Il est de ces jeux qui restent, qui vous tirent une petite larme de nostalgie à leur simple évocation. Il est de ces jeux de la trempe de ceux qui marquent au fer rouge votre vie de joueur, et qui laissent en vous une emprunte à tout jamais. Resident Evil est de ceux-là, indéniablement. Sa première version, dès 1996 était déjà de ce calibre, et acquit d'ailleurs dès les premiers mois de sa commercialisation un statut de classique instantané de la Playstation. Sa relecture GameCube de 2002, sous la houlette de son créateur original Shinji Mikami, ne fait qu'accentuer encore un peu plus la légende de ce titre, et lui donne dès lors non seulement un statut de jeu totalement culte, mais lui octroie aussi un caractère intemporel grâce à son cachet graphique si particulier. La chrysalide est devenue papillon.

S'il devait y avoir un modèle sur lequel se baser pour réadapter une oeuvre dans une version plus moderne, ce Resident Evil figurerait sans doute tout en haut, car il est certainement l'illustration parfaite de ce qu'est un bon remake. Comme le dirait un célèbre commentateur sportif, c'est un cas « a montrer dans les écoles » ! Non pas de foot, mais de programmation car que l'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit ici bien évidemment pas de sport – quoiqu'il faut pourtant courir vite pour échapper à ces satanés chiens-zombies – mais bel et bien d'un jeu vidéo d'horreur à l'état pur. Le terme même de survival horror à été évoqué la toute première fois par les équipes marketing de chez Capcom Japon, et deviendra l'appellation officieuse de ce sous-genre du jeu vidéo, c'est dire l'impact culturel du phénomène ! C'est d'ailleurs assez troublant : c'est comme s'ils avaient pu deviner par avance que l'impact de leur jeu sur le monde du jeu vidéo allait être cataclysmique, au point d'en être l'une des figures de proue incontestée jusqu’au milieu des années 2000.  

 

Même si Mikami et son équipe ne peuvent être considérés comme les véritables inventeurs du genre – titre que l'on attribue plutôt (et à raison) au français Frédérick Raynal grâce à son travail de pionnier en la matière sur Alone in the Dark –, il serait tout de même malvenu de minimiser l'apport considérable de Capcom dans le processus de popularisation du genre, quasi-inexistant sous cette forme jusqu'alors. Et encore, je ne parle ici que de la version initiale 32bits, que l'on pourrait considérer comme une ébauche à sa réinvention 128bits, qui portait déjà en elle les fondations très solides de la peur vidéoludique. Resident Evil, cette institution de la peur, c'est avant tout l'horreur avec un grand H, en dépit des capacités techniques de la Playstation.

En clair, le seul défaut de ce Resident Evil de 1996, c'est qu'il existe un Resident Evil de 2002. Une transformation tellement radicale, que même à l'époque les rédacteurs du magazine JoypadJulien Chièze et Nourdine Nini pour ne pas les nommer – se sont laissés subjuguer par le caractère totalement novateur de cette version, qu'ils qualifièrent alors de véritable renaissance du mythique jeu sorti 6 ans plus tôt. Il faut dire que le trailer de présentation aura sans doute contribué à semer la confusion dans leurs esprits, et leur fera écrire dans le magazine Resident Evil : Rebirth, au grand dam de Capcom, alors que ce dernier se nomme tout simplement Resident Evil, comme son aîné (Biohazard au Japon). Avouez que cette sobriété à de quoi créer la confusion, et sonne presque comme un oubli de la part de l'éditeur : À cause de ce choix de l'éditeur nippon, on ne sait jamais vraiment de quel Resident Evil l'on parle si l'on n'utilise pas le mot Rebirth derrière. Il aurait été plus judicieux de la part de Capcom d'accepter cette dénomination ou de le nommer différemment afin de ne pas prendre le risque de les confondre. Passons sur ce détail, qui n'est de toute façon pas d'une importance capitale.

