en dehors d'un Forza 7. Le second est en nette perte de vitesse avec une conférence en demie-teinte, articulée autour d'un remake (Shadow of the Colossus), de spin-offs (Uncharted the Last Legacy et Horizon Frozen Wilds), d'un blockbuster tiers ultra convenu (Call of Duty WWII), et seulement deux véritables sensations, God of War et Spider-Man. Days Gone et Detroit pour la carte narrative à QTE, achèvent de boucler le show des jeux attendus mais déjà annoncés auparavant... et tout ça sort en 2018.

Alors que les catalogues des nouvelles consoles peinaient à trouver leurs gros titres en début de génération, ce qui est bien normal, on voyait du jeu indé et/ou arty partout et en masse - c'est désormais une carte sous-jouée, vue chez Microsoft au travers d'une compilation vidéo, comme une case à cocher sur le cahier des charges, tandis que Sony n'en fait même pas mention. Certes, Microsoft ressort au moins du secteur des choses intéressantes comme A Way Out (par Josef Fares, créateur de Brothers), Ori and the Will of the Wisps (qui reste une suite), ou encore The Last Night (jeu d'un gamer gater et anti-féministe établi, qui tente péniblement de faire oublier ses tweets aux résonances d'extrême droite).

Mais la bataille semble véritablement se jouer sur le terrain des blockbusters, de la puissance, et de jeux qui seront sans doute réussis, mais peinent à trouver leur originalité et leur fraîcheur. Et tant qu'on parle de ça...

Pas super frais, ton poisson

Du post-apocalyptique, avec ou sans zombies, un peu partout ; des jeux « inspirés » par l'approche multijoueurs de Destiny ; des mentions appuyées à l'eSport et aux réseaux sociaux dont on tente toujours la conquête sans comprendre qu'ils vivent leurs succès de manière organique ; une large collection de jeux déjà annoncés la ou les années précédentes ; beaucoup, beaucoup de shooters en vue subjective ou troisième personne ; une tétrachiée de QTE tandis que Shenmue III reste absent ; une année à suites et à DLC ; bref, un léger manque de surprises et de fraîcheur qui ne remet certes pas en cause la qualité globale de cette moisson, mais reste porteur de déception pour beaucoup.

La VR semble déjà morte

Soyons sérieux deux minutes. Non seulement c'est un petit marché dont la pénétration ne témoigne d'aucun signe d'amélioration, mais en termes de contenu, la VR montre des signes évidents d'échec.

Sortis d'Elite Dangerous et de Resident Evil VII, les possesseurs de casques n'ont toujours pas grand-chose à jouer de profond et de dense, que ce soit sur PC (oublions la poussive conférence PC Gaming Show) ou PlayStation 4 ; les jeux montrés par Bethesda en VR ont l'air au mieux de rapides portages dans un contexte VR qui n'apporterait finalement pas grand-chose si ce n'est chez beaucoup une belle envie de vomir, avec un gameplay cahotant, et l'empilement de titres absconds chez Sony peine à faire rêver autour du PS VR. La soi-disante révolution aurait-elle été tuée dans l'oeuf ? Personnellement, je pense qu'elle a toujours été annoncée à tort par ceux qui croyaient y voir une vraie nouvelle frontière. Je suis toujours resté dans le camp des circonspects, curieux et rêveur, mais pas dupe. Il n'y aura pas de large démocratisation du jeu vidéo VR avant encore longtemps ; tant, à vrai dire, qu'il n'y aura pas un catalogue de contenu aussi vendeur que peut l'être un Zelda Breath of the Wild pour la Switch, et des prix plus accessibles.

Diversité poussive mais en progression

Tandis que côté jeux, plus de 80% des titres présents continuent comme en 40 de s'articuler autour de mécaniques basées sur la violence, l'industrie poursuit ses efforts pour montrer plus de diversité (au moins en surface).

