Si j'étais vraiment de mauvaise foi, je dirais que la raison première du délai massif qu'ont subi mes articles rétrospectifs de 2010 est ce jeu (alors qu'il partage cette responsabilité avec Mafia II, Red Seeds Profile, The Witcher et ma flemme). Arrivé le dernier à la table des négociations, après la parution du premier article d'ailleurs, il a prouvé que j'avais eu tort d'estimer que mon année vidéoludique était terminée le 20 décembre. En effet, je suis prêt à nommer sans trop sourciller VVVVVV mon jeu de l'année.

Un jeu PC, à l'esthétique 2D hyper rétro, dont on peut voir les crédits en 3 heures de jeu, et dont les interactions possibles sont au nombre de trois. Candidat improbable. Et pourtant.

VVVVVV est une démonstration magistrale de game design. On part du principe simple et universellement connu du platformer 2D, auquel on ajoute un twist simple : on ne peut pas sauter, simplement inverser la gravité dès qu'on touche une surface. Rien que ce principe de base est fantastique. Le jeu nous permet ainsi d'une touche de marcher du sol au plafond. Le "flip" de gravité s'effectue en un instant et la "chute vers le haut" du personnage se fait à une vitesse grisante. Simplement inverser la gravité entre le sol et le plafond procure un émerveillement simple, une joie d'enfant qui redécouvre le pouvoir interactif des jeux vidéo. Et les contrôles poursuivent très bien cette approche tactile du jeu, tout répond très vite, avec une très légère inertie du personnage, seul affecté par ce "flip", ce qui permet un contrôle total, même lorsqu'on traverse l'écran à toute vitesse et dans tous les sens.

Et sur ces bases qu'on pourrait penser drastiquement limitées, va se construire un jeu fantastique, grâce à l'ingéniosité du level design. Le joueur se déplace sur des tableaux fixes, avec un relief au début très simple. Les piques, au sol, au plafond, sur les murs, vont se multiplier pour fournir les obstacles à notre progression, le challenge à surmonter. Vont s'ajouter au fur et à mesure un tas de subtilités, comme les lignes qui inversent la gravité, les tapis roulants, les tableaux qui renvoient la gauche vers la droite, les scrollings automatiques, etc. Chaque principe est savamment introduit dans un niveau dédié, avec des "puzzles" de réflexion et de réflexes de plus en plus complexe, avant d'au final se trouver tous conjugués dans le niveau final. La force du jeu est le constant sentiment de renouvellement, les situations ne se répètent pas, il n'y a pas de remplissage, chaque puzzle trahit le travail et la réflexion qui ont mené à sa création, "à la Braid". Cet aspect unique de chaque tableau est souligné par le titre dont ils sont tous accompagnés, qui illustre le plus souvent de façon humoristique l'état du joueur face à la situation. Et si la solution de chaque tableau est plus souvent question d'éxécution que de réflexion, vous ne pourrez réprimer des "oh non c'est pas vrai", le sourire en travers de la figure en comprenant ce que l'on attend de vous. 

Car le jeu est difficile. Il ne vous fait pas de cadeau. Il ne transige pas. Il faut mériter sa progression, maitriser les trajectoires et le timing pour espérer passer. Mais pour autant, le jeu n'est jamais frustrant. Avec fréquemment plusieurs checkpoints par tableaux, on ne vous punit jamais gratuitement, et même si l'on meurt très souvent, le prochain essai n'est jamais qu'à quelques instants. A titre d'information, en l'espace des 3 heures qu'il ma fallu pour traverser le jeu, je suis mort environ 1200 fois.

Ce qui m'a permis d'affronter cette adversité avec le sourire, au delà du level design et de la frustration minimale dont j'ai déjà parlé, c'est la présentation du jeu. Et au premier rang sa musique. La composition chiptune de SoulEye donne une pêche fantastique au jeu, et vous pousse à donner le meilleur de vous-même jusqu'à la réussite. Je ne suis traditionnellement pas un grand fan de ce genre de musique, mais là, je m'incline.

