Aujourd'hui, je tente encore quelque chose de nouveau. Après avoir fait une double interview sur une notion de Game Design, après une triple interview sur un thème universelle et polémique je fais une simple interview, cette fois-ci courte et intimiste à une gameblogueuse. Intimiste parce que la nous parle à tous mais elle reste quand même introspective. Bien sûr rien ne nous empêche de parler tous ensemble de cette grande question : Quand arrêtons-nous de jouer aux jeux vidéo ? Et pourquoi ?

Mais laissons d'abord la parole à Kyalie qui a des doutes avec son statut de joueuse pour la prochaine génération, pas qu'elle se sente trop grande pour jouer, mais le marché à trop changer à son goût.

Gameblogueuses, pouvez-vous présenter en quelque mot ?

Kyalie : Alors, je suis Kyalie, 23 ans, character artist 3D dans une boîte à Montréal (qui a une réputation toute pourrie et qui fait des jeux sur mobile :D), le reste du temps je suis spriter sur un projet de RPG amateur appelé Lije (PUUUB). Et je joue presque exclusivement aux J-RPG.

Quelle est votre principale activité sur Gameblog ?

Kyalie : Ca dépend, un peu de tout, je passe peu de temps sur le forum en temps que tel, uniquement dans les commentaires des news, et parfois quelques billets de blog, j'écoute quelques podcasts parfois. Finalement, ça doit être sur Gameblag que je vais le plus régulièrement.

Sur quelles machines jouez-vous actuellement et qu'elle a été votre préférée ?

Kyalie : Héhé, ça peut surprendre, mais je ne joue que sur PS2 et PSP.
Clairement, la PS2 est LA console sur laquelle je suis devenue vraiment joueuse, sachant que la console de salon qui aura été la plus *communautaire* (j'ai deux petits frères et un papa presque aussi geek) dans la famille aura été la N64, la 1ère réellement familiale (la NES de mon père étant trop austère pour nos jeunes âges). On en aura passé du temps sur Super Smash Bros, Mario Kart, et surtout Mario Party qui acheva de niquer les sticks de nos manettes.
Au niveau des jeux solos, j'ai passé de longues années à être uniquement spectatrice, à regarder mon jeune frère jouer, jusqu'à ce qu'il abandonne définitivement les consoles pour le PC. Et à l'époque c'est la PS2 qui accueillait le plus de J-RPG à mon sens - enfin surtout de "jeux Square" parce que comme tout le monde FF7 avait été une baffe et je ne connaissais pas d'autres boîtes faisant des RPG dans ce genre.
Depuis je me suis donnée comme défi de faire tous les RPG sortis hors Japon sur PS2. Et j'ai pas fini, quand bien même je laisse plutôt les T-RPG et les A-RPG à mon frère cadet.
Comme je ne cours pas derrière les derniers jeux, je ne suis pas du tout une joueuse PC et j'ai beaucoup de mal à rester concentrée sur un jeu PC (de plus je suis incapable de jouer autrement qu'avec une manette). Je n'ai joué qu'à WoW à petite dose, et quelques jeux super nes en ému (mais j'en ai fini qu'un seul sur une demi-douzaine de J-RPG "cultissimes !")

Quels sont vos 3 jeux de référence ?

Kyalie : C'est vraiment difficile à dire. Je n'ai pas de jeu dont je ne connaisse pas les défauts ; mes jeux coup de coeur ne sont pas forcément les meilleurs à mon avis. Si je devais dire les meilleurs, ce serait Ôkami, FF7, et disons Super Smash Bros melee. Mes préférés seraient plutôt Drakengard, Ôkami, FF9... et Radiata Stories, et Persona 4, et Kingdom Hearts, et bon sang arrêtez-moi.

À quel(s) jeu(x) jouez-vous en ce moment ?

Kyalie : J'ai laissé un peu de côté Persona 4, parce que je suis arrivée au point de 'non-retour', que j'ai raté plein de trucs, et que du coup je planifie déjà ma prochaine partie X) Je me suis mise à Chrono Cross sur PSP, et c'est vraiment un très très bon jeu, il m'évoque beaucoup FF9 tout en étant nettement meilleur du point de vue gamedesign. Sinon j'ai toujours trouze milles jeux en attente d'être joué.

Quel jeux attendez-vous pour la fin d'année 2012 ou quel jeu cherchez-vous vraiment en ce moment ?

