Voici un de mes textes, inspiré quelque peu par H.P. Lovecraft. Bien entendu, je n'ai aucune prétention à comparer mes écrits à ceux du Maître de Providence, je voulais juste lui rendre hommage à ma façon. J'espère que ça vous plaira et que vous saurez laisser un commentaire critique afin que j'améliore mon style. Merci de me signaler les fautes qu'il pourrait rester (j'avoue avoir pas mal de difficultés avec les alternances passé simple / imparfait!) Bonne lecture! 

 

 

Je me rappelle d'une époque,
insouciante, où ma vie était simple et joyeuse. Mais depuis ces
« événements » (je ne puis manifestement les appeler
autrement), elle en avait changé du tout au tout. Et jamais je ne
pourrai retrouver les sensations et les plaisirs d'antan. Avoir vécu
ces moments sera un point charnière de mon existence, et je m'en
vais donc vous les conter, afin que le monde puisse témoigner à son
tour de mon histoire.

C'était donc une de ces nuits sans
lune de fin novembre, d'une obscurité telle qu'on ne pouvait voir
au-delà de quelques pas. J'étais assis dans mon fauteuil, au coin
de la cheminée. Je lisais calmement mon journal de la journée que
je n'avais pas eu le temps de feuilleter, mon emploi m'ayant accaparé
un long temps. C'était d'ailleurs un de mes petits plaisirs
quotidiens : j'allais acheter mon journal au petit kiosque du coin de
la rue, et je le gardais précieusement sur le coin de mon bureau
jusqu'à mon retour à la maison. Et après un bon repas, je
m'installais donc paisiblement, afin de connaître tous les faits
divers et l'actualité de la veille. Parfois, je me servais un verre
de Cognac ou je m'allumais un bon cigare importé directement de la
Havane par un de mes collaborateurs. Le sentiment d'extase et de
volupté qui m'envahissait lors de ce petit rituel de fin de soirée
était indescriptible.

Ainsi donc, alors que je m'inquiétais
des turpitudes économiques de tel pays lointain ou des réflexions
politiques de tel chef d'Etat européen, j'entendis des sons
provenant du fond de mon jardin. Des sons difficiles à percevoir,
comme le grattement régulier d'un ongle sur une boîte de
chaussures, mais étouffé par la distance et par le souffle du vent
dans les arbres. Interloqué, je me remis néanmoins rapidement dans
les pages de mon quotidien, mais j'eus du mal à rester concentré
sur les mots qui défilaient sous mes yeux ; ce bruit devenait
tellement présent qu'il finit par en être obsédant. Je me
demandais même si c'était le fruit de mon imagination et si je
n'étais juste pas en train de devenir fou. Ne confondais-je pas avec
le frôlement de mes doigts sur le papier recyclé, ou bien ma
fatigue ne me jouait-elle pas simplement des tours? Pour en avoir le
cœur net, je me résolus à abandonner mon activité fétiche. Je
repliai donc soigneusement mon journal, le reposai délicatement sur
le bord du guéridon dressé à côté de mon fauteuil et me levai.
Je sortis de la pièce et me dirigeai vers la porte de la véranda,
qui donnait sur le jardin d'où venait le bruit suspect. Une fois
passé le pas, je m'arrêtai quelques secondes, bloquant ma
respiration pour me concentrer uniquement sur l'environnement. Il
faisait froid ce soir-là, et je sentis mes poils se dresser sur mes
bras. Je ne sus cependant jamais si c'était la fraîcheur de l'air
ou la peur qui m'eus provoqué telle réaction épidermique. Je
commençai à respirer de façon haletante, et la buée qui sortait
de ma bouche et de mes narines était épaisse et blanche. Je sentais
tous mes muscles se contracter, et je me mis soudain à trembler
comme un nouveau-né qui sort de son premier bain chaud. Je
n'entendais plus vraiment le bruit qui était la source de mon
inquiétude, et seul le hurlement à la lune d'un vieux chien
déchirait le calme relatif qui régnait alentours. Son cri était si
fort et si long que j'en eu à nouveau la chair de poule, et j'avais
bien compris que ce n'était pas le froid qui me faisait réagir
ainsi. Je m'en retournai donc à l'intérieur de ma maison, quand je
sentis un courant d'air me frôler juste derrière moi lorsque je
fermai la porte , comme si quelqu'un venait de me doubler en courant
par l'arrière. Je fis un sursaut, et je ressentis mon cœur
s'emballer. La sueur perlait sur mon front, et l'angoisse commençait
à m'étreindre. Je fermai donc la porte de la véranda, la poussai
pour bien sentir le cliquetis du penne et mis le verrou derrière
moi. Je retournai à l'intérieur de la maison et m'assis sur mon
fauteuil. Je repris ensuite mon journal, tout en gardant un œil
attentif aux alentours. La paranoïa commençait à m'envahir, et je
ne pus donc pas vraiment continuer à lire. Je n'arrivais pas à
garder mes yeux sur chaque ligne, et mon cerveau n'imprimait
aucunement le sens réel des phrases. J'étais complètement obnubilé
par ce qu'il venait de se passer, et déconcerté par la peur qui
n'en finissait pas de monter. Je me levai donc à nouveau de mon
fauteuil, et dû trouver moult activité pour essayer d'occuper mes
pensées. Je m'en allai donc laver mon verre d'alcool dans la
cuisine, m'engageai à ranger les quelques éléments désordonnés
sur mon secrétaire, à nettoyer la poussière sur les meubles. Mais
malgré tout, la peur restait cachée dans mon esprit, comme une
sorte de film projeté à l'intérieur de ma tête qui continuait de
défiler devant le courant de ma vie. Je n'arrivais donc pas à me
détacher de mes propres angoisses, et lorsque le bruit entraperçu
au fond de mon jardin se fit plus présent et plus proche, je
paniquais encore plus. Sans trop savoir quoi faire, je sortis à pas
vif du salon pour me diriger vers le petit cabinet qui me servait de
bureau. Et là, sans allumer la lumière, je m'assis en boule dans un
coin de la pièce, essayant de me concentrer sur ma respiration afin
de la faire ralentir. Je me rendis compte que le bruit était de plus
en plus proche, comme s'il était entré dans le couloir. Le
frottement ne ressemblait plus à un carton mais plutôt à celui
d'un mur de pierre. Le bruit devenait crissement et résonnait de
plus en plus dans ma tête, de façon indéfinissable. Je le sentais
qui s'approchait, et mon cœur s'accélérait plus à chaque
rapprochement. J'eus l'impression qu'il allait exploser ma poitrine,
et la douleur ressentie me fit tourner la tête jusqu'au vertige. Je
n'aurais jamais pu me lever sans tomber, et je préférai donc ramper
jusque sous le bureau et m'y cacher dessous. Je tremblais de plus
belle, et il m'était impossible de me raisonner. Le crissement se
trouvait maintenant juste derrière la porte, et je m'inquiétais
d'avoir à découvrir l'origine de ce bruit. Je pressentis une faible
ombre dans le couloir, qui dansait contre le mur d'en face et
semblait démesurément grande. Je n'arrivais plus à sentir ni mon
cœur, ni ma respiration, le pouls qui battait dans mes tempes avait
un rythme si frénétique que ma tête semblait exploser dans un
fracas inimaginable.