Concernant les graphismes, je ne viendrai pas vous dire qu'ils m'évoquent des souvenirs émus de ma jeunesse, du temps ou je jouais sur Amiga ou ZX Spectrum, puisque ce n'est pas vrai, je n'ai jamais joué à ces consoles, ni même sans doute à cette époque, et ces graphismes ne font naitre aucune nostalgie particulière en moi. Les graphismes sont juste simplistes, occasionnellement assez moches, mais possèdent une vraie identité et un charme certain dans leur simplicité. Le sourire benêt sur la tête du héros, qui se change en triste mine lorsqu'il meurt est suffisamment réduit à l'essentiel pour attirer notre sympathie. 

Toujours concernant la présentation, le jeu se découvre de façon non linéaire. Notre héros, qui se retrouve éloigné de l'équipage de son vaisseau après un saut dans une autre dimension, doit donc les retrouver un à un. Mais si chaque personnage a un niveau dédié, ces derniers sont tous liés par un monde d'un seul tenant, qu'il nous convient d'explorer à notre guise. Cela permet de moduler agréablement le rythme des parties, avec des passages plus légers et le plus souvent sans danger. La carte se trouvant sous un brouillard opaque, le joueur est poussé à l'exploration pour trouver ses collègues, mais aussi pour compléter la quête des babioles clinquantes (dénomination officielle modulo traduction aléatoire). Ce nom ironique est assez explicite : il s'agit de récompenses qui servent principalement à proposer des challenges optionnels encore plus ardus. Elles débloquent également des bonus apréciables comme des morceaux dans le juke box, ou des modes de jeux spéciaux (mode miroir, Super Gravitron sur lequel je reviendrais et le super abusé mode 1 vie). Et dans un élan inspiré, le développeur Terry Cavanagh a décidé que même le déblocage serait optionnel. Tous les joueurs peuvent ainsi accéder à ce contenu bonus quand bon leur semble en les débloquant volontairement depuis le menu. Ainsi, tout le monde peut profiter du jeu qu'il a payé même s'il n'a pas envie de consacrer 500 vies à passer les fameux écrans Veni, Vidi, Vici.

Et puisqu'on parle de ces petits à côtés appréciables mais qui n'ont pas vraiment d'impact sur l'expérience globale, il est à noter que pour toute la souffrance que l'on inflige à note cher petit Viridian, et à ses comparses d'infortune, il nous est impossible de tuer les "adversaires" que l'on rencontre. Ceux ci sont soient invincibles et nous tuent au moindre contact, et sont parfois de simples mots aux concepts plus ou moins symboliques qui flottent à travers l'écran, tels que "Truth" ou "Lies". On note aussi que le jeu comporte une dose parfois suprenante de textes in game, sous la forme de dialogues avec l'équipage, expliquant plus ou moins la situation, avec de savantes ellipses sur les explications qui seraient de toute façon improbables.

Pour conclure, j'ai répété dans cet article que le jeu m'avait duré 3h. Je ne le vois pas comme un défaut. Pour atteindre toutes les babioles, il m'a fallu 6h. Le mode Super Gravitron m'a aussi étrangement occupé de longues heures, à tenter de redéfinir la notion de skill. Il faut éviter des séquences plus ou moins aléatoires d'obstacles dans un couloir pendant le plus de temps possible. Le truc à devenir fou Passer la barre des 10 secondes vous fera pousser des petits cris de bonheur. Je n'imagine pas le mental nécessaire pour arriver à cette performance. Au total, Steam m'informe aimablement que j'ai passé environ 25 'heures sur le jeu. Dont chaque seconde fut un plaisir.
Le jeu est désormais disponible au prix ridicule de 5 euros. La BO est disponible sur le site du compositeur pour 4 dollars. Il y a une démo sur Steam et sur Kongregate. Donc aucune raison de crier à l'arnaque et de se priver d'un tel joyau.

Jouez donc à VVVVVV, c'est le cousin britannique élégant de ce gros tacheron ricain de Super Meat Boy.