Enfin sorti en boîte, j'ai pu parcourir ce jeu qui a tant fait parler de lui. Je n'en savais pas grand-chose en dehors de quelques visuels croisés ici et là et la très bonne réputation qui le suivait comme son ombre. Et c'était une bonne chose tant ce genre de titre gagne à être entièrement découvert par soi-même. C'est donc pour cela que je préviens les lecteurs de ce modeste article: si vous n'avez pas fait Hellblade, stoppez ici votre lecture...enfin...non, attendez quand même un peu. Arrêtez-vous au panneau Spoiler situé un peu plus bas. Histoire que je vous présente tout de même le sujet du jour.
 
  • Éditeur : Ninja Theory
  • Développeur : Ninja Theory/Microsoft Studios
  • Année de sortie : 2017
  • Joué sur PS4 et PS5
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    Cet article est une réédition revu et corrigé de celui paru initialement le 16 décembre 2018 <
 

UNE CELTE DEVENUE CULTE


Il s'agit d'un jeu d'aventure où se mêle combats et énigmes dans lequel nous incarnons Senua, Picte de son état, parcourant des lointaines terres nordiques pour accomplir un rite qu'elle espère salvateur. Voilà. Inutile d'en dévoiler plus. Ah si quand même: la jeune femme souffre de psychose aiguë. Ce qui a un peu tendance à compliquer sa tâche. Elle devra donc surmonter bien des épreuves - réelles et psychologiques - pour parvenir à son objectif.
Soyons bref : ce jeu vidéo est une tuerie. Dès les premières minutes nous sommes happés par cette ambiance unique, à la fois fascinante et glauquissime au possible. On ne décroche pas jusqu'à la fin en se demandant, circonspect: "Mais c'était quoi ça ?!".
 
C'était juste une expérience vidéoludique captivante, osant s'aventurer sur des terres inexplorées et prenant des risques parfois insensés pour au final devenir un jeu culte.
 
 
Vraiment, si vous ne l'avez pas fait, foncez. Alors certes tout n'est pas parfait, notament la garde capricieuse, mais passé à côté pour ses quelques menus défauts serait une erreur. De plus il n'est pas bien long - une petite dizaine d'heures - et vous aurez eu la chance de vivre une des plus belles démonstrations de ce que peut faire le média jeu vidéo lorsqu'il est à son meilleur.
Pour la suite, et par la nature même du jeu, nous entrons en zone Spoiler, afin que je puisse décrire mes impressions sur Hellblade sans contrainte.
  
 
VALHALLA (LAND)
 
En commençant ma partie, je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre. J'ignorai tout de l'histoire et la nature même du jeu. Je ne savais même pas qu'il y aurait des combats ! Je voguais en territoire inconnu. La découverte fut donc totale pour mon plus grand plaisir. Ou pas (on verra cela plus loin). La première claque fut visuelle. Ce que c'est beau ! Alors certes des centaines de cadavres jonchent le sol et le feu a tout ravagé mais si on fait abstraction de cet horrible charnier (qu'est ce que le jeu vidéo me fait écrire parfois...) on se retrouve dans un décor absolument incroyable. Le mode photo ne savait plus où donner de sa tête...
 
 
La seconde surprise fut auditive. D'abord l'ambiance, bucolique et calme, qui tranche avec la rudesse de l'environnement et la charpie des corps en décomposition. Mais qui accentue le côté balade champêtre dans un petit bois par un bel après-midi de printemps. On oscille vraiment entre deux atmosphères opposées dans cette quête.
Puis il y a la musique à proprement parler, primale et puissante avec ses chœurs sauvages et entêtants. Une bande-son qui sait se faire discrète quand il le faut pour pouvoir nous submerger dans les moments forts ou angoissants.
 