Kyalie : Je n'attends pas vraiment de jeu, peut-être le prochain Persona, quant aux jeux que je cherche je commence un peu à tourner en rond sur PS2 tant j'ai quasiment fait le tour.

Vous avez annoncé dernièrement dans l'un de vos statuts que ce serait sans doute votre dernière génération de joueur, un grand changement alors, mais pour quel raison ?

Kyalie :Par rapport à ce que j'ai dit plus haut, j'imagine que ça paraît logique : je suis une joueuse d'un style de jeu qui tend à disparaître. Les J-RPG tour par tour se font progressivement grignoter par l'action, les grandes maps se retrouvent étriquées, et la mise en scène autrefois presque théâtrale prend une grosse baffe hollywoodienne dans la face.

Globalement, je trouve que le jeu vidéo est victime de son succès : il se prend trop au sérieux aujourd'hui. L'industrie du jeu vidéo n'a plus ce côté artisanal, un peu amateur, qu'il pouvait avoir avant. Maintenant, on veut que ça en jette, que ça soit au super top, que ça rassure les actionnaires. Sans même parler du fait qu'il faut que ça rapporte plein de sous, peu importe les moyens. L'industrie ne cherche même plus à cacher qu'elle est une industrie, on utilise les termes de clients et de cible plutôt que de joueurs, de chiffres de vente plutôt que de succès et de réception.

Et dans le jeu ça se ressent : l'effort et l'exploration ont été remplacés par le spectacle, tout est beaucoup beaucoup mis en scène, et quand on obtenait auparavant un bonus grâce à sa persévérance, on nous propose aujourd'hui de l'acheter ; comme si dans FF7 on vous proposait direct la possibilité d'acheter le chocobo d'or, inconcevable !

Vous êtes donc d'accord pour dire que tout s'uniformise ? De ce point de vue, vous quitterez le jeu vidéo à cause de la disparation de votre genre.

Kyalie : Oui j'ai l'impression que tout s'uniformise à tous les points de vue.
On tend de plus en plus vers un gameplay action alors que paradoxalement on finit par jouer moins, que ce soit à cause d'une narration envahissante ou d'un gameplay pas très subtil ou lié à une difficulté suffisante. Visuellement aussi
La mise en scène devient hollywoodienne, et graphiquement, quand même on n'est pas toujours dans l'hyperréalisme, c'est la débauche d'effets qui pètent.

Pour parler plus précisément du J-RPG, ça a commencé à se sentir avec FFX ; peut-être que décidément FF:The Spirits Within n'a pas été qu'une baffe financière mais aussi philosophique...? FFX est vraiment calibré, on sent qu'ils en sont à appliquer des recettes, pouf phase d'exploration, pouf cut-scene.
Il y aussi l'effet feuilleton : peu importe la forme de la série, de quoi elle parle initialement, on va se retrouver à traiter d'une manière qui se veut réaliste les rapports entre les personnages, et finalement les thèmes seront tous les mêmes qu'on soit dans les Feux de l'amour ou dans True Blood.
Sauf que je cherche tout sauf du réalisme dans les J-RPG, pour moi ce sont des contes, des mythes, des épopées. Pas des films.

Contrairement à beaucoup de joueurs semble-t-il, je n'attends pas que le jeu vidéo devienne un art, devienne mature. Surtout quand il se retrouve dans le statut bâtard du film hollywoodien "on fait genre nos personnages sont des vraies personnes alors que c'est pas du tout adapté". C'est l'effet que m'a fait FF8 typiquement. C'est aussi l'effet que me fait le RPG occidental quand il veut permettre au joueur de s'identifier mais qui me fait me dire "je n'ai jamais vécu dans une telle époque, avec la menace permanente d'un dragon, je ne PEUX pas savoir comment je suis censée agir". Sans compter qu'on en voit vite les limites techniques.
On essaie de pousser à l'identification pour séduire, de faire quelque chose qui réagit comme le monde réel, qui ressemble au monde réel, mais honnêtement, c'est déprimant !