La répartition des jeux proposant d'incarner les deux sexes, uniquement des héroïnes, ou uniquement des héros progresse en faveur de la mixité, comme le rapporte Feminist Frequency, avec 52% de jeux mixtes, mais seulement 7% de jeux à héroïnes contre 26% à héros. Plus de femmes sur scène, ou présentes dans les trailers dans le rôle de joueuses (comme avec la sensation Anthem) : tout cela est indéniable, mais si j'étais cynique, je me laisserais penser qu'il s'agit-là avant tout d'une volonté d'éviter les critiques et d'une posture qui, pour certains, s'avère plus marketing qu'autre chose. Il reste encore beaucoup à faire, et pas seulement côté mixité des sexes.

La faveur du public

Si la presse aura jugé durement la conférence EA, effectivement décevante tant par son ton soporifique que son contenu sans surprises, les fans suivant l'E3 accordent en revanche beaucoup plus d'attention à l'éditeur, qui remporte, grâce au mastodonte qu'est l'univers Star Wars, la palme du jeu le plus visionné sur la toile.

Avec plus de 13,5 millions de vues cumulées sur YouTube pour les vidéos de Star Wars Battlefront II, le shooter domine largement le second, qui n'est autre que Spider-Man avec plus de 11 millions de vues cumulées (tout cela à l'heure où j'écris ces lignes). En troisième position, on retrouve Assassin's Creed Origins qui cumule sur la tétrachiée de chaînes officielles localisées d'Ubisoft plus de 8,6 millions de vues, suivi de Super Mario Odyssey (7,34 millions), dont il est à noter qu'il a un jour de retard sur les autres puisqu'il n'est apparu que Mardi. Le prochain blockbuster de la Switch en a cependant profité pour largement dominer la journée du 13, sur YouTube, Facebook, et Twitter (si on en croit FanCensus). Anthem, que beaucoup considèrent comme la démo la plus impressionnante visuellement cette année, cumule 4,5 millions de vues. Synthesio, plate-forme de "social intelligence", confirme également qu'EA domine le buzz positif de cet E3, non seulement en tant qu'éditeur, mais aussi avec Star Wars Battlefront II.

Côté conférences et autres Directs, ça se joue dans un mouchoir de poche autour des 2,8 millions de vues pour Xbox, Nintendo et PlayStation, tandis qu'Ubisoft, côté éditeurs tiers, installe une immense avance à plus de 2,2 millions de vues cumulées sur le second, Bethesda (1,4 million), tandis qu'EA ne franchit même pas le million.

Notons ainsi qu'Ubisoft continue de prouver sa maîtrise de l'exercice, en offrant diversité, ton plus humain que jamais, et capacité à brosser les fans dans le sens du poil avec la confirmation de Beyond Good & Evil 2 - au travers d'un trailer absolument sublime, mais sans occulter la non-existence du jeu, dont la production n'a toujours pas vraiment décollé si on en croit les bruits de couloirs. Mais peu importe: en vérité, en dehors de cette poignée de fans très vocaux, le public ne l'attend pas tant que ça (1,6 millions de vues cumulées).

Notons, pour finir, que la vidéo d'annonce/présentation de la Xbox One X n'a pas dépassé les 5 millions de vues, témoignant si besoin était, que les internautes veulent surtout voir des jeux.

*N.B.: plutôt que de suivre les chiffres limités publiés ça et là, j'ai cumulé les vues sur la vingtaine des plus grosses chaines des différentes vidéos de ces jeux, au cas où vous vous demanderiez d'où ils sortent.

Conclusion

Bref, parmi la vingtaine d'E3 qu'il m'a été donné de suivre (dont une quinzaine sur le showfloor), on ne pourra pas dire que celui-ci se classe parmi les plus mémorables à mon goût, vous l'aurez compris.

Sur ce, je retourne jouer à Zelda : Breath of the Wild, dont les échos ne sont pas prêts de s'arrêter au sein de la communauté des développeurs (et c'est une excellente chose) !