En poussant le concept de monde ouvert, instauré par GTAIII, jusqu'aux limites de la PlayStation 2, Rockstar North avait définitivement mis à l'amende la concurrence qui commençait à pulluler. J'y reviendrais dans un article dédié, mais depuis GTAIII, le succès de la franchise poussait tous les gros éditeurs à tenter leur chance dans le domaine du GTA-like, faisant du monde ouvert même quand ça n'était pas nécessaire, ou qu'on ne l'attendait simplement pas. Avec l'arrivée de la nouvelle génération de console un an et demi après la sortie de GTA San Andreas, en décembre 2005 pour la Xbox360, les amateurs de GTA-like ne pouvait que prier pour que Rockstar North revienne en force avec plus, plus, plus et le plus tôt possible. Malgré un démarrage de développement qui a immédiatement suivi la sortie du dernier opus sur PlayStation 2, il aura fallut beaucoup de patience pour que l'on pose enfin les mains sur ce qui reste aujourd'hui mon jeu préféré, toutes époques et toutes consoles confondues. Le résultat a été une énorme surprise...pas forcément positive pour tout le monde.

 

GTAIV, un nouveau virage à négocier...

Une édition collector qui annonce la couleur: ce jeu est un hold-up. Reste à savoir de quel côté du canon se trouvent les joueurs.

Avec une nouvelle génération de consoles, les joueurs attendaient des choses précises sur la franchise GTA, et les jeux à monde ouvert d'une manière générale. Au delà même de l'aspect graphique plus beau et d'une suppression des bugs d'affichages qui handicapaient visuellement GTA San Andreas, l'imagination collectives des joueurs allait vers du plus grand, du plus de contenu et du plus de fun. Comme le montre Saints Row ou Just Cause, sortis au début de la Xbox360, certains éditeurs cherchaient clairement à prendre des parts de marché au roi GTA sur son propre territoire en jouant sur cette surenchère ; plus de débile et de provocation pour Saints Row et plus de liberté de mouvement et de véhicules pour Just Cause. L'envie des joueurs étaient là, mais la patte Rockstar restait inimitable et ces titres, qui ont tout de même donné des suites, n'ont jamais marqué comme San Andreas l'a fait. Il n'y avait que Rockstar North pour se battre sur son propre terrain.

Quand est venu le premier trailer de GTAIV, tous les fans ont été sur les fesses. Les deux raisons de cet engouement sont simples à trouver ; la beauté graphique et l'attente enfin récompensée. Pourtant, dès le premier trailer, l'ambiance n'est plus la même et cela aurait du mettre la puce à l'oreille de nombreux joueurs sur les intentions de Sam et Dan Houser sur cet épisode. Au lieu de pousser le jeu grâce à la technologie dans une orgie de plus, comme on s'y attendait, les développeurs écossais ont décidé de pousser le jeu au niveau de la narration, des thèmes abordés et de la cohérence...et cela au détriment du fun immédiat. Que l'on apprécie ou non le résultat, il faut admettre qu'on ne peut pas leur reprocher d'avoir changer de cap et d'avoir tenté autre chose.

 

L'ambiance a changé. On aurait du le sentir.

GTAIV prend le parti de nous faire jouer pour la première fois un héros immigré illégalement aux États-Unis et non d'origine américaine. C'est d'ailleurs très loin d'être anecdotique puisque l'ensemble de la trame va tourner autour de cela. Niko Bellic est un ancien soldat ayant vécu la guerre de Yougoslavie qui a éclaté le pays dans les années 1990. Lors d'une mission de reconnaissance, son équipe est tombée dans une embuscade ; ils étaient tous des enfants du même village et seuls trois d'entre eux en sont sortis vivants. L'un de ces survivants les a balancé. Huit ans plus tard et après des mois à lire les mails plein d'espoir de son cousin Roman établi à Liberty City, Niko décide de venir le rejoindre, prétextant vouloir vivre le rêve américain. En réalité son intention est de retrouver l'un des deux autres survivants qu'il sait présent à Liberty City de source sûre.

Dans la peau du premier personnage principal étranger aux États-Unis, on va assisté à un démarrage loin du glamour de Vice City et de ses couleurs saturée.

