Kane & Lynch, la licence que la majorité adore détester.

Tout partait plutôt bien pourtant, avec un studio de développement reconnu et apprécié, un genre de jeu en vogue et une ambition cinématographique clairement affichée. Malheureusement, quelques critiques réservées et un scandale de corruption de la presse spécialisée plus tard, la franchise a été cataloguée comme criminel de seconde zone à condamner sans autre forme de procès. Un coup d'oeil aux notes attribuées par les internautes de par le web achève de convaincre que la série semble victime d'une sévérité et d'une animosité pour le moins singulières. Comme j'aime bien entretenir mon esprit de contradiction, j'y vais de mon petit article.

La critique qui m'exaspère le plus est celle qui concerne les personnages. Ce n'est pas une critique fréquente, mais elle figure notamment dans celle de Jeff Gertsmann mais on la trouve aussi ailleurs.

Every single person you play as or encounter is despicable and wholly abrasive; thus, it'll probably be tough for you to find anyone to latch onto and care about

In the game, the protagonists wind up being a gruff mercenary and a psychopath whose homicidal tendencies are so over the top it's hard to take seriously. Neither is a person that a typical gamer would want to be, let alone be around. 

Les personnages sont détestables et donc on ne peut s'y attacher, on ne peut pas vouloir les incarner et donc le joueur ne peut pas être impliqué dans l'histoire.

Enfin, dans le cas du "joueur typique" pour être précis. Une projection de l'avis du testeur sur la majorité du public de jeu vidéo, basée sur des hypothèses et une expérience plus ou moins fondées. Rien de nécessairement mauvais dans cette approche, mais comme je ne partage pas leur avis et que je n'aime pas qu'on parle en mon nom, évidemment, cette généralisation m'agace. Je ne suis peut-être pas le joueur typique, mais pourquoi des journalistes spécialisés le seraient-ils plus que moi ?

Intéressons nous donc à ce qui justifie ce rejet. On incarne donc Kane et Lynch. Et comme le marketing du jeu aime à le rappeler, ces deux là sont deux criminels endurcis, violents, du genre à vous péter le nez d'un coup de crosse en guise d'introduction.

On ne joue donc pas à Kane & Lynch comme on joue à Uncharted ou Call of Duty. Les personnages ne sortent pas des blagues chaque minute avec un sourire Colgate et une coupe de cheveux impeccablement négligée. Ils n'ont pas de noble cause à défendre, une patrie ou le monde à sauver. Ce ne sont pas des héros, ni même des anti-héros. Ce sont deux enflures, qui ne s'en cachent pas spécialement, et qui n'ont pour seul moteur que leur intéret égoïste. La quarantaine bien tapée, la chevelure dégarnie, un oeil de verre, des cicatrices en pagaille, ils ne correspondent vraiment pas aux critères habituels de la beauté et du charisme.

Je comprends que les personnages en dérangent légitimement certains. Ils ont néanmoins le mérite d'être originaux par rapport au reste de la production, et surtout, d'être, si ce n'est crédibles et réalistes, au moins cohérents. Ce sont deux ex-mercenaires qui peuvent assumer sans sourciller le nombre de meurtres que le joueur commet en leur nom dans le jeu (souvenez vous de la pirouette de fin d'Uncharted 2).

Ils font face à des conflits, aussi bien intérieurs qu'extérieurs. Ils se débattent comme ils peuvent pour influencer le cours des événements, et s'enfoncent toujous plus irrémédiablement. Kane & Lynch Dead Men montre bien cette progression, avec un Kane de plus en plus désespéré, un Lynch de plus en plus incontrôlable, et un final noir au possible, où quoi que l'on fasse, les conséquences seront terribles. Les personnages sont donc intéressants, leurs actions et leurs choix nous exposent leurs logiques, leurs qualités, leurs défauts, leurs aspirations, tout ce qui les mènera à leur perte. 

Pour une fois que les personnages sont un minimum cohérents, on se plaint. Il aurait apparemment fallu qu'ils aient un semblant de morale ou de caution noble pour justifier ce que l'on fait sans réfléchir à deux fois dans les autres jeux.  Oui, les criminels jurent comme des charretiers. Oui, ils abattent des policiers et quand les affrontements ont lieu en pleine rue, des civils peuvent prendre des balles.

Si cela dérange, agite et met à mal les consciences de certains, il aurait mieux valu qu'ils s'interrogent avant sur tous ces massacres que proposent les jeux vidéo et qu'ils accueillaient à bras ouverts, la bave aux lèvres. Le semblant d'héroïsme et d'élévation d'âme que font mine de présenter les autres jeux n'enlève rien à l'horreur des actes qu'ils nous proposent d'accomplir.

