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Peut-on juger un jeu sans y avoir jouer ? Encore une question philosophico-politico-socialo-maçonnique à laquelle je vais répondre « oui » sinon il n'y aurait pas de billet et que j'ai envie que vous cliquiez bande de roudoudous. Évidemment, le jeu à critiquer sans y avoir jouer, c'est Beyond : Two Souls. Comme Heavy Rain auparavant, le jeu catalyse une haine automatique qui bien souvent me semble tenir plus d'une désapprobation de la façon dont fonctionne le jeu (en terme de mécanique et de commerce) que d'une réelle critique de ce que le jeu propose de manière effective au niveau du jeu et de l'histoire. Vous le savez d'ores et déjà, je n'ai que peu voire pas apprécié Heavy Rain, la faute à une exécution maladroite ou aussi (et ça c'est purement l'impression que j'en ai) d'une certaine arrogance que je n'avais pas ressenti dans Omikron : The Nomad Soul ou Fahrenheit. L'arrogance de vouloir faire un grand thriller avec les qualités d'un scénariste de comptoir bourré et lycanthrope un soir de pleine Lune. Aujourd'hui, je vais vous dire ce que je pense de Beyond : Two Souls sans y avoir joué, mais en l'ayant vu de bout en bout, manipulé par mon excellent ami Nemesis. Évidemment le billet complet est sujet aux SPOILERS. Par conséquent, je vous conseille vivement de vous écarter de sa lecture si vous êtes haineux déjà (on ne le rappelle jamais assez) ou si vous n'avez pas du tout expérimenté le scénario d'une manière ou d'une autre.

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Je me garderais de juger l'aspect ludique de la chose puisque je ne sais pas ce qui se passe quand on a la manette en main. En revanche, il me semble qu'il est temps de lever un loup : Beyond est l'une des plus sombres séries B voire Z que j'ai vu de ma vie de joueur, pourtant pavée de titres à l'univers et à l'histoire prétexte aux mécaniques de jeu. Cependant, pour être complètement honnête, je dois donner les conditions précises dans lesquelles j'ai vécu l'observation de ce scénario. C'était sur un stream continu du titre sur la chaîne Twitch de Nemesis donc. Nemesis à la voix pouvait nous parler à nous spectateur et en réponse, nous pouvions échanger sur un chat écrit que notre hôte pouvait lire également. Il y avait donc déjà clairement interaction entre ce que nous racontions et ce que faisait Nemesis. Tout cela pour dire que l'ampleur du désastre comique est tout de même à relativiser quelque peu par l'aspect salle de cinéma ou soirée pizza/nanar entre potes.

Beyond : Two Souls est à mon humble avis un jeu au scénario prétexte. À la marge d'une tendance globale pour les autres jeux à grosse valeur de production, qui mettra avant tout une histoire bidon pour faire jouer le joueur, l'histoire de Beyond est prétexte à émouvoir. Le jeu fonctionne de cette manière là : on voit une bonne partie de la vie du personnage de Jodie Holmes, de son enfance à ses 25 ans environ (corrigez-moi si je dis une bêtise). Le tout est arrangé de manière à ce que l'on passe d'une séquence à une autre, chaque séquence n'ayant potentiellement aucun rapport avec la précédente. Le tout offre des rappels à un arc narratif global avec des personnages récurrents et est arrangé dans un désordre qui n'a aucun sens (je vais y revenir). Quand je dis que c'est un scénario prétexte à émouvoir, c'est parce que la plupart, si ce n'est la totalité des séquences ne sont là que pour couvrir un thème qui amène la tragédie ou le désespoir, bref ce qui fait pleurer au cinéma. Je cite le cinéma non pas pour parler de ce que certains considère comme une absence de gameplay, ce que je trouve assez injuste quand on parle des productions Quantic Dream (il y a du gameplay, qu'on l'apprécie ou non) mais parce que le jeu utilise les mêmes artifices.

L'un des gros problèmes de Beyond, c'est de ne nous faire jouer que les moments qui foirent dans la vie de Jodie. Pas une séquence ne finit sans des pleures ou des explosions, le tout avec force de musique grandiloquente. Aucune subtilité et surtout pas moyen de la voire heureuse.

J'ai du mal à voir dans Beyond un tout cohérent. Aucune séquence ne me semble mener à la suivante et c'est bien plus flagrant quand le jeu est suivi de manière chronologique. Une enfant qui communique avec l'au-delà, une scène de guerre avec un enfant soldat, une vie de SDF qui en plus se font casser la gueule par les pires connards qu'on puisse imaginer, un voyage initiatique dans le Nevada, des chinois, un tentative de viol...c'est comme si on avait choisi tous les sujets potentiellement émouvant pour les mettre dans un seul titre, quand bien même il n'y avait aucun moyen de les mettre ensemble.

