Mon père me dit souvent : « t'es bien comme ta mère, quand une idée dans la tête, tu l'as pas ailleurs ». Cher papounet, je vais mettre des actes sur ce dicton familial. Il y a quelques mois, je vous disais que le jeu vidéo était traité trop techniquement par la presse et que personne chez les généralistes n'osait se mouiller sur le plan éthique quand un jeu ne se contentait pas d'être bon ou mauvais sur sa technique, mais allait également tâter maladroitement la propagande. Il est temps aujourd'hui de remettre ça sur le tapis avec quelques exemples qui ne se limiteront pas au médiocre Medal of Honor que j'évoquais dans ce premier billet. Je vais parler de trois jeux, aujourd'hui. Trois titres qui devraient m'aider à vous faire comprendre, pour ceux qui en doutent encore, que CE N'EST PAS JUSTE DU JEU VIDÉO. Enfin quand je dis que je vais en parler, je vais en réalité laisser la presse française en parler à ma place. On va donc jouer à un jeu. Je vais vous montrer ce qui est dit dans le récapitulatif de chaque critique de quatre gros sites français qui seront Jeuxvideo.com, Gamekult, Gameblog et Jeuvideo.fr ; j'ajouterais (par honnêteté tout de même) des passages sur ce qui est critique sur le plan politique ou éthique si cela a été signalé dans le test et ensuite, je vais ajouter quelques précisions sur le contenu politique ou éthique en question.

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Commençons par Ride To Hell : Retribution. Sorti cette année en Juin, le jeu n'a eu aucune publicité et avant même de démarrer, je tiens à dire que je fais une grosse erreur en en parlant car ce titre aurait du rester dans l'anonymat le plus complet. Des quatre sites que j'ai choisi pour ce billet, seuls deux en ont parlé (c'est tant mieux) et voici en substance ce qu'ils en ont dit :

Test de Jeuxvideo.com

 

Test de Jeuxvideo.fr

Comme on peut le voir, le titre est mauvais du début à la fin. Attardons-nous un peu sur le pourquoi ; JV.com nous parle d'un jeu dont toutes les caractéristiques techniques sont navrantes, des mécaniques de jeu à leur application manette en main, en passant par la musique ou l'histoire. De son côté, JV.fr note, en plus de ces considérations techniques, « Vulgaire jusqu'à en être catastrophique ». Quand on plonge un peu plus dans le test, une partie me semble toucher au vrai problème du titre : « Les apparitions féminines fortement siliconées ne servent qu'à ajouter un peu de charme à ce mélange guignolesque : on a donc droit à des scènes de sexe cinématiques où les personnages enchaînent les poses lascives tout habillé. Même le dernier des Joy osait montrer un bout de téton ; on devra ici se contenter du manque de courage de développeurs à l'agonie qui veulent le gras sans le sexe, le buzz et l'argent du buzz. Pathétique et avilissant au possible pour les donzelles, présentées comme des catins faibles qui succombent au moindre excès de testostérone ».

Je féliciterais ici Maxence d'avoir eu le bon goût de signaler le caractère parfaitement avilissant des séquences de sexe de Ride To Hell : Retribution. Pour avoir moi-même essayé le titre, je peux vous assurer que c'est le truc le plus dégueulasse en matière de sexisme que j'ai pu voir, tous jeux vidéos confondus. Parce que ce que n'exprime sans doute pas assez clairement Maxence dans ces quelques lignes, c'est qu'on ne parle pas des boucing effect de Ninja Theory, ou des armures féminines de MMO qui rapetissent au fur et à mesure qu'elles montent en puissance. On ne parle pas de fan service débile. On parle de séquences de sexe où, après avoir tué des mecs dans un des TPS les plus nuls jamais créés, le joueur verra tous les personnages féminins coucher avec le ''héros'', et pour en rajouter une couche à cette débilité déjà bien crasse, dans la même pièce où les cadavre fumants gisent au sol.

Permettez moi alors de revenir sur une autre partie des deux tests : malgré sa promptitude à signaler le côté dégradant de ces séquences, on notera tout de même que Maxence trouve le moyen de d'ajouter que c'est dommage qu'il n'y ait pas de tétons apparents. Ce à quoi, JV.com en la personne de Logan a répondu de manière bien plus beauf et qui se passe de commentaires, je pense : « Car oui, outre la trame principale évoquée un peu plus loin, vous pourrez dénicher quelques missions annexes comme celle où il faut sauver des donzelles en détresse. S'ensuivra alors automatiquement une scène où Jake couchera avec la gourgandine sauf que pour des questions de classification, les belles garderont leurs vêtements durant l'acte. N'espérez donc pas entrapercevoir le moindre téton. Bref, au final, le tout est plus ridicule qu'émoustillant, à l'image de tout le reste du jeu ».

