Alors
que j'avais carrément zappé la Master System et la Megadrive, que j'ai connues uniquement chez des
amis, je me suis rattrapé avec la Saturn de SEGA. Pourtant, ce n'est que plusieurs années après
sa sortie que je sautai le pas pour la dernière des consoles de cette
génération qui n'était pas encore en ma possession. À l'occasion de mon périple
quotidien au Score Games à côté de l'université de Jussieu (le même que celui
de la section PC mais ils avaient entretemps déménagé pour des locaux plus
grands rue des fossés St Bernard), j'eus la surprise de voir une Saturn en promotion.
Alors qu'elle sortit en juillet 1995 au prix de 3299frs en France, je l'achetai
350frs d'occasion avec quelques jeux en 2000 ou 2001. À cette époque, la
production de la console avait déjà été stoppée. Avec 10 fois moins de ventes
que sa concurrente principale et 3 fois moins que la Nintendo 64, cette Saturn
représente le début de la fin pour SEGA. L'une des plus grosses erreurs de la
société intervint avant même la commercialisation de la machine, même si cela
partait pourtant d'une bonne intention[1]. Afin
de surprendre tout le monde et de satisfaire la soif consumériste des clients,
SEGA annonce, lors de la présentation de la machine à l'E3 de 1995, qu'ils ont
en secret préparé un lancement de la console pour le 11 mai 1995 aux USA, soit
quelques jours seulement après cette présentation. Cette sortie prématurée a
fait l'effet d'une bombe dans le petit monde du Jeu Vidéo. La déflagration
s'est malheureusement retournée contre SEGA pour plusieurs raisons :

  • La première est due à Sony qui, en entendant que la Saturn était annoncée à 399$ répondit immédiatement avec le prix de sa Playstation à 100$ de moins pour une sortie américaine en septembre de la même année, lors du même salon.
  • La deuxième raison est une question de timing. SEGA, souhaitant à tout prix garder cette sortie secrète, a vraiment surpris tout le monde, y compris les développeurs à qui on avait donné la date du 2 septembre comme sortie. Par conséquent, très peu de jeux d'éditeurs tiers étaient disponibles dans les premiers mois, chamboulant leurs plannings et provoquant un certain manque à gagner.
  • Enfin, la dernière erreur concerne la distribution. Toujours pour garder le secret, SEGA n'a travaillé qu'avec quelques distributeurs aux États-Unis. Les autres se sentirent trahis et avantagèrent délibérément la concurrence, allant même parfois jusqu'à retirer tout produit lié à la marque au hérisson bleu. La console ne fut donc disponible qu'en petites quantités et s'était vendue à 80 000 unités sur ce territoire lorsque la Playstation arriva. Cette dernière ayant atteint 100 000 ventes à son lancement la dépassa donc très rapidement. « Tout ça pour rien » serait-on tenté de dire. Plus grave, ce sentiment de trahison lésa aussi les ventes de la Dreamcast.

Techniquement
parlant, il faut aussi avouer que SEGA n'a pas, au contraire de Sony, misé à
100% sur la 3D polygonale et sa Saturn est donc encore tournée vers la 2D. Cela
se ressent tout de suite dans les différents types de jeux, au niveau des
graphismes. Sur les jeux en 3D, la Playstation a l'avantage grâce à des effets
supplémentaires. Je me souviens des effets de transparence sur Saturn ratés par
rapport à ceux sur PS1, par exemple. En 2D, par contre, la Saturn retrouve en général
l'avantage, notamment grâce à sa cartouche RAM 4Mio permettant des portages
fidèles des jeux de combat venant de l'arcade. Ces portages firent la joie des
possesseurs de Saturn. Les amateurs se souviendront des Marvel Super Heroes,
X-Men VS Street Fighter, les King of Fighters, Samurai Shodown ou Vampire
Savior. Mais celui qui m'a le plus marqué n'utilise en fait même pas
nécessairement cette cartouche. Il s'agit de Pocket Fighter. Dans ce jeu de
Capcom, des combattants des différentes séries de jeux de combat de la
compagnie s'affrontent dans des versions SD (pour Super Deformed) d'eux-mêmes.
L'ambiance est comique, délirante et le jeu ne se prend pas du tout au sérieux.
Pourtant, le système de jeu est tout à fait à la hauteur de ses compères.