La chose qui m'a particulièrement choquée est la séquence dans un pays inventé des balkans (ou d'Afrique noire) où Jodie est censée être soldat envoyée par la CIA toute seule pour accomplir une mission périlleuse dont seuls elle et Aiden peuvent se dépétrer. Alors qu'elle progresse vers un objectif en faisant beaucoup de bruit (mais passons, c'est à la marge du problème) elle tombe nez à nez avec un gamin qui a pris une balle dans la jambe. En plus de cela, ce dernier tient une kalachnikov qu'il pointe vers Jodie en criant de douleur. Cette dernière qui ne parle pas la langue locale (pour une agent de la CIA, ça la fout un peu mal) parvient tout de même à lui faire baisser son arme et Aiden, qui a des pouvoirs de guérison, fait son office pour le jeune garçon puisse de nouveau marcher. Dans la suite de la séquence, Jodie parvient jusqu'à son objectif qui consiste à abattre et à prendre en photo un chef de groupe armé. La cible meurt après que Jodie ait demandé à Aiden de le forcer à tuer tous ses collègues de travail (si l'on peut dire). S'en allant vérifier le corps, elle se retrouve de nouveau avec l'enfant soldat de tantôt, celui-ci pleurant à chaudes larmes la mort de son père...le chef de guerre que Jodie était venu tuer.

Seul enfant soldat d'Afrique (en tout cas, on en voit pas d'autre) il se prend un balle dans la jambe et voit son père mourir de la main de l'héroïne...la scoumoune.

Premièrement, quelles étaient les chances que cet enfant précis, seul enfant soldat que l'on voit pendant toute la séquence (on en croisera AUCUN autre et il n'est jamais fait allusion à d'autres gamins militaires) soit le gosse de ce personnage qui n'est en plus pas à côté de l'endroit où Jodie rencontre l'enfant ? Aucune. Aucune chance. C'est de la coïncidence divine. Le truc, c'est que le problème n'est pas là. Le problème n'est pas la probabilité de la séquence, mais sa vraisemblance. L'un de mes films préférés, dans mon Top 10 depuis que je l'ai vu pour la première fois il y a dix ans environ, c'est The Shawshank Redemption (Les Évadés) avec Tim Robbins et Morgan Freeman. Dans ce film, Tim Robbins est envoyé en taule pour le meurtre de sa femme qu'il jure n'avoir pas commis. Vers la moitié du film, on apprend par un de ses camarades de taule que ce dernier a parlé au vrai tueur de sa femme dans une autre prison d'où il a été transféré. La probabilité que cela arrive tient également du miracle, mais ça n'a pas d'importance parce que le film ne se repose pas là-dessus. Les séquences venant faire intervenir ce twist ne sont pas là pour que l'on s'apitoie sur le sort du personnage, mais pour convaincre le spectateur de son innocence, s'il ne l'était pas déjà.

Le souci que j'ai avec cette séquence de Beyond, c'est qu'elle n'est là que dans le but d'émouvoir et pas de raconter une histoire intéressante. Une histoire intéressante ne passe pas sans cesse par des improbabilités pour amener quelque chose. Quelles étaient les chances que Jodie arrivent dans un groupe de SDF où l'une des femmes est enceinte, l'un des mecs est camé jusqu'à la moelle et le dernier de la bande se fait tabasser par une bande de connard ? Quelle était la chance que ces jeunes en question soient suffisamment cruels pour mettre le feu à l'entrepôt leur servant de squatte ? Je ne donne ici que quelques exemples, mais le jeu est perclus de retournement de ce genre qui n'ont d'autres buts que d'émouvoir en suivant des chemins faciles mais d'une grossièreté dingue, avec large utilisation de larmes et de violons.

Le début de la séquence est vraiment réussi, mais rapidement ça part en eau de boudin. Même à dix à vanner sur le chat, j'ai trouvé à poignant; j'imagine que seul devant son écran, ça doit marcher. Problème, le reste de la séquence est une catastrophe de surenchère débile.

