Voilà deux heures que je planche sur cette foutue entrée en matière. L'odeur âcre du tabac froid empli la pièce et je n'ai toujours rien trouvé. Deux heures. Le niveau de ma bouteille de whisky est de plus en plus bas. Je vais devoir me lever pour aller en chercher une autre. Je tire lentement sur ma cigarette pour me calmer. Deux heures déjà. Il y a pourtant bien quelque chose à faire. Je n'ai jamais aimé ça. L'introduction, la prise de contact. Ce n'est pas pour moi. Oh oui, quand c'est lancé je ne m'arrête plus mais il faut se lancer, se jeter dans l'abîme. Je me lève pour aller à la fenêtre. Le vent griffe le verre comme un dément. Ah, le vent cette matière, cette puissance qu'il dégage et pourtant pas moyen de l'amadouer, de le canaliser, il modèle comme il détruit avec force ou avec patience. Je suis né avec le vent mais je n'en ai rien retiré il faut bien l'admettre. Pas de folie, pas de génie. De mes mains, je ne créé rien, la matière n'est pas dressée sous ma férule comme le serait un bon chien. L'effort est pour moi trop grand et ma volonté trop petite. Ma capacité à produire du sens n'existe que grâce à la création d'autres : les mots. J'en use et j'en abuse, pas comme un maître il faut être clair, j'en suis terriblement loin. La rime n'est pas pour moi et la prose ce n'est guère mieux mais c'est déjà mieux. On se contente de peu.

 Je bois le whisky sur mon bureau, histoire de m'hydrater un peu le gosier. Une eau de feu comme aurait dit les indiens, pardon les amérindiens. Un liquide qui brûle sur son passage. Et pourtant ça s'anime en bas, ça chauffe et réconforte à sa façon. Le whisky est simplement du courage en bouteille et haute à dose les deux vous tuent. Je n'ai pas beaucoup de feu en moi. Disons simplement que je suis lent à l'allumer. Mais pardi quand il a reçu assez de carburant pour brûler comme une fournaise c'est autre chose que la créature flasque qu'on rencontre d'habitude. Le combat, la tension de l'effort sont voulus, on peut alors se jeter, larguer les amarres et ne plus laisser que son corps aux commandes, le cerveau très loin en arrière comme un spectateur idiot. Un simple passager qui ne peut plus rien. Ce n'est pas pendant l'effort que le problème se pose mais avant et après forcément. Une quête personnelle en somme, celle d'une réussite qui n'est pas accessible à cette pauvre créature amorphe tout juste bonne à se gaver des plaisirs de la chair et de l'esprit. Le vent se bat encore contre ma vitre aidé par la pluie. L'eau en voilà une autre énergie fondamentale source de vie, et de mort aussi. Quand nous pleurons, nous donnons notre eau aux morts alors que ça fait longtemps qu'ils n'en ont plus besoin. L'eau n'importe qu'aux vivants, ceux dont le sang circule encore dans leurs veines et leurs artères, irriguant, réchauffant là où il passe. J'inspire encore la fumée de ma cigarette, laissant son bien-être remonté jusqu'au siège de mon âme. La cigarette est finie, j'en cherche une autre dans la poche de mon veston. Rien. Je marche vers la cuisine pour y trouver un paquet. Le sol est froid sous mes pieds nus. Après tout je suis chez moi, c'est mon sol, ma terre en quelque sorte. Il faudra bien y retourner un jour d'ailleurs. Tu es poussière et tu retourneras à la poussière comme le dit si bien le prêtre. Deux heures et toujours rien.