Et
un beau jour de printemps, un ami qui se séparait de sa Saturn me fit un petit
cadeau : une cartouche noire avec une étiquette vierge de toute écriture.
Il me dit que c'est une carte-mémoire. Les seules cartes-mémoire que je
connaissais étaient les petites cartes pour Playstation, je ne comprenais donc
pas comment un aussi gros « machin » pouvait être aussi bien que les
fines Memory Cards ma PS1 mais on ne refuse pas un cadeau ! Ce n'est qu'en
l'insérant dans ma Saturn que l'ampleur de ce cadeau m'apparut. Alors qu'une
carte mémoire PS1 peut contenir une quinzaine de sauvegardes dans son espace de
128kio, cette cartouche de sauvegarde pour Saturn contient 4Mio de données, soit
32 fois plus d'espace ! Moi qui avais plusieurs cartes-mémoire sur la
console de Sony, tout ceci était terminé sur Saturn. Et elle m'a été très utile
pour deux des jeux les plus marquants sur cette console, deux RPG.

Le
premier est Shining Force 3 Scenario 1 qui date de 1998 en Europe. Cette série
de T‑RPG a été initiée sur MegaDrive avec un deuxième épisode célèbre. Ici, les
développeurs de chez Camelot ont transcendé leur série sur Saturn, tant sur le
plan graphique que sur le plan du scénario. En effet, c'est le premier épisode
à disposer de graphismes en 3D, permettant d'effectuer une rotation de l'écran
afin de mieux visualiser la scène, ce qui est très important dans ce genre de
jeu. De plus, grâce à l'existence des 3 scénarii, les développeurs ont mis en
place le Synchronicity System grâce auquel des interactions étaient possibles
entre les 3 jeux. Malheureusement, cette option ne fut jamais disponible pour
les occidentaux puisque seul le premier scénario eut l'honneur d'une sortie aux
USA et en Europe, à cause de la chute des ventes de la console. Il a
d'ailleurs, je pense, été tiré à peu d'exemplaires puisque sa valeur auprès des
collectionneurs dépasse les 100€.

Un
autre jeu qui se trouve actuellement au même prix est Panzer Dragoon Saga. Ce
RPG basé sur l'univers de la saga de Shoot Them Up de la Team Andromeda de
SEGA est juste, à mon avis, le meilleur RPG de la Saturn. Dans un monde
alternatif, un jeune garçon du nom d'Edge se retrouve à lutter contre les
forces de l'Empire. Sur ce pitch classique, les développeurs réussissent à
créer un monde original, des personnages intéressants et surtout un système de
combat dynamique mêlant avec brio le côté shoot them up original de la série
avec les règles d'un RPG tour par tour. Qu'est-ce que j'aimerais un remakede ce jeu !

La Saturn s'est cependant éteinte avec un poignant hommage de son personnage de publicité fétiche : Segata Sanshiro. Ce héros de pub est créé par SEGA en 1997 et aura un tel succès au Japon qu'on raconte qu'il est à l'origine du succès de la console au pays du Soleil Levant. Le nom Segata Sanshiro est un double jeu de mots. C'est tout d'abord un hommage au héros du film d'Akira Kurosawa, La Légende du Grand Judo, Sugata Sanshiro. En plus, c'est aussi un jeu de mots avec la phrase japonaise "Sega Satan Shiro" qui peut se traduire aussi bien par "Jouons à la Sega Saturn" ou "Sega Saturn blanche" en référence à la sortie simultanée de la nouvelle version de la Saturn blanche au Japon le 10 juillet 1997. Les publicités de Segata sont toujours structurées de la même manière, avec la punition totale de joueurs qui ne jouent pas à la Saturn. Elles sont tournées avec un humour délirant totalement japonais. À l'arrêt de la console, Segata est bien évidemment le premier touché. Dans la dernière publicité, SEGA s'apprête à lancer la Dreamcast (blanche, elle aussi par ailleurs) quand le vilain méchant concurrent machiavélique (on se demande qui cela peut-il bien être !) envoie un missile vers l'immeuble dans lequel les grands patrons adorés de Segata font une réunion. Segata, n'écoutant alors que son courage, se sacrifie pour détourner le projectile sous les cris remplis de désespoir et de tristesse de la secrétaire. Et c'est ainsi que le héros national part, en héros héroïque dans une explosion cosmique !
 

[1] J'ai entendu cette anecdote et une grande partie de
ces raisons dans  podcast n°4 de
RetroCity sur IGN, par Levi Buchanan.