Cet article a été écrit par BlackLabel qui lors d'un rite païen faisant appel à de l'ensorcellement par MP (et tout un délire avec des têtes de poulets coupées) a décidé de me faire réviser mon jugement sur Hitman Absolution. Ceci n'est donc qu'en infime partie le produit de ma propre réflexion...rendons à Blackounet ce qui est à Blackounet.

La licence Hitman a longtemps été une série de jeux au concept prometteur mais aux opus médiocres, la qualité ne cessant de décliner jusqu'à l'épisode de la honte, à savoir Blood Money, dans lequel on était lâché sans indication, ni sans savoir vraiment comment atteindre l'objectif. C'est probablement pour cette raison qu'IO Interactive a voulu repartir à zéro, sur de nouvelles bases, et même, disons-le sans détour, dans un jeu bien plus maîtrisé sur sa structure. Alors qu'il a pu être décrié par des joueurs pensant voir des failles de gameplay, il apparaît aujourd'hui clair que tout a été calibré à la perfection, de l'univers aux mécaniques.

 Un scénario subversif.

Le détachement de la licence d'avec le Christianisme est enfin opéré.

Fini le cliché du tueur froid et méthodique. Absolution donne enfin une dimension humaine à son personnage en le poussant dans ses derniers retranchements. L'entreprise avait déjà été tenté lors du second opus mais avait été tuée dans l'œuf par les références chrétiennes hors de propos ; si on comprend le rapprochement voulu à l'époque par IO Interactive entre les activités occultes du Saint Siège au Moyen-Âge et les particularités meurtrières de Code 47, il n'est nul besoin de rappeler que c'était avant tout l'anachronisme qui ressortait de cette première tentative. Au départ d'Absolution en revanche, les patrons de l'Agence demandent à 47 de tuer son ancien contact, à savoir Diana Burwood, dans ce qui servira de tutoriel. Pour la première fois, l'Agent 47 va rater sa cible, la blessant plutôt que de l'abattre efficacement. Premier signe que 47 a passé la ligne derrière laquelle il y a un cœur qui bat.

Agonisante, Diana lui demande alors de sauver une jeune fille, Victoria. Et 47 accepte. Lui qui vient juste de tirer sur sa seule amie pour le profit de ses patrons, change d'idée, pour se mettre l'agence à dos. Quelque chose se brise en lui. Premier signe de subversion ; oui, malgré ce que peuvent en dire les bien-pensants, les tueurs à gages aussi ont une âme, et IO Interactive n'a pas peur de le dire. À ce titre, on notera les jeux de miroirs qui usent du cross-media pour exister. Quand Hitman Silent Assassin suggérait l'humanité de l'Agent 47 en usant un peu grossièrement de la ficelle religieuse (qui sera réemployée avec le Ave Maria de Franz Schubert en ouverture de Blood Money), la réalisation cinématographique de Xavier Gens prenait le parti nettement plus courageux, mais à la fois cohérent, de poser Code 47 face à l'amour non pas de Dieu, mais de la femme. En faisant ce chemin plus avant, l'adaptation a permis un échange inverse du cinéma vers le jeu vidéo amenant enfin le 47 originel sur la voie de l'être humain qu'il a finalement toujours cherché à être.

Mais le jeu ira plus loin. En ces périodes où les affaires de pédophilie reliées à l'Église sortent au grand jour (comme quoi on tourne toujours autour du christianisme bien-pensant), Absolution scande à son tour, à travers des nonnes polissonnes, que les hommes ne sont pas les seuls à succomber au péché de luxure. Bien plus qu'un Tomb Raider du même éditeur, Absolution scande la force de la femme. Tantôt force de caractère, avec cette Diana qui forcera par delà la mort notre tueur à gage à agir contre son premier commandement (« Tu Tueras Celui Qu'Il Te Sera Demandé »). Tantôt force physique et morale avec donc les affriolantes nones qui ne sont pas sans rappeler la figure de la Veuve Noire ou de la Mante Religieuse...religieuse oui. Le jeu n'est cependant pas réfléchi par contradiction. Clairement, le mot d'ordre a été de nouer l'histoire et les mécaniques ludiques.

 

Un gameplay d'une grande sensibilité.

L'effritement de la carapace de 47 va s'illustrer de manière subtile à travers le gameplay. Maintenant qu'il a une mission, maintenant qu'il ne travaille plus pour l'argent, la peur d'échouer le submerge et lui fait faire des erreurs. On le verra ainsi mettre la main devant le visage pour passer inaperçu, mécanique de jeu plutôt inefficace pour l'infiltration, mais diablement géniale pour illustrer les tourments intérieurs du personnage via des réflexes plus irréfléchis. Code 47 ne sait plus simplement se tenir droit et confiant lorsqu'il revêt une tenue. Après avoir raté le premier contrat de cet épisode, il provoque instantanément les regards. Cette nervosité apparente, son air suspect en somme rendra les déguisements inefficaces.