Interlude Musical n°1

 
Et enfin ses voix. Permanentes. Réconfortantes. Insultantes. Agaçantes. Elles accompagnent Senua, la guide, l'effraie, la mette en garde parfois. Le coup de génie c'est bien entendu d'avoir fait de la narration elle-même une manifestation de la psychose de l'aventurière. Les interactions entre la(les) voix narratrice(s) offrent les moments les plus poignants du jeu (notamment les regards caméra - surtout le premier qui surprend ! Combien de jeu on osé cela ? Aussi directement ?). La conteuse calme et posée qui nous informe des intentions de la guerrière, opposé à la voix sépulcrale qui tente de la convaincre qu'elle n'est qu'une moins-que-rien qui mérite de mourir encore et encore. Et toutes les autres qui peuplent son esprit tourmenté...
Il faut également inclure Druth, le guide spirituel ayant insufflé à l'amoureuse perdue cette quête complètement insensée. Rejoindre Hela, déesse de la mort viking pour offrir son âme en échange de Dillion son amant. Lorsqu'elle prend la tête tranchée de ce dernier, accrochée à sa ceinture en tout début d'aventure et qu'elle la voit respirer à travers son linceul, j'ai tout de suite percuté qu'on aurait affaire là à un jeu qui défierait les lois de la logique.
 
 
Car c'est là toute la force du titre: on voit le monde tel que Senua le perçoit à travers ses problèmes mentaux. Tel qu'elle l'entend, tel qu'elle le vit, tel qu'elle le pense. Ce qui apporte un plus incommensurable et instaure cette singularité qui fait sortir le titre du lot. Et nous transporte dans son univers fascinant. Ce qu'elle voit (que l'on voit) est-il réel ? Le jeu entier n'est-il qu'une manifestation de son imagination ? Un mélange des deux ? Un jeu de dupes, littéralement.
 
Ses ennemis sont-ils vraiment là ? Ou symbolisent-ils ses combats intérieurs pour surpasser sa maladie et continuer d'avancer ? Peu importe d'un point de vue gameplay, que les affrontements soient réels ou pas, manette en main on doit les surmonter. Et donc pour moi surprise totale en découvrant ces phases de jouabilité. J'ai d'abord cru que cela serait pénible et ronflant, mais très vite on comprend que pas du tout. Chaque opposant offre un challenge prenant aux tripes. Et dès qu'ils sont en groupes - c'est-à-dire souvent - les choses deviennent très sérieuses.
Heureusement Senua n'est pas une femme sans défense et sait manier l'épée de fort belle manière. Ses gestuelles de combat sont fluides et surtout d'une classe folle. Ses coups sont maîtrisés et efficaces. Et la rage qui l'habite est parfaitement retranscrite. J'attire l'attention sur le fait qu'aucun HUD ou autre interface ne sont présents à l'écran, son 'aura de concentration' étant représentée sur son 'miroir magique' de manière élégante et claire. Et j'avoue que d'utiliser cette capacité m'a sauvé la mise plus d'une fois !
L'expérience de combat s'affute au fur et à mesure des différentes passes d'armes et on découvre alors des enchainements de coups ou d'esquive de plus en plus poussés et ravageurs. Mais attention à ne pas devenir trop sûr de soi...
 
 
Passons aux énigmes. Celles-ci consistent principalement à retrouver dans le décor environnant des runes correspondant aux 'codes' des portes permettant de continuer notre périple. Bien foutues, assez simple sans être évidentes cela permet de plus d'observer la qualité et la finesse apportée aux environnements.
Mais il y a surtout eu les 'portails magiques'. Là j'avoue avoir été bluffé. En fait toute la quête liée à Valravn le manipulateur représente mon passage préféré du jeu. Les illusions liées aux portails... le combat du boss... la cinématique où elle se réveille en train de se faire picorer la colonne par un oiseau géant...
 
Waouh !... Juste dingue.
 
En dernier lieu en ce qui concerne les casse-têtes il y a aussi les 'fragments d'esprit' qui consiste en fait à interagir d'un certain point de vue pour reformer un passage qui existe bel et bien mais que la psyché de la Miss ne perçoit pas tant qu'elle ne le reconstitue pas 'dans sa tête'. Tout le jeu joue sur cette notion 'la Réalité contre l'Esprit'.
 
Cette dualité amène à des passages jamais vu auparavant dans ce média.
Comme cette course au fantôme sur la plage aux épaves, entre onirisme et rudesse.
Comme cette hallucinante traversée du pont doré qui se voit stoppé par une Héla en furie, et où l'on ne sait pas vraiment si c'est son imagination qui déraille ou bien si quelque chose lui fonce réellement dessus à fond la caisse.
Comme dans cette caverne noire comme la nuit, antre du chien-loup Fenrir, à traquer la lumière pour fuir les ténèbres. Ou bien encore, perdu dans ce labyrinthe, reflet évident de son esprit, à chercher en vain une sortie...
 