Le héros de GTAIV, comme celui de GTA San Andreas, n'est pas un mauvais garçon fini. Dès le premier trailer, il montre un espoir de rédemption, un thème qui décidément devient de plus en plus cher à Rockstar North. Dès le début du titre, pourtant, Niko ne peut s'empêcher de jouer seulement les gros bras, ne sachant pas très bien quoi faire d'autre pour aider son cousin qui l'a tout simplement bluffé en lui faisant croire à la vie de château. Le prétexte aux missions violentes et peu discrètes est assez bien trouvé, mais il reste étrange de constater que Niko agit la plupart du temps en presque impunité alors que son profil d'immigrant illégal devrait le placer dans une position de vigilance.

Le jeu fait pourtant un lourd travail pour que le joueur, en dehors de la narration par cinématique, ne fasse pas n'importe quoi, l'explosivité et le delirium tremens de GTA :SA ne collant pas tout à fait à ce qui veut être raconté. Déjà graphiquement le jeu se veut plus photo-réaliste. Certes, les personnages gardent un aspect un peu cartoon, mais en terme de textures, d'effets météorologiques, d'explosions et de lumières globales, on est loin des aplats et de la simplicité du reste de la série. Le moteur physique associé à la gestion du poids des corps par Euphoria (un système d'animations procédurales) font que les voitures ont une conduite nettement moins arcade et plus crédible, sans pour autant aller dans le réalisme d'un Gran Turismo. Surtout, renverser un piéton donne une vraie réponse visuelle et sonore qui poussera peut-être à moins de sauvagerie, tant le rebond des personnages et les traces de sang sur les pare-chocs commencent à être tangible. Personnellement, c'est dans GTAIV que j'ai commencé à suivre plus ou moins le code de la route pour éviter les accidents graves quand ce n'était pas explicitement demandé par le scénario.

Le comportement de Niko est toujours à double tranchant. Il peut être extrêmement violent (le jeu permettant certaines exécutions de ce genre) mais fait toujours les choses dans le but premier d'aider quelqu'un ou de parvenir à la vérité...d'ailleurs un bon 50% des missions accomplies dans la trame principale le sont pour le gouvernement fédéral américain qui voit en lui un bras armé qu'ils n'ont pas à justifier officiellement.


Cette fois-ci, New York n'est plus juste l'insipration, mais l'acteur qui incarne Liberty City. Je vous enjoins de ce pas à lire (quand vous aurez fini ça quand même) cet article de Cronos à son sujet.

Au delà de cet aspect plus réaliste (toujours relativement à ce que GTA avait fait jusque là) on note que le jeu se veut ancré dans les problèmes sociaux actuels des États-Unis et notamment à l'époque de sa sortie, dans le marasme politique de la guerre anti-terroriste américaine. On peut signaler au passage qu'au début du jeu, si personne ne peut traverser le pont entre Broker et Algonquin, c'est à cause de barrages de police qui guettent d'éventuelles attaques terroristes, venu de la population pauvre. C'est aussi ce qui explique que l'on ne pourra accéder à aucun avion en tant que pilote, ni même s'approcher du tarmac de l'aéroport sans subir un harcèlement complet de la part des autorités et ce du début à la fin du jeu. Dans l'ensemble, le titre perd d'ailleurs beaucoup de véhicules comme les tracteurs, aéroglisseurs, monster-truck et même les vélos pour se restreindre aux voitures plus mainstream, aux motos, aux hélicoptères et aux bateaux. Dans les véhicules, on compte par exemple un modèle pris sur la Totyota Prius, la première voiture hybrid commercialisée en masse qui fait l'objet d'un sérieux tacle sur l'internet du jeu.

La Dilletante face à la Prius. L'occasion de vanner les pseudo-écologistes. Au passage la conduite des voitures est parfaites: ni trop arcade, ni trop simulation.

L'aéroport ne sera pas visité très souvent et pour cause, son accès est prohibé par la loi. De même les armes ne sont plus en vente libre dans Liberty City (tout comme à New York) par conséquent, elles se vendent sous le manteau ou à des adresses d'initiés.

Ce nouveau penchant pour si ce n'est le réalisme, au moins la cohérence a mis le joueur dans une position inédite, en parfaite adéquation avec son avatar. Le joueur, comme Niko, attendait le rêve américain. Une nouvelle génération de console avec plus de graphismes, plus de contenu, plus de fun. Le joueur, comme Niko, a pu se sentir trahit par son imagination, ou par ses attentes envers Rockstar North. Car finalement, joué comme les trois précédents opus, à coup de missions sauvages, de tentative de destructions de propriétés publics et de massacre sans foi ni loi, le jeu est le moins bon des GTA. Il est temps d'expliquer maintenant pourquoi ce retournement de veste est, de mon point de vu, l'une des plus belles réussite de cette génération de console.