Et alors que le crissement sur le mur
devenait assourdissant, je La vis face à moi, se dressant debout,
sur ce qui ressemblait fortement à deux pattes, à l'allure de
celles d'un poulet, mais avec des poils dessus. Mon imagination la
plus fertile et la plus riche n'aurait jamais pu imaginer qu'une
telle créature put exister. Face à moi se tenait une chose si
effrayante, si inconcevable que je fus pris de vertige, n'arrivant
pas à savoir si c'était le rêve ou la réalité. Sa corpulence
était imposante, comme un oiseau de taille humaine. Ses deux yeux en
forme de globe de cristal remplis de fumée opaque donnaient
l'impression de n'y voir aucune âme, aucune conscience, aucune
intelligence, tandis que ses dizaines de petites dents
particulièrement pointues, comme des crochets de vipère parsemant
une mâchoire entière de laquelle s'échappaient un souffle rauque,
lui donnait l'apparence de ces poissons des abysses avec un petit
appendice lumineux sur la tête pour attirer ses proies. Mais ici,
nul besoin de lumière pour me fasciner totalement. Ses deux bras,
courts par rapport à la taille du corps, étaient terminés par ce
qui ressemblait à des doigts très longs et très fins, comme des
baleines de parapluie. Ce sont eux qui frottaient contre le mur du
couloir, donnant ce bruit qui me stressait de plus en plus. Je ne
bougeai alors plus d'un cheveu, mais ma respiration était si
haletante que je craignis que ça ne l'attire vers moi. La chose leva
la tête vers le ciel, comme si elle humait une odeur dans l'air, à
la recherche d'une proie. Elle me cherchait, elle allait me trouver!
Je fus tellement traumatisé par l'idée que je ne pus retenir de ne
pas me pisser dessus. La gêne éprouvée n'était rien par rapport à
la terreur qu'il ne ressente mon odeur. Je réprimais un petit soupir
que je crus qu'elle avait entendu. Elle se dressa sur ses ergots,
comme un chien à l'arrêt, et commença à former de petits cercles
dans la pièce. Elle continuait de renifler l'intérieur de la pièce,
tout en poussant de petits souffles qui ressemblaient à ceux des
serpents. La créature était vive sur ses deux grosses pattes, se
déplaçant un peu comme un canard, mais avec plus de souplesse et de
vivacité. Elle s'approchait petit à petit de moi et approcha sa
tête à quelques centimètres de la mienne. Je pouvais sentir la
pestilence de son haleine, à mi-chemin entre l'animal mort et le
fromage oublié au fond du placard. Je retins mon souffle aussi
longtemps que je le pus, d'abord pour atténuer l'odeur qui pénétrait
mes narines, ensuite pour ne pas trahir le moindre geste, le moindre
bruit, le moindre tressaillement de ma part. Je n'avais maintenant
plus qu'une seule peur : que je soupire, un haut-le-cœur, un
mouvement brusque et incontrôlé qui expirerait l'air de mes
poumons. La créature se détourna alors de ma position et se mit à
tourner autour de la pièce, à la recherche de quelque chose, de
nourriture très certainement. Elle s'approcha d'une commode ancienne
qui trônait au fond de la pièce et huma son contour. Puis, après
une attente passive de plusieurs longues secondes, elle se dressa sur
ses ergots, pris un pas de recul et lança sa tête violemment contre
la porte du meuble, la défonçant d'un coup sec. J'eus tellement
peur, surpris par la soudaineté de ce geste, que je me pissai dessus
à nouveau. Je me retins de sangloter, ma gorge tremblotait, mes
larmes se retenaient au coin des yeux, je n'espérais plus qu'une
chose : que je me réveilla. Ça ne pouvait être qu'un cauchemar, ça
ne pouvait être autrement. Mais -hélas!- je compris que tout ceci
était bien le fruit de la réalité, d'une réalité étrange, qui
n'était pas la mienne, qui n'était celle d'aucune personne d'à peu
près sensée sur cette planète. Une créature, que Darwin aurait
reniée immédiatement, qui n'était connue par aucun scientifique de
renom, trônait ainsi là, dans ma maison, et je ne pouvais
absolument rien faire, hormis pleurer et espérer qu'elle s'en
allât... 

