Un soir, à la chaleur accablante d'un
été indien, j'avais toutes les peines du monde à trouver mon
sommeil. La tiédeur moite de la nuit m'assommait sans complètement
me mettre K.O. A travers les volets entrouverts de la fenêtre, je
pouvais deviner les rayons de la lune balayer les pointes des
branches des arbres qui, portés par la faible brise, se
transformaient en un ballet de pâles fantômes.

 

Alors que je commençais à me sentir
aspiré par la fatigue, je fus tiré de ma torpeur par les échos de
mon téléphone qui résonnaient dans toute la chambre. D'abord
surpris par cet appel tardif, mais aussi lourd de ce demi-sommeil, je
mis plusieurs sonneries avant de décrocher. A l'autre bout du fil,
je fus étonné de ne pas entendre le moindre bruit, hormis un
souffle régulier, une respiration à la fois longue mais insistante,
comme si elle était cherchée du fond de la gorge. Je devinai une
présence, mais elle ne se manifesta pas. J'eus beau insister,
pousser la personne à parler, je n'obtins que ce souffle lancinant
et imperturbable. Lassé de courir après une ombre sonore, je finis
par raccrocher mon téléphone et me recoucher, en maugréant contre
ces personnes qui n'ont rien d'autre à faire que passer des appels
en pleine nuit.

 

Mon agacement passé, je replongeai
dans mes divagations et cherchai à nouveau à me rendormir. Je me
laissa emporter peu à peu dans des rêves aussi troubles
qu'indéfinis. C'est à ce moment-là que mon téléphone sonna à
nouveau, brisant le silence absolu qui régnait dans la pièce. Je me
réveillai. Les éclats de lune qui éclairaient la chambre avaient
fait place à une obscurité angoissante, comme si le néant avait
fini par envelopper la lumière. Le seul éclairage que j'avais comme
repère était l'affichage digital de mon radio-réveil, qui
clignotait sur les quatre zéros ; une coupure de courant, sans aucun
doute. Les sonneries du téléphone se faisaient plus insistants,
plus incessants. Elles semblaient ne jamais se terminer. Après de
longues hésitations, je finis par décrocher, passablement agacé
par cet acharnement :

- Vous n'avez que ça à foutre? Hurlai-je dans le combiné. Vous savez l'heure qu'il est?

Au bout du fil, le même souffle que
tout à l'heure. Le même rythme, le même entêtement asthmatique.
Il devenait chaque fois plus pressant. Je sentis les sueurs froides
de la peur parcourir mon échine, comme un long courant d'air qui
s'engouffrait sous ma chemise. Malgré la terreur qui s'emparait de
moi, je dus insister lourdement pour connaître l'identité de mon
interlocuteur mystérieux.

 

- Mais qui êtes-vous, bon sang? Que me voulez-vous? Laissez-moi tranquille ou j'appelle la police!

Mes menaces n'eurent aucun effet. Le
souffle s'intensifia et s'accéléra. J'avais l'impression terrible
de le sentir sous ma nuque. Le souffle devint de plus en plus
inquiétant et suffocant, mais aussi caverneux, comme si cette
personne venait de pénétrer dans une cave. Le battement de mes
tempes s'accéléra et m'étourdit presque, tant la pression se
faisait plus forte. Je me sentis vaciller, ma tête tourner, mes yeux
s'emporter. Ce souffle semblait dicter ma propre respiration et le
battement de mon propre cœur et je ne résistai pas longtemps à une
telle accumulation de stress.

 

Le seul réflexe que j'eus finalement
fut de raccrocher le téléphone et de m'allonger sur le dos.
J'essayai de calmer, de ralentir ma respiration, afin de recouvrer
mes esprits et mon calme. Cela me prit de longues minutes avant de
retrouver un apaisement nécessaire pour me replonger dans le
sommeil. Je me retournai alors sur le côté, prêt à me rendormir,
et c'est là que je L'ai vue, immense, évanescente mais clairement
imposante. Une silhouette semblant mesurer près de trois mètres de
haut se trouvait à mes côtés, me regardant de son regard vide et
creux. Son souffle était identique à celui du téléphone, aussi
lent et aussi intense. J'avais maintenant l'impression qu'il
respirait directement dans ma boîte crânienne, ce qui eut le don de
me rendre fou. La blancheur de ses dents éclairait la pièce bien
plus intensément que ne le faisait la lune. Je ne voyais que cela,
et cela me glaça d'effroi. Ses doigts squelettiques serraient une
lame si fine et si pure qu'elle semblait être transparente. Elle ne
bougeait toujours pas, restait impassible au pied de mon lit. La
terreur me paralysait, et je fus bien incapable de faire le moindre
mouvement. Mes yeux restaient rivés à ce regard inexistant et ce
sourire qui n'en était pas un. Puis, d'un mouvement vif, il leva sa
lame au-dessus de ma tête, la posture noble, et l'abattit
finalement. Je sentais tous mes organes brûler de l'intérieur,
comme si j'avais avalé une torche, mon cerveau semblait exploser en
mille petits morceaux qui se projetaient contre les parois de mon
crâne. Cette sensation dura de très longues minutes qui
paraissaient une éternité, puis cette sensation s'arrêta en un
néant sensoriel... Plus de son, plus de lumière, plus de sensation,
j'étais et n'étais plus. Je n'étais plus qu'un concept abstrait,
un alpha et un oméga, un plus et un moins, unis dans un seul être,
une seule âme, une seule boule d'énergie faiblarde qui gravite
autour d'un point inexistant...

 

Même si je ne suis plus pour
témoigner, je ne peux que vous donner ce conseil : si vous
L'apercevez à votre tour, ne fuyez pas. Ne résistez pas. Ne
cherchez même pas à dévier votre regard d'Elle. Votre seule chance
de salut est qu'il n'y a aucun salut, aucune autre issue. Sa seule
présence est le début de votre absence, la fin du tout et du rien...