Quand je lis ailleurs que Kane & Lynch n'est recommandable qu'aux accros à la violence crue peu regardants sur la qualité, c'est au mieux mal avisé, au pire méprisant et profondément stupide. La violence dans Kane & Lynch est justifiée et sert un propos au moins. Ce n'est pas une astuce pour meubler le jeu en évitant soigneusement les sujets sensibles.

Ceci est moins applicable au deuxième épisode. Avec son parti pris de film vidéo amateur pris sur le vif, il est certain que Kane & Lynch 2 cherche moins à se faire grandiloquent et ouvertement tragique. Tout est censé y être plus réaliste, plus terre à terre. Les relations entre les personnages ne sont pas explicitement développées, et tiennent surtout aux développements du premier volet et à quelques échanges furtifs entre les deux protagonistes, une poignée de mains qui s'évite, une confiance aux abonnés absents, une tentative maladroite de réconfort après un drame horrible : tout est pris sur le vif, dans l'instantané, et justifie donc une narration moins structurée. Le scénario est d'ailleurs extrêmement simple, avec une mission qui dégénère, un plan qui se retourne contre eux, et une fuite contre la montre avec la ville aux trousses. Malgré cette simplicité, qui accentue selon moi la tension et le tumulte de l'action, et la logique simple de la réalité, cela ne l'empêche pas de proposer des moments forts, comme une suite d'affrontements qui voient Kane & Lynch au plus vulnérable, définitivement loin des gros machos testostéronés d'un Gears of War. On y voit toujours des personnages qui ne font pas les bons choix, qui se débattent désespérément contre leurs propres erreurs, humains finalement.

La fin abrupte en a énervé plus d'un. Personnellement, je la trouve assez éloquente. On a vécu un épisode passager, fugace, et il n'y a pas de grand arrangement à trouver. La vie n'a pas de grand message tout cuit à délivrer. Les évènements sont ponctués de sens, et de rebondissements signifiants, même si très convenus. Et c'est tout. Et c'est déjà pas mal.

Enfin, un dernier mot sur le gameplay. Kane & Lynch Dead Men souffre de problèmes assez gênants de détection des impacts : un tir dans le bras qui dépasse d'un mur ne touchera pas forcément proprement l'ennemi. Ceci mis à part, l'approche du jeu, qui ne favorise pas une précision rapide et efficace me convient tout à fait. On vise souvent au jugé, on met de bonnes petites rafales pour espérer toucher quoi que ce soit. A moitié caché derrière la table d'une cafétéria, oui on risque de se prendre une balle. C'est pas ce que j'appelle un système de couverture déficient, on est juste rarement hors de danger. Les échanges de tirs sont donc souvent de bonnes rafales plus ou moins à l'aveugle, ou la moitié des balles passe à côté. Comme au cinéma. 
Je comprends qu'on déplore ce feeling des armes, mais je comprends et apprécie aussi la logique qui les guide. Quand on en vient au point ou on a des fusils qui tuent en un coup dans Kane & Lynch, les affrontements perdent une part de leur identité brute, ou l'on envoie un max de munitions dans le vent, en priant d'en avoir assez pour tous les abattre, en prenant un tas de risques pour optimiser nos chances, améliorer notre position, récupérer des munitions, etc. Une chose notable également, on meurt assez facilement dans ces jeux. Enfin, comme les ennemis à peu de choses près. Ce que je ne peux que prendre du bon côté, mais qui a apparemment surpris certains testeurs, mécontents de mourir en quelques impacts de balle (alors même que les ennemis mettent autant de balles à côté que nous).

Au final, une grande part du game design de Kane & Lynch vient d'une volonté de proposer un shooter violent, cru, cohérent et assez réaliste, dans ses thèmes, dans ses personnages, dans son gameplay. Ça ne lui empêche pas de pécher par excès parfois, avec une partie cubaine de Dead Men, et un passage en hélico dans Dog Days assez superflus. 

Moi qui pensais naïvement que la violence et le réalisme plaisaient, je me rends compte que certains n'assument pas toutes les implications de leurs aspirations. The Escapist résume bien cela 

There's no closure or anything, just more misery, and, ultimately, that's not really fun. I guess, like many people, I don't play games because they mirror real life. I want my games to have more structure and not to feel as pointless as the rest of our existence.

Je suis content que des jeux comme Kane & Lynch soient entrepris. Je ne dis pas que tous les jeux doivent leur ressembler, mais j'apprécie qu'on puisse sortir du diktat du fun sans complexe. Les jeux peuvent et doivent proposer plus.

Et puis ils ne sont pas avares en situations inventives et impressionnantes non plus.

Quelques liens à l'origine de la majorité des points soulevés ici :

Une analyse du style graphique de Kane & Lynch 2

Des avis étayés sur Kane & Lynch Dead Men et sur Dog Days

Un regard appuyé sur les personnages, assimilés à ceux d'un film noir. 

Un retour à froid en défense de Kane & Lynch