La question sous-jacente que j'ai envie de soulever, c'est la sincérité de l'auteur. La plupart des scènes de Beyond n'ont d'autre but à atteindre que l'émotion et utilise de la surenchère de bas étage. Soit on a affaire à un très mauvais scénariste, soit on a affaire à quelqu'un qui choisi sciemment la voie de la facilité en utilisant des ficelles énormes volontairement. Si je reprends l'exemple de la séquence où Jodie est SDF, le jeu aurait pu se contenter de nous la montrer ou de la faire jouer en train de faire la manche, en obligeant le joueur à faire une action quelconque (QTE pourquoi pas) pour quelle se réchauffe, voyant passer inexorablement les gens qui s'en foutent, les vous et moi du quotidien. Et ça y est aussi d'ailleurs ce moment. Mais ça ne dure qu'une minute ou deux et rapidement, la séquence est noyée sous un flot de bagarre, d'incendies et d'accouchement. Pourquoi saborder la séquence qui était poignante, même en étant à dix à se gausser sur un chat du stream, avec autant de bordel qui n'a rien à faire là et qui ne fait que mettre en exergue le goût de David Cage, pour le nommer (c'est quand même lui le scénariste après tout) pour les clichés cinématographiques ?

Car oui, si vous n'avez pas aimé Heavy Rain en raison des incohérences et des stéréotypes gros comme des quinze tonnes que le jeu usaient parfois jusqu'à la corde, je pense que vous le réévaluerez à la hausse compte tenu du traitement tout en surface que fait Quantic Dream de chacun des thèmes qu'il touche. Je pense d'ailleurs que c'est là qu'est mon plus gros problème avec Heavy Rain puis Beyond. Outre le fourre-tout qu'est le scénario qui n'a qu'une visée, faire pleurer, au lieu de chercher à écrire une bonne histoire et se préoccuper après de savoir si elle émeut quelqu'un, mon problème c'est que Quantic Dream est très laxiste sur la profondeur de ce qu'il met à l'écran. Quand on joue à un jeu Quantic Dream, on sent parfaitement que personne chez eux (ou alors aucun décisionnaire en tout cas) ne sait comment la police mène une enquête ou intervient dans une situation de poursuite. On sent qu'on ne connaît rien à la science, au fonctionnement d'une cellule comme la CIA ou le FBI, à la vie des indiens d'Amérique. Tout est fait sans recherche profonde, simplement pour le spectacle esthétique et en conséquence, en tout cas à mes yeux, ça sonne tout simplement faux. C'est pour ça que les stéréotypes d'une grossièreté sans nom sur les navajos mysthiques ou les chinois communistes de James Bond des années 80 ne me paraissent même pas être réellement racistes ; je pense que c'est simplement de l'ignorance.

"Z'adore les vermicelles, le soza, la sauce n'aig'douce. Hum, c'est un délice..."

Il me semble que c'est David Cronenberg qui disait que si l'on veut filmer quelque chose, il faut devenir expert dans cette chose, en connaître autant que les professionnelles. Hideo Kojima l'a bien compris. Quand il fait MGS2 et que Snake parle avec Otacon du débarquement des soldats russes sur le tanker, on sent que Kojima en a sous le pied pour nous expliquer pourquoi les militaires bougent comme ça, pourquoi ils pointent leurs armes différemment des marines etc. Le niveau de détail est tel qu'on ne s'en préoccupe pas. Dans Beyond, c'est l'inverse. La CIA (ou DPA) sont dépeintes comme des organisations secrètes tellement génériques et tirées des pires romans d'espionnages qu'au lieu de s'intéresser à ce que raconte l'histoire, on se fait des remarques du genre : « On dirait le QG des Avengers...pourquoi il y a autant de lens-flare ? ». Plus grave encore, le scénariste n'a clairement aucune idée de comment marchent les règles qu'il invente. Aiden, d'une séquence à une autre, agit ou n'agit pas sans qu'on sache pourquoi. Parfois on nous dit qu'il est trop loin alors que la séquence d'avant il se balade à des bornes. Parfois on nous dit qu'il est trop faible. Parfois il peut étrangler des gens, parfois en prendre possession. Le tout n'a aucune explication valable. Ne pas connaître les dessous de la CIA, soit. Ne pas connaître les règles qu'on a inventé soi-même, ça craint.

Aiden est la grande énigme du jeu. Pas vraiment parce qu'on veut savoir qui il est et pourquoi il est là, mais surtout parce qu'on ne comprend jamais pourquoi il n'agit pas à tel moment, et qu'à tel autre il décide de faire quelque chose de son propre gré. Les règles ne veulent rien dire. Et là je vous épargne une dissertation sur "l'inframonde". La drogue.

