Annus horribilis pour la terre du jeu vidéo sur console. Jamais en 24 ans, le marché nippon ne s’est contracté de la sorte. 2014 côtoie ses niveaux en valeur de 1990 ! Tel est l’enseignement principal du relevé statistique annuel mis en ligne par Famitsu (Enterbrain). Pourtant très attendu, le lancement de la PlayStation 4 n’a pas réussi à enrayer l’inexorable déclin du marché des consoles de salon. Après une dynamique soutenue observée entre 1987 à 1997, le marché est devenu cyclique où se succèdent période faste et phase de décroissance. Cependant, l’année 2012 (WiiU) ainsi que 2014 (PS4/Xbox One) marquent un tournant. Les consoles de salon n’agissent plus comme des relais de croissance.
 
 
Les analyses et bilans, pourtant précieux dans l’interprétation des données chiffrées, n’ont pas été communiqués. L’accès à l’ensemble de cette synthèse de cette activité industrielle est payant et réservé préférentiellement aux acteurs du jeu vidéo. Ces informations servent d’outils d’aide à la décision pour les éditeurs/constructeurs à partir desquelles est dressée leur stratégie produit (agenda de sorties...). Mais certains facteurs connus expliquent cette évolution négative. En dépit de nombreux plans de relance opérés successivement par les gouvernements, le Japon fait face depuis près de vingt ans à une situation de déflation rampante. La demande est en panne, elle ne réagit plus ou si peu aux stimulations économiques publiques. Il faut revenir plus de vingt en arrière pour trouver l’origine de l’effondrement de la consommation. Les spéculations immobilière et financière jusqu’au début de la décennie 90 ont poussé les ménages japonais à fortement s’endetter dans le but d’accéder à la propriété. La fin de l’emploi à vie ajoutée à la détérioration rapide de leur pouvoir d’achat pressent les japonais à se désendetter. Ils taillent dans leurs dépenses courantes (achat de biens et de services) ce qui pénalise la croissance du pays.
 
 
En dehors de l’impact de ces causes conjoncturelles évidentes, le marché des jeux vidéo est à l’aune d’un bouleversement structurel majeur. Selon John Greiner fondateur de feu Hudson, on assiste à un passage de relai entre deux formats : « Je ne crois pas que le marché japonais s’effondre sur lui-même, il mue tout bonnement. » L’arbitrage du marché se ferait en faveur « du segment mobile », mais pas nécessairement comme on l’entend. D’après J.Grenier, « dans l’ensemble » sur les smartphones le jeu en situation de mobilité n’est pas plébiscité par les utilisateurs. « Vos RPG de la vieille aimés de tous, vos combattants favoris entre autres héros consoles s’acclimatent mal sur mobile ». Une opinion largement partagée par les décideurs et analystes, mais combattue avec force par le chantre des consoles portables, Nintendo. Le PDG Satoru Iwata ne cache pas son scepticisme quant à la valeur ludique intrinsèque des jeux sur téléphone iOS/Android (répétitivité de l’action au mépris d’un gameplay plus élaboré). La pratique des loisirs interactifs sur ce segment ne cannibalise en rien celle des consoles de salon exigeant une bien plus grande implication de soi. Les deux marchés sont donc amenés à coexister sans se vampiriser d’après le haut responsable.
 
Alors pourquoi Nintendo et Sony sont incapables d’orienter le marché nippon à la hausse ? Selon des journalistes apatrides comme l’est Christophe Kagotani (Edge, Gamekult et anciennement Joypad, Consoles+ ...), la Wii U a souffert et souffre encore d’une campagne de communication publicitaire ratée : « J’ai même entendu une mère de famille demander dans un magasin si acheter le GamePad à part permet de faire de la Wii une Wii U » rapporte dans les colonnes de Gamekult.com le globe-trotter. Pas étonnant de s’interroger sur l’absence de bon sens du département marketing du numéro un sortant lorsque les publicités de lancement présentaient cette nouvelle console de salon comme une “Super Wii”. À cela s’ajoute une valeur ajoutée moins limpide pour le consommateur moyen que le dispositif Wiimote ne le laissait supposer ainsi qu’un catalogue de titres accompagnant sa commercialisation pas assez attractif. Les éditeurs tiers, frileux sur les chances de cette plate-forme compliquent les erreurs du constructeur désormais seul à la barre.
 
