Un petit article sur le piratage. Non pas le piratage de jeux vidéo, mais le piratage dans les jeux vidéo. De Deus Ex à BioShock, en passant par Fallout 3, Sly Raccoon et Mass Effect, petit tour d'horizon. 

Tout d'abord, comment expliquer le succès de ce si récurrent mini jeu de piratage, qu'on retrouve un peu partout sous différentes formes ?

Thématiquement, l'omniprésence des ordinateurs et du réseau qui s'infiltrent dans notre quotidien peut l'expliquer. L'image du hacker génial capable de briser les défenses informatiques des plus grandes entreprises et des services secrets du monde entier depuis le confort de sa chambre contribue aussi au mythe de cette activité. Le moindre ordinateur recèle ainsi un immense potentiel, entretenant le fantasme du joueur de contrôler son destin avec un simple clavier (belle mise en abyme pour le jeu vidéo d'ailleurs). La science fiction et le côté futuriste de certains jeux se prêtent également particulièrement bien à l'introduction du piratage. Le proposer dans un jeu c'est ainsi coller à son époque, permettre de s'adonner à une activité transgressive, risquée et qui confère un important pouvoir.

Du point de vue du gameplay, introduire le piratage offre pas mal d'avantages. Tout d'abord, du point de vue de la variété. Le piratage peut ainsi changer le type de challenge auquel le joueur est confronté, en mettant à contribution sa réflexion sur un mini jeu logique comme dans Fallout 3 ou Assassin's Creed 2. De plus, cet interlude peut permettre à un shooter de rythmer l'aventure en agrémentant ses affrontements de phases différentes, complétant l'expérience. Plus fondamentalement, c'est aussi un nouveau moyen d'interagir avec l'environnement, non pas pour le détruire comme il est de coutume avec les armes, mais pour le maitriser à travers les machines. On peut alors introduire de nouveaux ennemis dans le jeu, des robots, dont il faudra soit se débarrasser avec des armes particulières (balles perforantes ou électrifiées, grenades EMP, etc) soit par le piratage. L'éventail d'implications est donc bien fourni. C'est une mécanique qui favorise ainsi l'emprise du joueur sur le jeu, sa capacité à décider et mettre en œuvre différentes stratégies (player agency en anglais). 

Mais qu'à le joueur à gagner sur l'environnement ? Passons rapidement en revue ce que nous proposent les jeux dans ce domaine. Cela va du plus direct comme la porte fermée à ouvrir obligatoirement en piratant un accès, à une façon plus cohérente de récompenser l'exploration et de distribuer les bonus (munitions, médikits, argent) en les enfermant dans une cache verouillée, en passant par les stratégiques prises de contrôles de robots, tourelles, et caméras de sécurité qui influent les combats au coeur du jeu, jusqu'au contenu purement narratif, comme les logs ou emails d'un ordinateur qui aident à renforcer le contexte, les personnages et donc la crédibilité et l'intérêt de l'univers.

On le voit, plusieurs sortes de bénéfices, un caractère optionnel ou non, ponctuel ou récurrent. S'ajoute à cela la possible nécessité de développer des compétences spécifiques, aux dépens ou non d'autres aptitudes.

L'aspect le plus intéressant selon moi, est quand le piratage est un grand système dans lequel le joueur peut investir, une méthode parmi d'autres d'arriver à ses fins. Deus Ex, BioShock, Fallout 3 tentent tous de proposer ces choix d'orientation au joueur, en lui proposant de se spécialiser plutôt vers un personnage bourrin, maniant les armes lourdes, avec une forte endurance et résistance au feu ennemi, ou bien un personnage basé sur la discrétion et les armes au corps par exemple, ou encore un pirate rapide avec des armes de poing, ou d'autres compromis encore. Pour s'imposer comme grand système de jeu aux côtés des plus traditionnelles approches offensives, qui font preuve très fréquemment, sinon de leur caractère ludique, au moins de leur acceptation par les joueurs, il faut que le piratage soit intéressant à jouer. On l'a vu, l'image associée au piratage est plutôt positive, il reste à ne pas rendre l'acte rébarbatif. Etrangement, malgré la technophilie dont on pourrait légitimement soupçonner les joueurs de jeu vidéo, les développeurs semblent peu enclins à montrer le piratage sous un angle crédible. D'ou le mini-jeu à la Pipe Mania, à la Frogger, à la Asteroids, à la Mastermind, etc. Je sais qu'il y a des jeux qui le font plus fidèlement, Enter the Matrix notamment, et Uplink est construit tout autour du concept de piratage de façon très satisfaisante, mais ce sont des exceptions. La plupart du temps, on a droit à un mini-jeu, dont le plus grand danger est de devenir répétitif.