 

Le plus frappant dans cette nouvelle mouture, c'est qu'elle nous rappelle sans cesse ses origines modestes sur Playstation, tout en améliorant parallèlement le jeu sur tous les plans. la puissance supplémentaire apportée par la GameCube lui permet de sublimer littéralement la vision de Shinji Mikami. C'est d'ailleurs bien ce dernier qui occupe le poste de réalisateur, alors qu'il n'avait été que producteur sur les 2ème et 3ème opus. En grand amateur de cinéma d'horreur des années 70 et 80, Mikami trouve en le Nintendo GameCube assez de puissance pour déployer son arsenal créatif, très fortement inspiré par cette période cinématographique particulièrement riche en films de genre. À ce stade, peut-on encore parler de remake ? La question semble se poser, car s'il s'agit effectivement d'un jeu qui reprend dans les grandes lignes les mécaniques et les spécificités de gameplay de son illustre prédécesseur, il n'en reste pas moins une expérience foncièrement inédite, presque indépendante, s'émancipant avec brio de son carcan originel. Et quel upgrade qualitatif saisissant ! Rien que l'aspect graphique du soft le détache totalement de la version de 1996, pourtant déjà très jolie pour l'époque car usant déjà de la méthode de fusion entre vues en angles fixes pré-calculés et personnages et objets en 3D polygonale. La même charte technique qu'Alone in the Dark, mais dont la finition est infiniment mieux maîtrisée. À la décharge d'Infogrames, Resident Evil est sorti 4 ans après l'oeuvre de Raynal, ce qui dans le monde du jeu vidéo (et c'est encore plus vrai dans les années 90 à cause de la transition 2D/3D) est un véritable gouffre !

C'est peut-être aussi parce que cette nouvelle version emprunte le même procédé de game design que la trilogie PSX qu'elle brille par ses attributs esthétiques et ses plans de caméra quasiment photo-réalistes. L'avancement technologique du GameCube permet maintenant une meilleure fusion entre les éléments 2D et 3D, qui ne semblent plus autant se démarquer – voire se chevaucher – qu'auparavant. C'était d'ailleurs l'un des « défauts » majeurs de la version 32bits : Il n'était pas rare de distinguer les éléments en 3D, bien plus grossièrement représentés (car modélisés) que les éléments de décors fixes. De ce fait, cela pouvait nuire quelque peu à l'immersion et donner des indices bien involontairement au joueur quant à ce qui était amovible où non dans l'environnement de jeu. Les personnages et ennemis n'étaient pas non plus très détaillés et juraient parfois sévèrement avec le fond. En gros, le procédé de fabrication était clairement visible, malgré les efforts immenses de Capcom pour homogénéiser le tout. On sentait que la technologie n'était peut-être pas tout à fait au point pour permettre le rendu souhaité de prime abord par Shinji Mikami.

 

Ce surcroît de puissance bienvenu offre donc à ce génial créateur la possibilité de réinterpréter totalement sa vision initiale, de lui donner ses lettres de noblesse en quelque sorte. Pour autant, l'homme ne renonce pas à ses idées de game design, qu'il va même peaufiner avec le plus grand soin dans cette version. Il apporte juste ce qu'il faut de « modernité » en conservant la formule horrifique qui a fait le succès de la recette originale. Parcourir cet opus en ayant découvert la série 6 ans auparavant nous donne la sidérante impression que tout a été nivelé par le haut, que rien n'a été laissé au hasard. Tout le sel de cette relecture se situe dans le fait de comparer inconsciemment les deux jeux, à chaque instant, et à tomber à la renverse devant chaque trouvaille. Comment ne pas s'émerveiller devant un tel exercice de style ? On peut carrément ici parler de mutation fantastique – presque surnaturelle – tant cet opus semble avoir baigné de tout son être dans un élixir de jouvence miraculeux. Peu de remakes  – si ce n'est aucun – peuvent se targuer de proposer une expérience aussi transfigurée face à leur aîné d'antan. Non content de lui offrir une mise à niveau graphique digne de ses prétentions horrifiques, la version GameCube propose également une aventure légèrement plus longue qu'initialement, grâce à l'ajout de nouvelles zones de jeu et une refonte intégrale des énigmes. Ces dernières restent toujours dans la même veine, à savoir tirées par les cheveux, mais offrent un challenge nouveau à ceux qui connaissent le manoir Spencer original sur le bout des ongles. En découle un plaisir de redécouverte absolument fantastique, comparable à nul autre remake !

