Des royaumes qu'on oublie pas


Parce que certains vieux jeux
méritent aussi qu'on parle d'eux. La saga Baldur's Gate faisait partie (avec
les Icewind Dale et Planescape : Torment) d'une série de jeux vidéos
reposant sur un même moteur, le Infinity Engine, et s'est imposée à l'entrée
des années 2000 comme le fleuron du RPG occidental. Plutôt que le premier
épisode, qui a pourtant marqué le début de l'aventure, j'ai choisi de parler
ici de Baldur's Gate II : Shadows of Amn, certainement l'épisode le plus abouti.

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L'aventure de Baldur's Gate II a
lieu dans les Royaumes Oubliés, un des univers créés pour le célèbre jeu de
rôle papier « Donjons et Dragons » (dont il reprend également les
règles). Comme dans de nombreux RPG occidentaux, l'action prend donc place dans
un monde d'heroic-fantasy très largement inspiré du Seigneur des Anneaux, et dans
lequel on croise mages, elfes ou dragons. Un contexte très (trop ?)
classique, mais toujours propice à des aventures épiques et dans lequel on
retrouve rapidement ses repères.

Le scénario de Baldur's Gate II
suit directement celui du premier épisode, sans pour autant qu'il soit
nécessaire d'y avoir joué pour profiter de l'histoire. Enfant de Bhaal, le
maléfique dieu du meurtre dans la mythologie des Royaumes Oubliés, le joueur se
retrouve ici aux prises avec un puissant magicien qui souhaite lui « voler »
ses pouvoirs divins. Les choses s'avèreront cependant plus ambiguës que ce
synopsis ne le suggère et le scénario, sans pour autant être le point fort du
jeu, est riche en rebondissements et en situations. Bien plus d'ailleurs que ce
n'était le cas dans le premier épisode, mais cela se fait par moments au prix
d'une certaine linéarité.

Techniquement, le jeu date de
2001 et accuse évidemment le poids des années. Tout se joue ici avec une vue en
3D isométrique, et les personnages sont représentés par des sprites se
déplaçant sur des décors en 2D pré-rendus. Le procédé est depuis devenu
obsolète et semble maintenant bien vieillot (l'immersion est difficile pour un
joueur d'aujourd'hui habitué à la 3D), mais il a encore ses mérites. La vue est
claire et facilite l'exploration et les combats, d'autant que le joueur est rapidement
amené à contrôler plusieurs personnages à la fois. De plus, chaque décor a été
« dessiné » à la main, et même si la résolution n'est pas
exceptionnelle, la qualité de la direction artistique rend le tout encore
agréable à l'œil.

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            Dans
Baldur's Gate, le maître mot est « liberté », et en cela, il
représente tout ce qui fait la force du RPG occidental. Le monde est vaste, et
en particulier Athkatla, sorte de métropole médiévale qui sert de point de
départ aux aventures du joueur. Lorsque l'on voit la difficulté qu'ont
maintenant les développeurs à construire de vastes mondes en 3 dimensions, en
particulier avec les standards HD actuels, difficile de ne pas regretter cette
époque où les contraintes techniques étaient bien moindres.

            Au-delà de
la carte elle-même, les PNJ sont eux aussi très nombreux, qu'ils soient
commerçants, simples passants ou au contraire qu'ils aient des quêtes
secondaires à proposer au joueur (qui sera bien avisé de les accepter, la
récompense en XP étant souvent de taille). Là encore, l'approche est
représentative du RPG occidental : au-delà de l'intrigue principale, c'est
tout un monde qui prend vie, et ces quêtes secondaires seront autant
d'occasions de le découvrir et d'y prendre part. Ne pas les saisir est donc
passer à coté d'une bonne partie de l'expérience, et il est certain que
beaucoup de joueurs, en particulier les habitués des RPG japonais (au rythme
beaucoup plus soutenu), risquent de ne pas y trouver leur compte. C'est là
l'éternel débat entre ceux qui préfèrent qu'on leur conte une histoire
maîtrisée de bout en bout, quitte à être guidés à outrance, et ceux qui
préfèrent au contraire pouvoir explorer librement un monde qui semble
finalement pouvoir exister sans eux, quitte à négliger l'histoire principale.
Pour ces derniers, Baldur's Gate laisse en plus la possibilité de régler chaque
situation de différentes manières, bien que l'altruisme soit toujours plus
récompensé que la méchanceté, et que la liberté d'action ne soit donc pas non
plus celle d'un Fallout (1 et 2, j'entends).