 

La force du role-play

 

Le jeu n'a rien de surévalué (pour moi toujours). Ceux qui ne l'ont pas apprécié, à supposer qu'ils n'aient rien contre les mondes ouverts à la base, ont probablement souffert de vouloir l'exploiter comme son prédécesseur. C'est parfaitement compréhensible. Clairement sur ce terrain là, il ne fait pas le poids, ne serait-ce que parce que les diversités de situations et de la map sont absentes ou réduites à leur expression la plus simple : celle du début du concept et de GTAIII. Seulement si GTAIV pêche par son manque de fun immédiat, d'humour par le gameplay débridé à l'extrême, il gagne très largement sur le propos, l'humour noir et bien plus subtil, et surtout par le role-play juste surpuissant.

Ce que j'entends par role-play, ce n'est pas la statistique, le système de combat ou les short asymétriques et autres coiffures blondes platines sur adolescents insupportables, si chers à notre Liehd national. Quand je parle de rôle play, je parle d'éléments de gameplay qui sont là dans le double but d'apporter du fun en terme de gameplay mais aussi d'immerger le joueur dans le monde créé. Encore une fois, je ne vais pas défendre le fun des minijeux de cet épisode de Grand Theft Auto. Le bowling, le billard ou les fléchettes sont assez sympathiques mais sont très vites lourds par leur facilité, là où le poker de Red Dead Redemption, quelques années plus tard m'aura captivé beaucoup plus de temps. En revanche, et c'est une quasi-première (avec Shenmue) qui n'a pas été renouvelée dans aucun autre jeu à ma connaissance, chaque à-côté de GTAIV a un rôle à jouer pour que le joueur se sente la réalité de l'Amérique dans laquelle il doit évoluer et se sente plus proche des personnages qu'il va rencontrer.

Ceux qui ont pris le temps d'allumer la télévision, de perdre des minutes entières dans cette étrange mise en abyme (regarder la télé dans un jeu vidéo) sauront que Liberty City n'est pas juste un décors pour les actions du personnages. Liberty City a une histoire passée, racontée dans un hilarant documentaire parodiant grassement l'arrivée des colons européens en terre « native américaine ». Ils sauront qu'elle est le théâtre de nombreux show télévisés et de téléréalités où les plus riches exposent leur argent à la vue des plus pauvres ; le contraste est d'autant plus flagrant quand on regarde cette émission depuis le premier appartement miteux dans lequel vivent Niko et Roman et qu'on est bloqué du côté défavorisé de la ville. Ils sauront aussi que deux comiques se produisent à la salle de spectacle d'Algonquin, spectacles que l'ont pourra aller voir par la suite accompagné d'un ami ou d'une conquête.

Que ça soit des personnages rencontrés dans le jeu, ou des demoiselles rencontrées sur le net...

...on peut aller voir Ricky Gervais sur scène dans GTAIV.

C'est là que le jeu réussi son pari si on se donne la peine d'exploiter cela correctement. Les spectacles de Ricky Gervais, le bowling, le billard, les restaurants, les bars...tous ces points de rencontre seront autant d'occasions de se déplacer et de discuter avec les personnages du jeu. Cela permettra de connaître la ville sur le bout des doigts et surtout d'en apprendre bien plus sur les personnages que la trame principale, pourtant riche en rencontres, ne peut nous en dire. Pour être honnête, ma première partie de GTAIV ne m'a pas franchement convaincu de l'utilité du téléphone portable ou d'internet dans le jeu. Je trouvais cela aussi annexe et illusoire que la possibilité de grossir ou de faire du sport dans GTA :SA. Tout juste était-ce amusant par les multiples clins-d'œil. J'ai vécu le jeu en prenant mon temps, en loupant parfois certaines connexions entre les personnages parce qu'entre deux missions scénarisées, je faisais autre chose et que cela a tendance à diluer quelque peu le propos. En revanche, j'étais extrêmement attaché à Roman qui est le personnage que l'on côtoie le plus, quoi que l'on fasse. J'ai adoré l'histoire de Niko et son ascension ; j'ai adoré le seul embranchement scénaristique, mais globalement, j'avais surtout apprécié le tournant plus réaliste. Après mon second run, j'ai commencé à aimer le jeu pour la profondeur de ce qu'il offre. Le contenu est toujours là, il n'est juste pas le même qu'avant. GTASA se jouait à l'infini, GTAIV se vit tout simplement.