 

C'est une des raisons qui ne me rend pas du tout partisane des histoires d'amour réalistes, des scènes de cul dans le jeu vidéo, parce que mince c'est quand même archi banal, quand on n'est pas concerné, de voir ça de l'extérieur. Surtout que le sexe, c'est bien moins significatif de tendresse, de romantisme, qu'une caresse ou un baiser. C'est bien plus tôt, dans une histoire d'amour, que la tension amoureuse se résout, par le 1er baiser ou la déclaration, typiquement. Le sexe n'a aucun intérêt d'un point de vue scénaristique dans une histoire d'amour. Il ne peut servir que de confirmation et encore (dans ce cas il est redondant car on aurait tendance à dire "pourquoi en parler ? on sait bien qu'ils s'aiment, c'est logique qu'ils fassent l'amour"); contrairement à un geste de tendresse, le sexe est sujet à beaucoup plus d'interprétations. La preuve en est, il est utilisé comme une problématique dans Silent Hill 2 (auquel je n'ai pas joué :D) ou Black Swan au cinéma par exemple.

Euh... Drôle de transition sur l'amour et le sexe... Ben d'ailleurs ! Il est vrai qu'on est dans une période où le jeu se croit adulte... Peut-on faire la comparaison avec l'adolescence selon vous ? Une fièvre temporaire pour l'industrie ?

Kyalie : Je dirais que c'est pas mal le point de vue de BlackLabel ça :)
Qu'on n'arrive pas bien à définir ce qu'on entend par mature (l'idée de maturité pour le jeu vidéo ne m'intéresse pas tellement) et qu'on en fait le fourre-tout que ce qu'on vit nous en tant qu'adulte dans notre vie de tous les jours ; dureté du monde, désillusions, complexité des choses et des rapports humains (et donc là-dedans il y a relation de couple (et sa banalité ?) et sexe)... je trouve que la complexité qu'on tend à voir dans les histoires aujourd'hui est assez le reflet de tout ça ; on essaie de rendre le jeu vidéo sérieux. Mais je ne trouve pas forcément ça bien fait ou pertinent.

Je vois mal comment on pourrait sortir de cette projection de l'adulte dans le jeu, à tous les niveaux : auparavant les créateurs de jeux étaient tous des indés d'une certaine manière. Pas besoin de gros moyens pour faire son jeu, pas besoin de sous, on est libre, on peut le faire dans son garage.
Mais le jeu vidéo est devenue une véritable industrie : il faut gérer l'argent, les personnes, les actionnaires, et on est forcé d'imposer son point de vue (ou le leur) et de limiter les délires créatifs de certains. Et vu les enjeux, on cherche à plaire surtout aux autres, tout est calibré. C'est clairement un monde d'adultes, et il est normal que ça joue sur les créations.
Du côté des joueurs, c'est pareil : avant on avait beaucoup d'enfants, d'ados, aujourd'hui ils ont grandi et c'est cette cible adulte (reflet des adultes dans l'industrie) qui paraît la plus importante. Bref, du côté des joueurs comme des créateurs on est adultes.
Et vu l'état de véritable industrie du jeu vidéo on ne peut pas espérer que le changement de générations change la donne ; c'est trop gros, hiérarchisé.
Il n'y a encore une fois, que les indés éventuellement qui peuvent faire leur truc dans leur coin.

En tout cas, on est bien dans une recherche de reconnaissance des pairs, des autres adultes en-dehors du jeu vidéo, qui évoque l'adolescence, oui. J'espère que les gamers qui prennent tout ça à coeur (l'appellation d'Art, la définition du geek, qu'on arrête de dire que les jeux vidéo sont pour les enfants, etc...) apprendront à s'en détacher, mais est-ce que ce n'est pas quelque part abandonner le côté passionné de ce qu'on met un point d'honneur à appeler "passion" ?

 

Kyalie : Bref, pour en revenir au sujet, j'ai l'impression qu'à tendre vers le réalisme et l'identification, on tend à tout rendre banal.

Du coup, ma suspension de crédulité est beaucoup plus permissive pour le jeu vidéo que pour les films, si tant est qu'il s'assume comme un divertissement, comme un jeu (et ses limites) plutôt qu'une expérience - ce qui n'empêche nullement d'avoir une morale ou des idées à faire passer car c'est toute l'idée du conte et du mythe.
Or cet esprit-là, cet esprit enfantin, où on se met à rêver qu'on va combattre le dragon et sauver la princesse, qu'on va tomber amoureux, qu'on va sauver le monde (ça n'empêche pas non plus de prendre le contre-pied absolu de ça comme dans Drakengard :)), sans s'embourber dans des dilemmes à la con, a tendance à disparaître derrière des intrigues et des problématiques pseudo réalistes ; dans FF12 par exemple ce sont des manoeuvres politiques - et ça tombe pas mal à plat. A l'inverse, les Atelier (de Gust) jouent la carte de l'enfantin à fond, avec un gameplay sympa, et je suis cliente.