La créature se jeta à nouveau d'un
coup de tête sur la commode, puis après quelques coups, la porte
tomba, et je la vis y glisser sa tête, puis y sortir quelque chose.
Elle avait attrapé un sandwich! Un casse-croûte que j'avais oublié
il y a quelques jours et qui devait commencer à moisir, mais que la
créature avait trouvé à son goût apparemment. Elle l'avala d'une
seule gorgée, comme un oiseau mange un ver, et le termina goulûment.

Je m'en sentis tellement rassuré que
je relâchai un soupir de soulagement. Que n'avais-je pas fait! La
créature, à peine avait-elle englouti son amuse-gueule, releva la
tête et recommença à humer l'air ambiant, de plus en plus excitée.
De façon frénétique, elle se mit à chercher partout, à remuer et
retourner toutes mes affaires dans le bureau. Elle savait que
quelqu'un se trouvait avec elle dans la pièce, mais ne savait pas
où... A priori, ses sens de l'odorat et de la vue étaient peu
développés, car à la vue de la taille du bureau, elle aurait déjà
dû me trouver... Devais-je m'en inquiéter ou au contraire m'en
féliciter? On ne peut dire que ce fut ce qui emplissait mon esprit à
ce moment précis ; je n'avais qu'une hâte : que la créature
décampe, que je puisse m'échapper de sous ce bureau. Mais
apparemment, elle n'en avait nulle envie. Elle cherchait
manifestement avec encore plus d'envie, et je dus me résoudre à
rester encore plus silencieux et immobile. La sueur d'effroi qui
perlait sur mon front finissait par me démanger, par couler le long
de mes joues, mais il fallait que je me retienne de faire le moindre
mouvement.