Le téléphone et Internet dans le quotidien du personnage par exemple sont vraiment les plus brillantes des inventions du titre et je pèse mes mots. En permanence, il est possible de contacter Roman, Brucie, Kate, Francis etc...des personnage que l'on voit lors des cinématiques et que l'on assiste en mission. Ce qui est malheureux, c'est que malgré la qualité des cinématiques, toujours merveilleusement mise en scène et aux dialogues bien écrits, la plupart d'entre eux semblent caricaturaux. En ne jouant pas le jeu de l'amitié virtuelle, on se coupe de personnages qui ont pourtant beaucoup de choses à dire. Je prendrais évidemment l'exemple de Kate McReary, seule fille dans une famille irlandaise où tous ses frères sont des escrocs, Francis le policier y compris. La Kate que l'on voit dans les cinématiques est réservée, parle peu et se fait sans cesse interrompre par Patrick qui est le personnage que l'on vient voir à la base. Pourtant dès qu'on l'emmène en balade, qu'on l'amène surtout boire un coup, elle nous raconte plein de détails sur la famille McReary, détails qui ne seront jamais dévoilés par aucun de ses frères.

Je reviens toujours à Kate et Niko pour une raison, c'est l'une des rares histoires d'amour qui ne passe pas par de l'explicite, ni dans le texte, ni dans les actes et qui pourtant est bien là. Kate est la seule femme que l'on peut inviter à sortir mais qui dira toujours "non" aux avances. Et pourtant...

La contrepartie de cela, c'est le côté pléthorique et systématique de la chose qui aura bloqué la plupart des amateurs des premiers GTA (comme j'ai pu l'être) à vraiment se servir de cela. La seule raison valable pour beaucoup de joueurs aura été le fait d'être récompensé par un bonus. Typiquement en faisant de Patrick un ami proche (en mettant l'amitié à 100% dans les statistiques) on débloque la possibilité de piéger les voitures. Le fait qu'il y ait une récompense en terme de gameplay cache presque la vraie utilité en terme scénaristique et d'immersion pour le titre. C'est bien dommage.

 

Je pourrais m'étendre pendant des heures sur Grand Theft Auto IV. Pour vous parler de la radio et de ses débats surréalistes autour du système de santé étasunien. Pour vous évoquer les courses-poursuites prenantes comme jamais grâce à la nouvelle physique des voitures. Pour vous parler aussi du système de visée qui a été grandement amélioré et est enfin devenu jouable, faute d'être assez mou en comparaison des shooters nombreux de cette génération. Pour vous parler les millions d'easter eggs qui se trouvent sur internet et qui évoquent toujours de manière humoristique assez fine, les spams vers de sites pornographiques, la vente de viagra et de médicaments online ou les « religions » comme la scientologie. Pour vous parler encore de cette sonnerie de portable tirée d'un générique pastiche des Experts Miami. Pour vous parler plus des rencontres que 90% des joueurs n'auront jamais faites avec, par exemple, une avocate spécialisée dans le droit des immigrés qui vous enlèvera toutes vos étoiles de recherche d'un coup de fil et vous harcèlera avec des SMS coquins.[MàJ: ou pour parler du multijoueur en ligne absolument bordélique et hilarant] Je pourrais m'étendre encore des heures...mais ça ne sert plus à rien parce que à ce stade, j'ai donné la plupart des raisons qui font que GTAIV est mon jeu préféré à l'heure actuelle. Il n'est pas dans la suite logique de ses prédécesseurs, ludiquement parlant. Il a ses défauts comme une histoire certes intéressantes quant au personnage principal, mais qui s'éparpille un peu trop. Mais il est tellement profond en terme de narration vidéoludique et parle de chose qu'aucun autre jeu vidéo ne veut aborder, le tout en restant fun, drôle et superbe graphiquement que j'ai fini par me résoudre à n'attendre que sa suite pour me faire le décrocher de la première place. Un jeu d'exception, toujours provocateur sur les bords, mais à des années lumières en terme de propos de ses ancêtre sur Psone. La violence n'est plus le moteur du jeu, mais une mécanique propre au personnage à son passé et à ses rencontres qu'il essaye de fuir tant bien que mal, en se liant aux bons (le ''FIB'') comme aux mauvais (toutes les pègres et vendeurs de drogues possibles). J'ai grandi avec GTA, et je suis heureux que GTA ait grandi avec moi. Mon chef-d'œuvre absolu, mon rêve américain en terme de jeu vidéo (et l'un des articles les plus tendus que j'ai jamais écrit).