 
Sony frise la même impréparation ou précipitation relève C. Kagotani. « En discutant avec des éditeurs tiers parés pour le jour J, on sent un agacement vis-à-vis d’un Sony qui aurait fait preuve d’une certaine inertie avec une campagne promotionnelle trop courte, sans saveur, sans moyens », signale le journaliste japonisant. La magie du lancement n’est plus. L’organisation d’une soirée autrefois ouverte au public en plein quartier d’Akihabara, Shinjuku ou Shibuya est remplacée par un événement privatif au sein d’un espace dédié du building appartenant au constructeur. Le Jour-J, l’ambiance de la foule impatiente qui se presse devant les magasins s’estompe comme annonciatrice d’une fin de règne ? Non, c’est une conséquence des nouvelles habitudes de consommation des joueurs japonais orientées un peu plus chaque année vers l’achat en ligne. Ils seraient même devenus plus pragmatiques, plus attentistes toujours selon C.Kagotani. La hausse de la TVA une courte semaine après la commercialisation de la PS4 n’a pas provoqué de comportement d’achat par anticipation. Des jeux mieux adaptés au particularisme ludique des joueurs, une révision escomptée de l’architecture interne de la console de Sony destinée à amoindrir son dégagement de chaleur désagréable dans les pièces exigües des appartements japonais freinent leur ardeur consumériste légendaire.
 
D’autres veulent croire à un déclin endémique de l’archipel à cause d’une inadaptation aux défis de la mondialisation. C’est le cas de Gavin Moore, producteur du jeu Puppeteer chez Sony Japan Studio : « Ils ont perdu de vu qui ils étaient. Les superproductions occidentales ont exercé une grande fascination sur eux sans qu’ils soient vraiment préparés à les égaler. Ils manquent de personnels qualifiés, ils sont lents à assimiler la technologie, ne sont pas familiers avec le middleware » réagit avec sévérité le chef de projet dans les colonnes du site Eurogamer.net. La faute à « une société trop homogène qui fait bloc à toute influence venant de l’extérieur, renchérit Greiner. En occident, nous partageons l’information sur les techniques de développement, les outils, etc. Les multiples conférences de développeurs de jeux sont un excellent moyen de partager les procédures et outils de production. Il n’existe rien de tel dans l’archipel. »
 
Revenir aux fondamentaux et non se recroqueviller pour mieux s’ouvrir aux influences étrangères, c’est la solution prônée par le dirigeant de Level 5 Akihiro Hino : « Par le passé, j’ai essayé de réaliser des jeux à vocation internationale, mais leur réception n’a pas été à la hauteur de mes objectifs. Mon intention est désormais de créer japonais et de bien le faire, les joueurs suivront. » À condition de remplir un minimum le cahier des charges, notamment la dimension sociale des jeux : « L’industrie du jeu vidéo a significativement changé, souligne Shin Unozawa président du CESA, le régulateur local. Nous devrions prendre en compte ces bouleversements [...] la composante sociale, le contenu additionnel téléchargeable ». Le free to play est également cité comme le nouvel Eldorado. Le Japon disposerait des meilleurs atouts apportés notamment par la culture de l’arcade, des jeux pensés pour inciter le joueur à glisser une pièce de 100 yens par courte session.
 
« Je me fais souvent la réflexion suivante : les américains se pressent au Tokyo Game Show pour découvrir les prochaines tendances du jeu vidéo. L’E3 est de plus en plus dominé par les opérateurs mobiles, un dynamisme qui existe depuis des années au Japon. Ce pays ne sombre pas, il représente juste ce que sera demain notre industrie » résume si justement J. Greiner, un ex d’Hudson.