Bien sur, l'histoire elle, ne change pratiquement pas et malgré quelques petites retouches et ajouts divers (l'histoire de Lisa Trevor, qui traîne sa peine dans les couloirs sous-terrains du manoir), ce n'est clairement pas elle qui tire cet opus vers le haut. Albert Wesker reste un traître abject à la solde d'Umbrella, Barry Burton un servile et protecteur allié de Jill Valentine, et Chris Redfield un soldat solitaire déambulant dans les couloirs sombres de l'immense bicoque. Sans vouloir paraître insultant pour les fans les plus hardcore de la saga, j'ai toujours trouvé que l'histoire restait de toute manière ultra secondaire, car reposant essentiellement sur des clichés de série Z mis bout à bout sans grand génie. De toute façon, qui joue à Resident Evil  pour son scénario ? Peu de monde j'ose espérer ! Une partie de sa légende tient même du caractère complètement rocambolesque et improbable de son histoire. 

 

Le véritable point fort de ce remake est à chercher du côté de son ambiance complètement ahurissante, qui ferait presque passer l'épisode Playstation pour un épisode des bisounours... j’exagère à peine. La première fois que j'ai découvert cet épisode GameCube, je n'ai pas pu m'empêcher de prendre un temps fou à accomplir ma quête, m'arrêtant de jouer quelques instants à quasiment chaque nouvelle pièce pour apprécier le travail exceptionnel de Mikami et son équipe d'artistes talentueux. Chaque plan, chaque texture, chaque effet de lumière et chaque ombre nous rappelle le grand écart absolument phénoménal qui existe entre les deux versions. Il faut vraiment le voir pour le croire. Sachez d'ailleurs qu'à titre personnel, je ne me suis toujours pas remis de cette baffe graphique absolument magistrale, même 12 ans après ! Il coiffe tout simplement au poteau de très nombreux jeux vidéo sortis depuis cette période, alors qu'il n'est pas en HD et que son rendu est en 4/3 !

Ce jeu, bien que trônant selon moi bien au dessus des autres épisodes de sa série, aura paradoxalement (et malheureusement) entraîné la « mort » qualitative de celle-ci. C'est en effet suite aux chiffres de vente décevants de cet épisode et de Resident Evil Zero sorti en 2003 que Capcom décida de faire prendre un virage bien plus action à sa licence. Malgré tout le respect que j'ai pour Resident Evil 4, lui aussi chapeauté de main de maître par un Shinji Mikami des grands jours, il faut bien admettre qu'il fut le point de départ d'une toute nouvelle ère, ou l'atmosphère et l'ambiance pesante des premières années allaient progressivement se voir sacrifiés sur l'autel du tout-action. Mais comme le dirait notre bon vieux AHL, ça, c'est une autre histoire... 

Alors oui, il existe de bien beaux remakes, remasterisations et autres portages HD à ce jour, à l'instar du très récent L'odyssée d'Abe New 'N' Tasty, ou bien encore de Duck Tales Remastered par exemple, pour rester chez Capcom. La liste est aujourd'hui très longue en comparaison de cette époque ou de telles pratiques n'étaient pas monnaie courante, et bon nombre de ces rééditions HD fleurent bon l’escroquerie pure et simple en faisant vibrer la corde sensible des vieux gamers et de leur nostalgie supposée afin de leur soutirer quelques deniers supplémentaires. Mais vraiment, il faut quand même se rendre compte du travail incroyable accompli sur ce remake, injustement récompensé par un échec commercial retentissant ; Avec « seulement » 1 350 000 copies vendues dans le monde, ce Resident Evil est le deuxième jeu de la licence principale le moins vendu, juste après la version Dual Shockde Resident Evil Director's Cut sortie en 1998 sur PSX. Resident Evil 4 quand à lui, se vendra à près de 6 millions d'exemplaires dans le monde, ce qui scellera le destin des Resident Evil à la formule dite« classique », au profit de TPS bourrins et sans âmes que sont Resident Evil 5, Resident Evil 6 et Resident Evil : Operation Raccoon City. À quand la véritable renaissance ? 

Je finirai juste sur ce point très personnel en disant que pour moi, ce Resident Evil est à son épisode original ce que Tomb Raider Anniversary est à Tomb Raider : une modernisation graphique et technique admirable sous forme d'hommage appuyé, qui respecte parfaitement l'ADN de la saga jusque dans les moindres détails tout en proposant quelques nouveautés au passage. Des ramakes comme on aimerait en voir plus souvent en somme... si tant est que l'on veuille voir des remakes à la place de nouvelles licences bien sur !