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            La liberté
est aussi dans la gestion même du personnage principal. Dès sa création, où le
joueur est amené à choisir parmi un grand nombre de races (humain, elfe,
demi-orque... ) et de classes (guerrier, voleur...). On attribue ensuite des points
aux différentes caractéristiques, sachant que le guerrier devra pouvoir compter
sur sa force, le mage sur son intelligence, etc... On peut de plus déterminer son
apparence, à travers son sexe, la couleur de ses vêtements, et la voix qu'on
entendra parfois après certaines actions (bien sur, le personnage n'étant
représenté que par un simple sprite, et les dialogues du jeu n'étant pas
doublés, cela reste assez anecdotique). Au cours de l'aventure, le joueur doit
engranger de l'XP en tuant des ennemis ou en résolvant des quêtes, afin de
gagner des niveaux et d'améliorer ses compétences. S'il est impossible de
beaucoup s'éloigner du type de personnage choisi au départ, il reste encore à
choisir avec soin son équipement, mais aussi, pour les mages et les prêtres,
les sorts à apprendre parmi les centaines disponibles (qu'ils soient d'attaque,
de soutien, de convocation, etc...). Heureusement, les descriptions in-game sont
nombreuses et accessibles d'un simple clic droit sur l'objet ou la magie qu'on
souhaite utiliser, et il sera nécessaire au novice de longuement les étudier
avant de prendre ses repères.

            Cette
richesse se voit décuplée par la possibilité de recruter des alliés pour
accompagner le joueur, jusqu'à cinq en plus du personnage principal, parmi un
vaste choix de PNJ. L'objectif est bien sur de former un groupe équilibré : un
guerrier pour combattre en première ligne, un voleur pour repérer les pièges et
les désarmer, un prêtre pour soigner ses camarades, un mage à la puissance
offensive dévastatrice (aussi bien pour l'adversaire que pour soi, de nombreux
sorts étant à double tranchant ; par exemple, la boule de feu qui touche
ennemis et amis sans distinction). Ceci n'est bien sûr que l'archétype d'une
troupe d'aventuriers, et le joueur a en fait toute liberté de former le groupe
qui lui convient, selon ses préférences et la stratégie qu'il souhaite adopter.
A noter aussi les dialogues avec et entre ces PNJ recrutables, très bien écrits
et souvent savoureux, qui renforcent leur identité et la sensation de mener un
véritable groupe d'aventuriers.

            Mais toute
cette richesse ne serait rien sans un système de combat impeccable, et une
difficulté suffisante. Car au contraire de nombreux RPGs, il ne suffira pas de
se jeter sur l'ennemi pour remporter la victoire, la gestion du groupe et des
compétences de chacun étant primordiale. Pour faciliter cela, le gameplay se
rapproche de celui d'un RTS : la souris permet de sélectionner un ou
plusieurs personnages puis la cible à attaquer, et quelques raccourcis clavier
permettent d'aller plus vite et de fluidifier l'action. Il est également
possible de mettre le jeu en pause, afin de se donner le temps de réfléchir à
la stratégie à adopter et de diriger chaque membre du groupe. Car bien que
l'interface soit réussie et quasiment optimale, elle est suffisamment complexe
pour qu'il soit impossible de tout contrôler en temps réel. Et malgré cette
aide, l'effort à fournir pour maîtriser le tout reste conséquent...

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            Finalement,
Baldur's Gate propose un monde vaste, et utilise à merveille les règles de
AD&D (2e édition de « Donjons et Dragons ») à travers
les innombrables possibilités à la fois dans l'évolution du PJ et de ses
alliés, mais aussi dans la gestion des combats. Le revers de la médaille est
qu'un investissement important est nécessaire pour connaître ces règles et
apprendre à en tirer parti, ce qui en rebute plus d'un. Un jeu à ne pas mettre
entre toutes les mains donc, d'autant que le rythme de l'histoire ne saura pas
tenir en haleine les plus pressés d'entre nous. Mais pour ceux qui cherchent
avant tout la liberté d'action, ou qui se sont lassés de l'éternel hack'n
slash, Baldur's Gate est certainement un des RPGs les plus complexes et les
plus riches jamais conçus.