 

 

Splinter Cell : Blacklist est un sujet plus casse gueule à la fois pour moi et pour les critiques que je vais citer. Je tiens à préciser que j'ai essayé le titre dans sa version 360, suffisamment pour voir qu'il semble y avoir une suite solide à Conviction sur le plan du jeu, mais pas assez pour savoir si le pitch est aussi manichéen et dangereux idéologiquement qu'il semble l'être. Bref, voici les récapitulatifs de nos quatre participants sur le titre d'Ubisoft sorti cette année :

 Test de Jeuxvideo.com

 

 Test de Jeuxvideo.fr

 

Test de Gamekult

 

 

Test de Gameblog

 Comme je le dis en introduction pour ce titre, le débat est beaucoup plus complexe. La bataille entre interventionnisme et isolationnisme aux États-Unis est un débat qui a tenu bon depuis que le pays est né. De nombreux experts en politiques internationales, en histoire, en diplomatie auraient des choses très intéressantes à développer sur le sujet. De ce que j'ai vu (et je tiens vraiment à rappeler que je n'ai vu que les premières missions du jeu) Blacklist ne prend aucun gant avec le sujet et met en clair : les terroristes soutiennent le non-interventionnisme (ils veulent que les américains retirent leurs troupes de tous les pays où ils sont stationnés) et comme ils sont terroristes ce sont les méchants. Autant je n'ai rien à dire sur la seconde partie de la phrase ; pas besoin d'avoir un doctorat en sciences politiques ou en philosophie pour comprendre qu'utiliser la terreur pour imposer une idée, c'est vraiment faire n'importe quoi. En revanche, je reste estomaqué par le fait que le jeu ne remette pas en cause le caractère potentiellement (c'est ouvert à débat) ''juste'' de leur cause. La série a toujours été coutumière du fait d'opposer aux États-Unis des nations d'Asie, d'Amérique du Sud ou des Balkans (voire Ex-URSS qui s'ignore). Sans ressortir les éternelles épouvantails (ou alors sous une autre forme) on a eu des scénarios qui portaient à débat mais qui restaient à mon sens assez équilibrés.

Je ne donnerais pas d'avis personnel et définitif sur celui de Blacklist, mais je trouve que le pitch a de quoi faire grincer des dents tant les quarante dernières années des États-Unis peuvent se montrer riches en exemples d'interventions ratées ou camouflées sous diverses formes. Mon idée n'est pas de faire un cours d'anti-américanisme, mais simplement de montrer que la question est complexe quand une œuvre de fiction s'y attaque. Le dernier film de Katheryn Biguelow, Zero Dark Thirty a soulevé pas mal de débat sur son traitement de l'intervention qui a mené à la mort d'Ousama Ben Laden, par exemple. De même Ben Affleck a eu à subir des critiques sur la façon dont l'Iran est représentée dans Argo. Qu'on soit pour ou contre la façon dont cela est traité, ou qu'on aime le film ou pas, ça m'est égal ; ce qui est important, c'est que c'est une part entière de la critique du film.

Trente secondes de recherches et vous tombez sur l'état actuel de la présence militaire américaine dans le Monde. De quoi au moins entamer un début de réflexion sur le jeu et la légèreté ou le je-m'en-foutisme avec lequel il aborde le sujet.

Pourtant, dans tous les récapitulatifs, c'est un sujet complètement survolé. Au mieux parle-t-on de l'histoire pour nous dire qu'elle est chichement narrée. Pour avoir lu les tests complets, on en apprend pas plus, voire on ne se pose pas la question. Mimic nous dit par exemple : « En possession de la Blacklist (liste des activités secrètes et des agents US infiltrés à l'étranger) des fous furieux, se faisant appeler Les Ingénieurs, réclament le retrait des troupes de l'Oncle Sam postées dans le monde, "sans quoi il va y avoir des morts". Alors même si je suis fan de ce genre d'atmosphères tendues, inutile de vous dire que c'est du déjà vu et que malgré les efforts palpables de Ubisoft Toronto pour proposer une narration convaincante, notamment au sein de l'équipe qui entoure Sam, aucun rebondissement ne vous fera chuter de votre canapé ». C'est le seul moment où l'on évoque le sujet dans le test. JV.com et Gamekult ne font guère mieux et le sujet est systématiquement ramené à une courte phrase de synopsis et à une note sur le fait que la narration n'est pas terrible.

Encore une fois, c'est JV.fr qui va se démarquer avec la phrase suivante : « Fiction politico-militariste usée jusqu'à la corde, l'histoire de Blacklist ne fait qu'effleurer un sujet moralement complexe, et restera campé dans sa bêtise : aux implications humaines du conflit Amérique vs. "bad guys" - dont les revendications sont totalement caricaturales - , le récit préfère les petits enjeux superficiels de série B ». La note ne s'en ressent pas et à la rigueur le débat n'est même pas là pour ce billet, mais au moins le sujet est entrouvert ne serait-ce que brièvement.

