J'avais envie d'écrire un truc intelligent, fin et drôle sur Phil Fish. J'avais envie de faire une réflexion globale, de montrer que c'était symptomatique de quelque chose. Mais là je peine, parce qu'il n'y a pas de réponse facile concernant ce qui est arrivé au développeur de Fez et parce que je n'ai pas d'avis tranché sur la question. Donc je vous propose un gloubiboulga qui va revenir sur pleins de points qui m'interpellent dans cette histoire.

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Initialement, je voulais vous parler de la liberté d'expression qui a ses limites. J'avais commencé un premier texte que j'introduisais en parlant d'une commande sur priceminister moyennement satisfaisante ; au moment de noter le vendeur, je m'étais rendu compte que lorsque l'on note en dessous de 4/5 on est obligé de dire pourquoi on n'est pas satisfait. Je voulais mettre ça en parallèle avec Phil Fish et son « It sucks » concernant le jeu vidéo japonais moderne ; un extrémisme dans le propos qui lui a valu des quolibets constants pendant des semaines, quolibets qu'il aurait évité s'il avait été extrémiste dans l'autre sens. Personne ne se serait emparé de ses propos s'il avait dit : « It's the Best thing EVA PERIOD OF ALL TIME ». Une sorte de deux poids deux mesures. Mais ma réflexion ne m'a pas mené loin puisque dans l'ensemble, je ne suis pas de ceux qui apprécie cette façon de faire, d'y aller comme le pire des provocateurs en s'expliquant après avoir lâché une bombe.

Donc j'ai commencé à écrire un second billet où je parlais des magazines people qu'il m'arrivait de lire en Normandie pendant mes vacances d'Été chez mes cousins, quand la télévision était accaparé par la gent féminine en présence pour regarder Les Frères Scott (j'aime) ou Plus Belle la Vie (j'a...non je déconne). J'expliquais que c'est au cours d'une de ces lectures débilisantes et racoleuses à souhait que j'apprenais que Mel Gibson, le grand Martin Riggs de la tétralogie L'Arme Fatale ou l'excellent Mad Max dans la trilogie éponyme n'était en fait qu'un sombre connard alcoolique qui battait sa femme, la menaçait de mort depuis leur séparation et qu'il pouvait se targuer d'être un gros antisémite sous l'emprise d'un bon whisky. Ainsi, j'aurai expliqué que depuis cette malencontreuse lecture, je ne m'intéresse pas à la vie personnelle, ou plus généralement à la personnalité des artistes dont j'aime le travail, sous peine de me gâcher le dit travail. Cela m'aurait permis de dire qu'il est compliqué de faire la part des choses entre Fez et le comportement de son créateur, même quand ça n'est pas fondamentalement lié.

Du coup, je me retrouve là, sur cette page à divaguer. Je lis les avis sur différents sites francophones et globalement on parle de Fish. En revanche, sur les sites américains, on n'oublie pas deux autre larrons qui passent sous les balles : Jonathan Blow d'abord, souvent compagnon de mésaventure de Fish dans les coups durs. Lorsque l'on lit ses propres sorties, il n'y a pas de réelle opposition aux propos de Fish, si ce n'est que Blow fait un meilleur job (LAUL) côté communication en gardant des propos si ce n'est plus mesurés, au moins plus courtois. Ce qui au passage me fait dire que ce qu'on reproche, à juste titre, à Phil Fish ça n'est pas sa liberté d'expression mais bien sa façon de s'en servir.

 

L'autre larron, le troisième qui est légèrement omis de l'équation en France, quand on parle de l'histoire déjà (sauf sur JV.com) c'est Marcus Beer un chroniqueur de Gametrailers. Pour faire simple, l'homme s'est simplement lâché en parlant de Phil Fish et Jonathan Blow. Les considérant comme un duo sous le nom de blowfish (un poisson venimeux de la famille du fameux fugu) il a mis en avant ce qu'il considérait comme un manque de reconnaissance envers à la fois Microsoft, premier éditeur de leurs jeux à succès, et envers la presse vidéoludique. Je passerais sur les insultes pour en venir directement au problème : rien n'oblige personne à parler de sa création et à donner son avis sur tout et n'importe quoi. L'idée de Marcus Beer est de dire que le journalisme et la création ont un lien. Le créateur fait le jeu et profite de la promotion médiatique lorsqu'il en parle ; en échange le journaliste à le droit de venir lui poser des questions quand un événement se produit et le concerne potentiellement. Ici, nous avons toutes les traces de l'orgueil très mal placé. Le créateur ne doit rien à personne, ni aux journalistes, ni aux joueurs. C'est précisément ça que devrait défendre toute personne qui aime la création en général et le jeu vidéo en particulier. Bioware fait une fin peu satisfaisante à Mass Effect 3 pour la plupart des joueurs ? C'est triste mais c'est comme ça. Ça a été écrit par quelqu'un et ça doit être respecté, dans la mesure où ça n'est pas insultant pour qui que soit bien sûr. Libre à n'importe qui de critiquer cette fin, ou les choix artistiques ou de gameplay, ce que je ne manque pas de faire moi-même régulièrement. En revanche demander expressément une autre fin, non. 