Mais c'est surtout la structure du jeu qui est littéralement mieux pensé. Auparavant on devait chercher quoi faire et où aller par nous-mêmes, les jeux étant basés sur l'idée assez puérile qu'on s'adonne aux jeux vidéo pour s'amuser. Ici les niveaux sont plus petits, et une jauge d'instinct nous permet de voir à travers les murs pour aller directement à l'essentiel. Loin d'être la copie mise en avant, cette vision n'est qu'une mise en avant graphique de la montée d'adrénaline, du rush sanguin que subit un être humain normal lors d'une mise sous pression. Parvenant ainsi à un état de stress particulier (représenté par la jauge d'instinct donc) cela lui permet une attention maximum et une forme de prémonition. Dommage de ne pas y avoir pensé dans les épisodes précédents, même si on imagine que le scénario n'avait jamais été porté autant 47 a ébullition.

En dévoilant ainsi les trajets des ennemis, en nous permettant d'identifier directement les cibles et les interactions, en trahissant en somme les ficelles du gameplay pour mieux se transcender, Absolution permet au joueur de se hisser au-dessus des mécaniques archaïques du jeu vidéo pour toucher directement à une expérience. En lieu et place du tâtonnement pénible des anciens épisodes, ici tout nous apparaît évident, comme pour 47, fluidifiant ainsi la fusion du joueur avec son avatar d'où découle naturellement une interaction emphatique constante entre le récepteur humain et le spectre virtuel.

 

La force dans les détails graphiques.

Au premier abord, on signale évidemment la qualité technique qui pouvait cependant être discutée par certains au niveau de l'utilisation du Lens Flare. À la lumière de ce qui a été souligné plus haut, je comprends mieux mon affection pour ce choix artistique. Car toujours dans l'optique de concevoir le jeu d'un bloc et non élément par élément sans conscience de ce que serait le tout, Absolution met en exergue le stress physique déjà illustré par les innovations de gameplay. La plupart des séquences très saturées et très porteuses de lumières vives correspondent à des moments de panique froide de la part de 47. La sueur finit inéluctablement par affecter le champ de vision du héros qui par conséquent déforme l'image envoyée au joueur, toujours dans l'optique d'une synthèse avatar/joueur. Car bien qu'en état de bouleversement intérieur, l'Agent 47 tente de demeurer un professionnel dans son attitude, même si son corps en décide autrement.

L'utilisation du Glacier 2 a aussi permis la présence de larges foules dans certains niveaux. Blood Money avait déjà pris le parti d'utiliser des rassemblements gigantesques mais n'y mettait qu'une forme de décors et pas de signification particulière. Absolution y ajoute quelques particularités. La mission de Chinatown montre bien à quel point l'homme en société moderne se désintéresse de ses congénères. Ainsi, il paraît logique que lors d'une agression d'un PNJ dans une ruelle basse de cette mission, l'auteur du crime, le joueur s'en sort sans réaction de la foule qui est pourtant à portée de vue. Dans la droite lignée de la pensée de Georg Simmel, cela est clairement une interprétation ludique (limitation de l'IA à un très court champ de vision) d'un phénomène très propre à la ville (je ne regarde pas le malheur des autres pour ne pas devenir fou). L'abstraction que la modernité et le capitalisme ont apporté aux sociétés représentées en grande ville. On notera cependant que seuls les personnes concernées réagissent : lorsque l'on se déguise en cuisinier, les autres cuisiniers peuvent nous voir et nous suivre à travers une foule compact, quitte à laisser leur stand pour pouvoir nous dénoncer, preuve encore que l'on est sensible qu'aux malheurs qui nous touchent personellement.

De plus, on notera qu'aucun enfant n'est affiché et ce pour une raison simple que soulignait Michel Foucault dans Surveiller et punir - la naissance des prisons : après 1789, le crime le plus grave est passé du régicide au paricide puis dans la modernité, à partir du XXème siècle, du parricide à l'infanticide. Si l'histoire nous conte les aventures d'un Code 47 réinventé et prêt à assumer sa part d'humanité, on ne pouvait décemment pas risquer de casser le lien entre avatar et joueur en permettant de tuer un enfant par erreur ou par sadisme et d'ainsi transformer le personnage sur la voie de la rédemption en monstre qu'il n'a jamais vraiment été. L'enfant a donc tout simplement été écarté de la foule pour que la représentation de celle-ci corresponde aux possibilités conscientes de l'Agent 47.

 

Hitman Absolution est la preuve que contrecarrer les lois du marché vidéoludique est possible, tout en concoctant un jeu certes qui n'apporte pas de plaisir mais qui colle aux canons des productions actuelles pour mieux les dénoncer. Si les Assassin's Creed ou les Batman Arkham se contentait d'user de la vision rayon-X pour des pures commodités de jouabilité, Hitman Absolution en justifie pleinement la présence par son histoire et son ambition de casser le quatrième mur. L'ensemble des points de design qui en font un jeu très compliqué à jouer sont pensés pour que le joueur ressente les doutes permanents de Code 47 qui paradoxalement renforce ses qualités d'interprétation des situations (il n'a plus besoin de carte puisqu'il voit à travers les murs) tout en le mettant dans un état de basculement potentiel permanent (la jauge d'instinct trop courte oblige à jouer dans la violence). C'est ainsi que la réinvention du tueur à gage par son propre créateur parvient le ramener au plus proche du joueur en brûlant ses ailes icariennes, l'empêchant de faire ce qu'il faisait toujours le mieux que le reste de l'humanité, cacher à la fois son identité (par le déguisement) et ses sentiments (par l'abstraction). Code 47 est enfin un homme et rien de plus.