Maintenant, voilà ce qu'il en est pour moi ; Beyond : Two Souls est un jeu écrit n'importe comment qui serait dans les grandes largeurs un vaste sujet de plaisanterie parmi les réalisateurs de séries télévisées ou de films pour l'ensemble des clichés et improbabilités constantes sur lesquels il se repose. Il veut ratisser trop large, toucher trop de sujets en essayant jamais d'en maîtriser au moins un. La guerre c'est pas bien, en Afrique des enfants sont soldats. La pauvreté c'est nul, dans la rue des gens peuvent mourir tabassés ou dans des incendies à cause l'insalubrité. L'exploitation des enfants atteint d'autisme c'est nul. La mort c'est pas cool. Le résultat est à mon sens sans appel, le jeu est juste mauvais et seules une ou deux séquences parviennent, par pure chance, à avoir l'effet escompté parce qu'elle touche au bon endroit sans en faire des caisses. C'est comme si Quantic Dream faisait de l'escrime avec une épée bâtarde de cinq kilos. Ça ne touche pratiquement jamais, mais si ça touche une fois, on voit que ça marche, que c'est une voie viable. Tellement viable que d'autres jeux en suivant les mêmes envies ont déjà fait bien mieux (The Walking Dead par Telltale ou Gone Home pour ne citer que ces deux là). Malgré tout, il y a un beau revers à cette sombre médaille que je vous ai dépeint jusqu'ici.

Contrairement à Heavy Rain qui m'avait énormément déçu, Beyond explose tellement dans tous les sens qu'il m'est hautement sympathique. Beyond : Two Souls, c'est le Batman&Robin du jeu vidéo. C'est un jeu qui accumule tellement de moments complètement surréalistes, de séquences qui n'ont aucun sens ou qui sont tellement dans les clichés et les invraisemblances que ça en est hilarant. C'est une sorte de créateur de memes instantanés. À la fois grâce aux dialogues étrangement écrits avec des répliques sorties de nul part (« -J'ai trop froid... -Ouais. ») et aux actions qui reprennent des séquences de films pour en faire à peu près rien, comme cette tempête de sable tirée de La Momie (le film d'action avec Brendan Fraser) ou cette séquence de pipi dans la neige par moins 40°C qui rappelle que Ellen Page avant d'être dans Beyond était dans Inception. Surtout, c'est là le plus important dans les films qui sont réellement des nanars de très haute volée, le jeu ne se départi jamais de son ton grave et sérieux, ce premier degré qui me semble porter à la hauteur des meilleurs mauvais films sympathiques que j'ai pu voir.

 

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Pour résumer tout cela, je dirais qu'il commence à suffire de dédouaner Quantic Dream de son devoir de bien écrire. On ne développe pas un jeu basé sur une histoire si on est incapable d'en écrire une bonne. Un jeu est un tout et si quasiment le tout est misé sur un cheminement initiatique, je pense être en droit d'attendre que cela soit bien construit et réfléchi. Beyond : Two Souls, comme Heavy Rain avant lui, manque de discipline tout simplement. Contrairement à beaucoup, je n'attaquerais pas spécialement Fahrenheit ou Heavy Rain sur la prise en main (encore que si l'idée est bonne dans les faits il y a des gros soucis) et je ne dirais rien sur Beyond parce que je ne l'ai pas pris en main. En revanche, sans même être le plus gros cinéphile ou littéraire qui existe, j'ai suffisamment vu et lu pour ne pas pouvoir m'empêcher de rire à gorge déployée dans plus de 50% des séquences de Beyond parce qu'il y a toujours un truc étrange à l'écran. La contrepartie de ce qui est, à mon humble avis, un échec cuisant, c'est que le jeu est un nanar mais de très haute volée. À peu près aussi drôle que les gros plans sur le cul de George Cloney dans le costume du Caped Crusader, la séquence de torture avec un chinois doublé par les Inconnus de Beyond n'est qu'un des moments croustillants du titre que j'achèterais un jour pour son caractère culte (et que je ferais donc en VF comme tout nanar). En fait Beyond : Two Souls, c'est l'inverse Deadly Premonition. Le premier à des ambitions hollywoodienne, des moyens techniques de très grand standing (le jeu est SPLENDIDE mais genre vraiment) des grands acteurs officiellement au casting mais une histoire tellement bidonesque et compilation de déjà-vu que Moonraker à côté c'est du Shakespeare. Le second est dégueulasse visuellement, injouable, fait du plagiat évident de Twin Peaks et copie-colle le visage de Naomie Watts sans vergogne, mais le fait avec un tel flegme et un tel sens du dosage entre premier et second degré qu'à l'arrivée, il est magistral. Du coup, achetez quand même Beyond : Two Souls, vous rigolerez bien entre amis et en solo, une ou deux séquences feront leur office...mais par pitié n'encouragez pas notre Joel Schumacher vidéoludique à continuer dans cette direction scénaristique.

Pour d'autres avis que le mien sur Beyond: Two Souls, je vous renvoie à l'article de Noiraude actuellement en Home ou à celui de Nemesis. Je vous conseille d'ailleurs fortement de mettre le nouveau blog de Nem dans vos favoris, histoire de ne pas louper sa plume.