Interlude Musical n°2

 

RAGNAROK (& ROLL !!)


Mais malgré cette poignante aventure tout n'a pas été rose de mon point de vue. Déjà d'une - et même si je sais pertinemment que c'est entièrement voulu - le principe de sauvegarde auto obligatoire avec un nombre de morts limitées m'a grave foutu la pression. Chaque échec fut une véritable angoisse, me demandant à chaque fois s'il faudrait recommencer de zéro toute l'aventure. Ce que je n'aurai pas fait. Je crois que j'aurai revendu le jeu par dépit et colère. Ce n'est pas ma conception du jeu vidéo, je ne joue pas pour qu'on me mette la pression ou qu'on me pousse à l'excellence ou la performance à tout prix, j'ai une vraie vie qui me prend déjà suffisamment bien la tête pour ça. Je joue pour ME DÉTENDRE, et ce avec une bonne histoire si possible. Ce principe m'a donc grave soulé et à fortement réduit mon plaisir de jeu. La sauvegarde auto en ligne droite OK mais pas couplée à un nombre de vies limité, là ça va trop loin pour moi !

 
Un peu dans le même genre - et qui de fait découle directement de ce principe - les phases de traque que l'on retrouve à 2-3 reprises dans le jeu. Et qui implique justement de mourir plusieurs fois pour bien appréhender et saisir ce qu'on doit faire et/ou trouver. Je pense notamment à ce passage dans le labyrinthe en bois, poursuivi par un esprit de feu. J'ai failli exploser manette console et TV sur ce passage ! On ne mets pas de telles contraintes dans un jeu qui dispose d'un nombre limité d'échecs ! Totalement incompréhensible !
 
 
Un point sur les ennemis. Tous sont assez simples à combattre, une fois qu'on a capté comment les contrer/attaquer. Mais il y en a un pour lequel je n'ai rien tilté. La grosse brute épaisse aux hachettes. Alors lui j'éprouve de la haine 100% pure contre sa personne. Et quand il y en a eu plusieurs en même temps ce fut véritablement un chemin de croix en Enfer...
J'ai également noté à maintes reprises une touche de garde ayant du mal à réagir, ce qui a pour conséquence directe de se prendre une mandale bien sentie de la part de son adversaire... Pas cool.
 
 
Ensuite je trouve cela dommage que la physique du jeu ne soit pas un peu plus poussée. Pas la peine d'aller dans un jusqu'au-boutisme Rockstarien mais à minima faire que les 'suspensions' que Senua frôle gigotent un peu... au lieu de passer au travers (par exemple les décorations attachées aux ficelles genre 'dreamcatcher infernaux'). Cela marche aussi avec certains branchages ou planches de bateaux échoués. C'est bien la seule chose qui m'a fait sortir 'physiquement' du jeu.
 
Et enfin pour en terminer sur ce chapitre des griefs, un mauvais point qui vient plus de moi que du jeu. Quoique. Le fait que le jeu soit uniquement en Anglais sous-titré ne m'a pas permis d'apprécier à sa juste valeur les 'voix dans la tête' de l’héroïne. Au début on y fait attention, on écoute, on scrute les paroles. La plupart sont d'ailleurs traduites au début. Mais plus on avance dans l'aventure moins elles sont retranscrites en français sur l'écran... et à la fin je n'y prêtai absolument plus attention, ce n'était plus qu'un bruit comme un autre.
Moi je ne parle pas anglais. Les voix peuvent dire ce qu'elles veulent, si on ne me les traduit pas c'est juste un bruit de fond plus agaçant qu'autre chose. Voilà typiquement le genre de jeu où une version française doublée (de qualité !) aurait pu apporter
beaucoup aux non-anglophones comme moi.
Heureusement les voix 'narratrices' elles sont entièrement traduites (ouf !) et certaines répliques demeurent pleinement compréhensibles (le salvateur 'Behind You'!') mais dans l'ensemble il y a peut-être 50 à 60% des choses énoncées que je n'ai pas comprises.

Interlude Musical n°3

 

 
NB: un court documentaire est présent sur le disque (peut-être était-il aussi avec la version dématérialisée ?), dévoilant la conception du jeu, principalement axé sur son aspect psychologique avec la participation de médecins, chercheurs et surtout malades. Permet d'en apprendre un peu plus sur la genèse du projet.