Vous l'avez peut être remarqué auparavant, mais j'apprécie beaucoup le site Destructoid et particulièrement Anthony Burch (j'ai parlé des vidéos Hey Ash Whatcha Playin et linké plusieurs de ses Rev Rant dans mes articles Game Design).

Je voulais réagir à une de ses dernières Rev Rant en date (le principe de cette émission est de l'écouter se plaindre ou du moins remettre en cause un élément de game design qui l'énerve). Cette dernière s'intitule de façon assez provocatrice "f*ck your story".

Sans plus de préambule, je vous laisse la regarder.

Il demande donc que chaque jeu propose un mode sans histoire, qui permettrait de se défaire complètement du scénario et des cutscenes (ou au moins permettre de les zapper), si le joueur le souhaite.

Pour justifier cette demande, il cite des exemples de jeux ou l'histoire ne l'intéresse pas le moins du monde, alors que le gameplay lui plait bien (Persona 4 en tête). Il s'appuie également sur une présentation de Jonathan Blow qui explique en substance que la majorité des jeux présente un conflit entre le scénario et l'histoire que véhiculent les mécaniques.

Ce qui me dérange, et Anthony Burch le signale bien sur la news corespondante, est qu'il déclare que ce devrait être le cas pour tous les jeux.

J'ai plusieurs choses à répondre à ce sujet.

1/ Comme tout le monde, regarder à nouveau des cinématiques que j'ai déjà vu récemment peut m'énerver, a fortiori quand on nous les inflige à chaque fois qu'on retente un passage difficile.
Je serai donc bien pour l'introduction d'un système qui permette de zapper les cinématiques déjà vues.

2/ Anthony (permettez que je l'appelle par son prénom) souhaite lui pouvoir passer toutes les cinématiques dès la première fois. Ça veut donc dire qu'il va passer des choses qui seraient potentiellement intéressantes. Même si tout ce qui précède était nul, il reste toujours la chance que la suite relève le niveau. Donc se priver volontairement de cette histoire, la juger sans la connaitre, me parait injustifié.

3/ Ça me parait prendre le problème par le mauvais bout. Que je sache, quand un passage de gameplay est rébarbatif, on ne demande pas de pouvoir le passer entièrement, on a plutôt tendance à demander qu'il soit revu, corrigé et amélioré (cf le Mako de Mass Effect). Plutôt que de demander de pouvoir se séparer de l'histoire (parce qu'elle est stupide ou en conflit avec ce que racontent les mécaniques du jeu), pourquoi ne pas demander d'avoir une bonne histoire, des cutscenes que l'on aurait envie de regarder plusieurs fois, comme un bon DVD ? 

4/ C'est aussi supposer que le scénario est forcément inférieur au gameplay dans le jeu vidéo. C'est peut être le gameplay que cherchent à l'heure actuelle une majorité de joueurs, mais je pense qu'il ne faut pas limiter le terme jeu vidéo à une définition réductrice. Il peut s'imaginer des expériences très faiblement interactives qui soient pourtant très intéressantes.

5/ Anthony trouve "arrogant" que les développeurs du jeu tiennent tant à leur histoire qu'ils nous l'imposent sans laisser l'option de zapper. Perso, je ne trouve pas ça plus arrogant que de ne pas laisser la possibilité de zapper une séquence de gameplay. Ils ont confiance dans leur produit, et pensent faire naitre différentes réactions chez le joueur en fonction des situations auxquelles ils le soumettent (par le biais du gameplay ou des cinématiques). La relation joueur/développeur a toujours laissé le contrôle au développeur. Même dans les jeux les plus libres, le joueur est encadré par les règles du jeu. Exiger un tel contrôle serait ignorer que nous n'avons jamais été en contrôle complet des jeux.

C'est ce dernier point qui cristallise je pense ma différence avec le point de vue de la vidéo. Je ne suis absolument pas pour que toutes les exigences des joueurs soient automatiquement approuvées et implémentées par les développeurs. Je crois d'une à une certaine idée d'"auteur" dans le jeu vidéo. Si c'est le choix du développeur et qu'il pense que ça apporte à son jeu d'imposer les cinématiques, laissons le faire. Il peut se tromper, mais il assumera son choix, plutôt que de cacher la médiocrité de son travail derrière l'excuse "on peut zapper les cinématiques".

Ensuite, parce que je ne pense pas que le joueur sache toujours ce qui est bon pour lui. Nombreuses sont les situations dans les jeux vidéo dans lesquelles le joueur est privé de tout ou partie du contrôle et le jeu s'en retrouve meilleur. Je pense notamment à la scène cinématique clé de BioShock, mais aussi à celle d'après ou les plasmides nous sont imposées. Comme la difficulté peut révéler du contenu au joueur, le contrôle du développeur peut enrichir l'expérience du joueur, la rendre plus significative.

Interdire de zapper les cutscenes permet ainsi de maitriser le rythme du jeu, et aussi de donner du sens à certaines scènes. Quel sens aurait la scène de fin de Metal Gear Solid 3 si on avait passé toutes les cutscenes précédentes ?

On pourra me répondre qu'on pourrait laisser au joueur le choix de se "tromper", ou de "se ruiner" l'expérience de jeu. Certes, mais au final, si le joueur en est réduit à changer l'expérience voulue par le développeur en zappant les cinématiques, à exiger qu'il travestisse son jeu en laissant cette possibilité, il aura aussi bien fait de se tourner vers un autre jeu qui conviendra mieux à ces attentes.