Au premier rang des accusés, le Pipe Mania de BioShock 1. Dénoncé pour son omniprésence et sa répétitivité, il fit l'unanimité contre lui (alors qu'il est tout de même bien plus élaboré et sympa que le simpliste Frogger de Mass Effect) et l'aiguille rapide et le pistolet à piratage qui le remplacèrent furent accueillis en héros. Et en effet, cette alternative ne manque pas de mérite, en coupant moins l'aventure en partie distincte, s'assurant du dynamisme et de la cohérence de l'expérience avec une mécanique en temps réel qui expose le joueur. Elle n'est cependant pas sans conserver et apporter son lot de problèmes, que l'on retrouve dans nombre de jeux.

Le problème particulier à ce jeu est le pistolet lanceur de fléchettes de piratage. C'est un ajout dont le seul atout est pratique, mais il se fait surtout aux dépens de l'équilibre du jeu. Lorsqu'avant il fallait planifier à l'avance et s'infiltrer pour atteindre la machine à pirater, il suffit désormais de sortir rapidement de l'angle d'un mur ou de derrière un poteau, lancer la fléchette et se remettre tranquillement à l'abri pour pirater. On perd du gameplay d'infiltration, d'observation de l'environnement. On perd aussi la prise de risque face à une tourelle qui nous faisait face, qu'on aurait auparavant dû électrocuter ou glacer pour atteindre sans encombre. Cette abolition du risque mène d'ailleurs directement à ma deuxième critique, qui concerne la majeure partie des systèmes de piratage : pirater est si bénéfique qu'il devient impensable de s'en passer.

Il y a trop d'incitation à suivre la voie du piratage. Dans Fallout 3 par exemple, le piratage est une des seules statistiques à fonctionner par paliers, et qui récompense donc très explicitement un investissement important : ainsi on peut utiliser une grenade ou une arme lourde avec des statistiques basiques (même si on ne fera probablement pas de gros dégâts), mais pirater un ordinateur moyen requière un investissement conséquent. Pour se fermer le moins de portes et le moins pénaliser son évolution, il faut donc investir impérativement dans ce domaine. BioShock 2 quant à lui est si rempli de machines en tous genres, tourelles, robots éclaireurs, distributeurs à pirater, coffres forts et caméras de sécur ité qu'il en devient impensable de mettre de côté de cet aspect du jeu, même si le mini-jeu nous rebute. Les récompenses pour les piratages réussis (en argent ou en santé selon les tonics équipés) achèvent de faire pencher abusivement la balance. C'est ce qui explique qu'on en vienne à se forcer à jouer à des mini-jeux, qu'on trouve donc ensuite répétitifs, quand bien même le jeu propose des alternatives à base d'autohacks, ou d'argent à débourser. Mais le joueur qui a à choisir entre accomplir une tâche ingrate qui peut lui rapporter gros et sacrifier des ressources pour un moindre butin, choisira la tâche laborieuse... Malheureusement, c'est plus si différent des challenges que nous opposent régulièrement les jeux. Ou quand on quitte le divertissement pour s'approcher dangereusement du labeur... Cela fausse aussi la liberté offerte du joueur, en lui promettant plusieurs alternatives valables, mais dont certaines sont explicitement avantageuses. 

Les récompenses en XP de Fallout 3 et Deus Ex n'aident pas du tout non plus. En effet, même si j'avais déjà ouvert une serrure avec mes compétences de crochetage, il était toujours tentant d'ouvrir la même porte en piratant un terminal. Ou comment inciter mécaniquement le joueur à avoir un comportement redondant complètement incohérent qui nuit à la crédibilité et l'immersion.

Ceci dit tout n'est pas noir. Fallout 3 propose au moins un mini jeu textuel dont la présentation ressemble de loin à un écran DOS, BioShock 2 conserve la tension du piratage en temps réel, Deus Ex rend la voie du piratage à la fois plus ardue et moins omnipotente, tout en introduisant des pénalités intéressantes pour les novices (devoir lire en quatrième vitesse et en diagonale les emails avant de se faire tracer et kicker du système). La voie existe pour un piratage passionnant. Paradoxalement, cela passe selon moi par diminuer son intérêt en jeu. Ainsi, BioShock 2 n'aurait pas dû rendre le piratage plus sympa, mais plus rébarbatif, pour que les alternatives soient enfin sérieusement considérées et que le choix du piratage redevienne un choix significatif.

Note : pour une rétrospective plus détaillée du piratage dans les jeux vidéo, je vous conseille cet article (étrangement indisponible au moment de la publication, même si Google a une version cache...). Et pour un article intéressant sur pourquoi le fait de traduire le piratage par un mini-jeu mène à l'impasse, je vous conseille cet autre article.
Pour vos commentaires éclairés, c'est juste en dessous :)