C'est à ce moment-ci que le téléphone
du salon décida de sonner. La vieille sonnerie métallique à
l'ancienne qui agressait les oreilles et raisonnait comme jamais,
déchirant le silence pesant qui régnait dans la maison... La
créature s'arrêta de farfouiller dans ma paperasse et mes placards,
et resta immobile quelques longues secondes. Je me demandais vraiment
comment elle pouvait réagir. Et je ne fus pas déçu : effrayée par
le bruit discontinue du téléphone, elle se mit à pousser un
hurlement strident, comme le sifflement amplifié à l'extrême d'une
cocotte-minute. Son cri était si épouvantable que j'en oubliais
presque le téléphone. Je n'avais jamais entendu un tel cri
d'animal, et un courant d'air d'effroi me parcourut l'échine et me
glaça le sang ; j'étais littéralement pétrifié par ce chant de
sirène venu du fond des enfers. Je sentais chacun de mes doigts
trembler de façon spasmodique, et je n'arrivais pas à contrôler la
moindre de mes respirations. Et sans attendre, la créature prit
appui sur ses deux grandes cuisses et fit un bond énorme,
directement sur le bureau! Je pus sentir alors le poids de cette
chose, puisque le bureau s'affaissa fortement, et je compris que je
ne pourrais pas rester éternellement caché ici. Je ne savais plus
quoi faire. Je n'avais qu'une solution : fuir. Je pris mon courage à
deux mains et retint ma respiration, fit une prière à tous les
dieux de la terre (alors que je suis athée) et partit sans
réfléchir. La créature fut surprise par une telle échappée et
mit quelques longues secondes à réagir. C'était ma chance! Je
commençai alors à courir comme je pus. J'entrais dans le salon et
essayais d'ouvrir la fenêtre. J'entendais au loin la créature qui
arrivait à pas rapide, mais elle ne courait pas. En quelques
secondes, elle se trouvait dans l'entrebâillement de la porte, me
regardant fixement de ses deux yeux vides; je pouvais y sentir tout
le vice. Et cette putain de fenêtre qui refusait de s'ouvrir! C'est
ça d'habiter dans de vieilles bicoques: ça a son charme, mais tout
va à vau-l'eau! Je donnais alors de lourds coups d'épaules dans la
fenêtre, dans l'espoir de l'ouvrir par la force. Mais je n'obtins
que des douleurs sur le haut des bras. Je décidai alors de me
détourner vers la véranda et vers l'extérieur. Je sortis
précipitamment et traversai mon jardin dans le noir le plus opaque,
courant à l'aveugle et sans m'arrêter. Je m'appuyais contre le
tronc d'un arbre pour respirer. C'est alors que, ma respiration se
ralentissant, je cherchai à savoir si la créature m'avait suivi. Je
compris alors que non, et je soupirai alors de soulagement. Mais ce
calme devait être de courte durée. Il fallait bien entendu que je
reprenne possession de mon domicile, et je me devais donc de
l'inspecter de façon plus approfondie. Je me rapprochai donc à pas
feutrés vers la porte de la véranda. La pelouse humide avait
complètement trempé mes pantoufles et je commençais à avoir froid
; je me mis à trembler, peut-être autant par peur. Soudain, je
sentis sous le pied une forme dure, et j'en fus tout à fait surpris.
Je pensais avoir marché sur une des pierres qui détouraient un de
mes parterres de fleurs, mais après réflexion, je savais
pertinemment que je ne me trouvais pas à sa proximité. J'arrêtai
donc de bouger, mon pouls se remit en branle et je dus retenir ma
respiration. Je compris clairement que face à moi, dans le noir, se
trouvait la créature, immobile, à quelques centimètres de mon
visage. Je reculai donc pas à pas, et je me cognai à nouveau dans
une autre forme. Un arbre? Impossible. Je me retournai donc
lentement, et me voici alors face-à-face avec une seconde créature!
Elles étaient deux! Puis trois, quatre, cinq! En scrutant autour de
moi, je constatais que j'étais cerné par des dizaines de des
créatures qui envahissaient mon jardin! Je tressaillis, sentis ma
tête chavirer en tous sens sous le coup de la frayeur. Je restai
immobilisé, incapable de prendre la moindre décision, de mettre en
place la moindre fuite, devant ses yeux globuleux à l'infini qui se
posaient sur moi. Je m'évanouis dès que je vis les créatures faire
leurs premiers mouvements vers moi...

Voici donc mon histoire et les faits
qui y sont relatés telle une vérité indiscutable. Vous devez vous
demander ce qui a pu m'arriver après mon évanouissement. Je dois
vous avouer que moi aussi, je me pose la même question. Je sais
juste que je fus épargné, puisque je suis encore en vie. Je me suis
réveillé après une semaine de coma dans une chambre de l'hôpital
psychiatrique de St Jean, dans laquelle je voyais défiler
régulièrement de nombreux médecins, spécialistes de la
psychiatrie, neurochirurgiens et éminents professeurs spécialisés
dans la recherche sur le cerveau, incapables de comprendre mon
symptôme et mes visions, ainsi que des infirmières qui m'apportent
inlassablement des médecines, sans savoir si cela fait vraiment de
l'effet. La seule chose que je sais, c'est que les médecins ne
comprennent pas ce que j'ai vécu, ce à quoi j'ai été confronté
cette nuit-là, et qu'ils ne voient pas eux-mêmes les deux créatures
qui gardent la porte de ma chambre toutes les nuits, immobiles,
impassibles, me regardant de façon infinie de leurs yeux sans âme
et sans vie... Donc, si un jour vous rencontrez quelqu'un sceptique
face à l'existence de créatures dont on ne soupçonnait même pas
l'existence, n'hésitez pas à leur conter mon histoire, et à la
transmettre à travers le temps et les âges, afin que je ne me sente
plus jamais seul et incompris...