Je ne sais pas si on a raison ou tort de partir dans cette direction, si c'est ce qui fait plaisir à la majorité des joueurs, mais personnellement ce n'est pas mon cas. Trop serious business, à l'extérieur du jeu (l'industrie) comme à l'intérieur (la course au réalisme).
On trouve encore cet esprit chez les indés, mais les indés n'ont pas les ressources pour faire du J-RPG...

Vous dites ça par rapport à votre expérience personnel ? Le fait de travailler dans l'industrie vous a-t-il provoquer une désillusion ?

Kyalie : Les jeux auxquels je joue et les jeux auxquels je participe sont très différents ; je dissocie absolument les deux.
J'en oublie que je travaille sur un jeu vidéo ; je n'ai jamais eu de gros espoirs en entrant en tant que salariée dans ce domaine, un travail est un travail, un hobby est un hobby. D'ailleurs, je suis toujours un peu agacée quand on me parle de motivation et du fait de faire ce que j'aime, au travail : ces deux données ne doivent pas entrer en compte, je dois faire montre de professionnalisme, quelque soit ma motivation.
Pour moi, mon employeur n'a rien à voir avec Tri-Ace ou Atlus : de mon point de vue, on réalise un produit, et je suis exécutante. Tri-Ace et Atlus réalise les jeux auxquels je joue ; c'est de leur part que ça me dérange de les entendre parler gros sous. De la part de mon employeur, c'est normal. Je disais à 15 ans que je rêvais de bosser chez Square ; mais réaliser mon rêve l'aurait certainement brisé.
Je me demande comment ça se passe du point de vue des deux collègues que j'ai/ai eu, qui ont justement travaillé dans ces boîtes (Tri-Ace et Atlus) ; je sais que le type d'Atlus aime beaucoup les jeux sur lesquels il a travaillé, je l'ai d'ailleurs surpris à se mater un playthrough de Lucifer's call parce qu'il n'avait pas réussi à le finir ! Mais ils sont tous deux partis de ces deux studios il y a quelques années déjà.
Peut-être que ces deux studios avaient un mode de production encore un peu "indé"... ? Malheureusement je pense qu'il ne peut pas survivre aux demandes d'aujourd'hui, pas seulement du point de vue structurel mais aussi "idéologique".

Pour vous le jeu vidéo est donc quelque chose d'enfantin qui vous permet de vous sentir petite... Enfin sans rentrer dans la psychanalyse.

Kyalie : C'est pas forcément enfantin dans ce sens-là. Je suis une fana de mythologie, j'aime ces histoires souvent absurdes quand on y pense. Pourtant, elles ne sont pas gentillettes ; je disais enfantine parce qu'elles ne se soucient pas à l'extrême de cohérence par rapport au monde réel et qu'elles laissent la place à un imaginaire assez libre. Typiquement, je préfère les univers fabriqués pour l'histoire (dans la mythologie, chaque auteur a sa version du mythe, sa version du caractère d'un dieu, souvent adaptée à ses besoins), que l'histoire fabriquée pour l'univers (le cas du SDA).

Pensez qu'à ce rythme les gros jeux seront encore orientés pour le plus jeune public (en imaginant que Nintendo disparaît pour de bon) ou le réalisme aura raison de tous les jeux enfantins ?

Kyalie :  J'ai surtout peur que ce ne soit plus du tout fait intelligemment et qu'on se retrouve plus qu'avec du Léa Passion et autres jeux à license. Qu'une tranche d'âge finisse par disparaître définitivement des catalogues.

Si vous arrêtez le jeu vidéo, vous consacrerez votre temps gagné dans quel genre d'activité ?

Kyalie : A la création de jeu vidéo bien évidemment. :)

C'est déjà ce que je fais avec Lije d'ailleurs. Et du coup, il n'est pas toujours évident de coupler travail, vie sociale, jeu vidéo ET 2e *boulot* ! X)

Mais en plus de Lije, j'apprendrai peut-être à faire la cuisine :P