 

 

Là on touche au vrai cas, problématique par excellence. Le premier jeu était mauvais, mais à un point tel qu'il avait peu de chance que l'on puisse tomber dessus ; le fait qu'il soit d'une débilité sans nom et d'un machisme qui dépasse l'entendement ne faisait qu'enfoncer le clou si l'on peut dire. Splinter Cell Blacklist en revanche est le cas typique du jeu qui flirte avec un sujet à débat mais s'arrange pour être suffisamment bon techniquement pour que tout le monde se foute de savoir s'il le fait bien ; comme 95% des shooters sortis sur cette génération. Oui à l'époque PS2, les shooters étaient moins dans le moderne et plus dans l'historique ou le fantaisiste, avec des approches plus documentaires et moins Fox News. Call of Juarez : The Cartel en revanche, c'est de la merde idéologique qui n'aurait jamais du sortir mais on passe complètement à côté de ça, parce que personne n'y fait attention. Voici les récapitulatifs sur le titre :

Test de Jeuxvideo.com

 

Test de Jeuxvideo.fr

 

Test de Gamekult

 

Test de Gameblog

Encore une fois, rien ne semble avoir particulièrement choqué les différents testeurs sur le plan narratif, si ce n'est le fait que c'est stéréotypé et plutôt raté. Maintenant, si je vous dis que le jeu fait passer les latinos et les noirs pour des voleurs de femmes ? Intrigant, n'est-ce pas ? La totalité des ennemis du jeu sont de ces deux ''minorité ethniques'' ; je le sais pour avoir joué au jeu en coopération. Le jeu se passe à la frontière avec le Mexique...soit (encore que). Là où ça devient de la propagande extrêmement dangereuse, c'est quand il est affirmé, dans le cadre certes d'une fiction mais qui prend pour base une guerre (oui quand on a 60000 décès officiels et 100000 officieusement à cause d'un conflit entre forces armées policières et trafiquants de drogue, on parle de guerre) qui se déroule toujours actuellement, que les Mexicains viennent aux États-Unis pour voler des femmes et les revendre au Mexique dans le cadre d'un réseau de prostitution. Je passerais rapidement sur la débilité absolue de cette idée, qui est l'objet d'une mission de libération ; c'est aussi con que de dire qu'en Europe on vient kidnapper des femmes en France ou en Angleterre pour les revendre dans un réseau de prostitution des pays de l'Est. Ça n'a strictement aucun sens ! Mais bref...

Le fait est que cette contre-vérité est un outil narratif dans le jeu pour stimuler le joueur à abattre des dizaines de mexicains et de noirs. Au passage, ça contribue à créer une confusion et un amalgame parfaitement dégueulasse et raciste qui consiste à montrer ces deux ''minorités ethniques'' comme un poison pour les États-Unis qu'on vient purger à la source. Il y a d'ailleurs un truc que je n'ai pas tilté à propos du jeu avant de voir un épisode de Extra Credit à son sujet récemment ; c'est que l'un des succès du jeu nous récompense pour avoir abattu un certain nombre d'ennemis (succès que je n'ai pas débloqué lors de ma partie, puisque apparemment il est buggué) ; il se trouve que, comme par hasard, il s'agit du seul niveau de tout le jeu à n'avoir que des noirs comme adversaires. Transcrit de but en blanc : on vous donne un succès pour avoir abattu x noirs dans un niveau.

 

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Je ne sais pas ce qui me m'effraie le plus : de penser que les sujets que j'évoque ici n'ait été ne serait-ce qu'abordé brièvement, par une pauvre phrase dans le texte, parce que les testeurs ne les ont même pas vu, ou qu'ils n'en parlent pas parce qu'ils s'en moquent et que ça n'a actuellement aucune place dans un ''test'' de jeu vidéo. Putain de merde, on parle d'un jeu qui aborde un sujet très complexe politiquement sans aucun tact et aucune volonté d'en faire quelque chose et de deux autres titres qui sont au-delà de la connerie et carrément dans la haine raciale ou le sexisme de très bas étage ! Et tout ce que les testeurs trouvent à dire, c'est que c'est mal raconté ou que c'est pas assez graveleux. Mais sortez-vous la tête du cul bon sang !!! Vous êtes censé être la première ligne de défense. Tout le monde n'est pas équipé pour capter ce que j'ai mis ici en avant au premier run, mais c'est aussi pour ça que vous êtes là, pour vous assurer que ça ne passe pas comme une putain de lettre pleine d'anthrax à la poste. Et là j'accuse les journalistes de jeu vidéo, mais soyons clair, les joueurs aussi vont devoir se mettre un coup de pied au cul assez vite et revoir à la hausse leur préoccupations dans des jeux comme les shooters modernes qui ne prennent pas une seconde de réflexion pour délivrer un propos qui ne soit pas raciste, sexiste ou propagandiste avant même d'être incohérent et con. Pfffffiou...je vais en rester là pour ce billet, avant de devenir encore moins châtié, en rappelant encore une fois que ÇA N'EST PAS QUE DU JEU VIDÉO.