Cette histoire qui finit par la sortie du monde vidéoludique d'un de ses créateurs indépendants, c'est du même tonneau. Il n'y a pas ou ne devrait pas avoir lien, ni complice, ni traître entre la presse et la création ou entre les joueurs et la création. Je n'apprécie pas du tout l'attitude globale de Phil Fish. Je n'ai rien contre le fond de ses déclarations, mais la manière de faire ne me semble pas la bonne. Pour autant, être littéralement insulté, de manière précise sur sa personne (lui-même lance des insultes mais c'est souvent plus généralisé) par un journaliste dans le cas présent, censé rester relativement neutre, et surtout par des milliers de joueurs, je trouve ça inadmissible. On exige rien de personne. Je trouve simplement scandaleux que personne ne trouve ça scandaleux.

Aussi vide de sens que l'on puisse trouver la fin de Mass Effect 3, rien n'aurait du obliger Bioware à la changer ou à l'expliciter si ça n'était pas prévu dans la création du titre initialement. Les joueurs ont parlé pour les développeurs, mais les joueurs ont parlé comme des consommateurs de ce qui devrait être considéré comme une oeuvre et pas comme un produit.

Dernier point sur lequel j'aimerais revenir. Il l'a affirmé lui-même par un tweet mais on aurait pu s'en douter ; malgré sa bipolarité supposée (je n'y crois pas trop mais soit) ça n'est pas à cause de cet incident en particulier qu'il a annulé Fez II ou qu'il a décidé de quitter le milieu du jeu vidéo. Je reste persuadé (et j'espère) qu'il reviendra sur sa décision mais en attendant, c'est bien pour le climat général qui l'entourait lui, et le milieu du jeu vidéo avec, qu'il arrête et non juste à cause de cet incident. Certains ne pourront s'empêcher de dire que l'on récolte ce que l'on sème et que ses diverses sorties sur Twitter lui auront finalement explosé à la figure. Je leur jetterais difficilement la pierre, étant moi même un apôtre du karma ; soit bon, un jour ça te retombera en bien dessus. En attendant, je ne peux m'empêcher de penser que ça n'a rien de très étonnant.

À y regarder largement, j'en reviens toujours à la même chose : il y a un vrai problème dans la manière dont est traité la création dans le jeu vidéo. Que Phil Fish agisse comme un connard, je pense que l'on sera tous plutôt d'accord sur le sujet ; c'est dommage et ça nuit à l'image de son jeu. Certains arriveront à séparer l'homme et son jeu, d'autres non, soit. En revanche, qu'un journaliste se permette de dire que lui ou un autre créateur, qui au passage n'avait rien demandé, doivent à leur éditeur et au journalisme vidéoludique leur succès, ça n'est pas tolérable. Le jeu est bon parce que le développeur le développe tel qu'il est, dans la mesure de ce qu'il lui est possible de faire en terme financier et technique. Fez est un excellent jeu parce que Phil Fish a mis 5 ans à le faire avec une idée de game design en tête et certainement pas parce que Microsoft ou la presse ont décidé que de le mettre en avant. Ce que fait Marcus Beer ici, c'est mettre la charrue avant les bœufs. On peut bien sûr féliciter Microsoft au moment T de son investissement d'avoir eu le nez creux et d'avoir soutenu Fish. Je pense que ce dernier est loin d'être l'ingrat pour lequel on le fait passer. En revanche, sous-entendre qu'un développeur, quel qu'il puisse être, doit allégeance et loyauté à un éditeur qui a publié son jeu précédent, c'est simplement de la connerie. Tri-Ace a fini par quitter Squarenix parce qu'ils n'étaient pas satisfaits des exigences de cet éditeur après Infinite Undiscovery et Star Ocean 4 (ces deux catastrophes). De même pour les membres d'Infinity Ward ou d'Harmonix avec Activision (ceci étant dit ils ont quitté la peste pour aller au choléra en allant chez EA).

 

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Arrêtons dès à présent de croire qu'un développeur doit sa réussite à quelqu'un d'autre que lui. Bien sûr qu'on ne peut nier la nécessité d'un appui financier. Bien sûr qu'on ne peut nier le souci voire la nécessité de plaire à un public. Mais ce n'est pas parce qu'un éditeur, des journalistes ou des joueurs rendent service à un développeur, le mettent en avant pour un de ses titres que celui-ci a une dette à vie envers eux. Le jeu vidéo n'est pas une MAFIA !