Foot français: Les dirigeants veulent moins de noirs et d'arabes

Moins de noirs et moins d'arabes sur les terrains de foot ! Plusieurs dirigeants de la Direction technique nationale de la Fédération française de football, dont le sélectionneur des Bleus, Laurent Blanc, ont approuvé dans le plus grand secret, fin 2010, le principe de quotas discriminatoires officieux dans les centres de formation et les écoles de foot du pays. Objectif: limiter le nombre de joueurs français de type africains et nord-africains. Notre enquête.

C'est avec ce titre, cette image et cette accroche tout en raccourcis que Médiapart publie son article du Vendredi 29 avril. Voici donc la genèse de "l'affaire des quotas et de la discrimination à la FFF". Un jour et un millier d'articles plus tard, l'histoire continue de faire la une des médias et tourne en boucle sur les chaines d'informations suite à la publication, dans un nouvel article de Mediapart, du verbatim d'une réunion du 8 novembre 2010 censé prouver les affirmations du premier article (alors démenties par les personnes incriminées):

Erick Mombaerts: François, ça mérite quand même qu'on débatte, ne serait-ce que trois minutes. Tu as évoqué les
statistiques sur les derniers résultats de l'Institut national du
football : 4 internationaux A français, 26 internationaux étrangers.
20 ou 26....

Laurent Blanc: Ça, ça me choque.

Erick Mombaerts: Ça nous choque.

Laurent Blanc: Plus qu'autre chose.

Erick Mombaerts: Est-ce qu'on s'attelle au problème et on limite
l'entrée du nombre de gamins qui peuvent changer de nationalité? Oui?
Non? Donc, auquel cas, on est obligé de le faire sous le coude.
C'est-à-dire on est obligé de le faire... Mais est-ce qu'il faut le
faire. Je pense que tout le monde doit être concerné, là. Laurent,
qu'est-ce que t'en penses?

Laurent Blanc: Moi j'y suis tout à fait favorable. Sincèrement, ça
me dérange beaucoup. Ce qui se passe dans le football actuellement, ça
me dérange beaucoup. A mon avis, il faut essayer de l'éradiquer. Et ça
n'a aucune connotation raciste ou quoi que ce soit. Quand les gens portent les maillots de l'équipe nationale des 16 ans, 17 ans, 18 ans, 19 ans, 20
ans, Espoirs, et qu'après ils vont aller jouer dans des équipes
nord-africaines ou africaines, ça me dérange énormément. Ça, il faut
quand même le limiter. Je dis pas qu'on va l'éradiquer mais le limiter
dans ces pôles-là...

Erick Mombaerts: Donc il faut 30%? Un tiers de gamins qui peuvent changer?

François Blaquart: Même pas.

Erick Mombaerts: Même pas ?

François Blaquart: Même pas. Faut faire un projet. Moi, j'ai dit à
Gérard qu'on allait se voir pour le concours et qu'on limite. Qu'on soit beaucoup plus pertinent dans
l'approche, y compris l'évaluation sur l'état d'esprit et ainsi de
suite. Je dirais qu'on a des moyens pour le faire. Avec des 12 ans, on
s'est aperçu que c'était plus difficile qu'avec des 15... Surtout, qu'on se donne quelques garanties! L'idéal effectivement, c'est de dire, mais pas officiellement: de toute façon on ne prend pas plus de tant de
gamins qui sont susceptibles de changer à terme.

Laurent Blanc: Ou alors tu les fais passer par des critères
différents de sélection. Il n'y a qu'à voir les centres de formation.
Même le pôle Paris. Tu vois toujours les mêmes gens parce qu'ils
répondent toujours aux mêmes critères de sélection.

François Blaquart: On peut baliser, en non-dit, sur une espèce de
quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit. Ça reste vraiment que de
l'action propre. Bon voilà, on fait attention. On a les listes, à un
moment donné...

Erick Mombaerts: Il faut qu'on s'attaque au problème, quand même!

Laurent Blanc: Moi c'est pas les gens de couleur qui me posent un
problème. C'est pas les gens de couleur, c'est pas les gens
nord-africains. Moi j'ai aucun problème avec eux. Mais le problème,
c'est que ces gens-là doivent se déterminer et essayer qu'on les aide à
se déterminer. S'il n'y a - et je parle crûment - que des blacks dans
les pôles et que ces blacks-là se sentent français et
veulent jouer en équipe de France, cela me va très bien.

Erick Mombaerts: Mais ça, on ne peut pas savoir à 13 ans, quand ils rentrent dans nos structures. On ne peut pas savoir. Ils vont te dire
qu'ils se sentent français.

Laurent Blanc: Tu peux les aider à s'identifier...

François Blaquart: Il faut identifier. Parce que bon, c'est pas la
couleur qui fait... Il y a des gens qui sont, de toutes façons et
fondamentalement, de souche française.

Laurent Blanc: Mais bien sûr. Aussi français que toi et moi.

François Blaquart: Et puis la deuxième chose, je rejoins ce que dit Laurent: sur l'état d'esprit, il faut effectivement gratter un peu...

Erick Mombaerts: Oui, enfin ça va pas être simple. Je crois qu'il
vaut mieux s'auto-limiter. Il y a bien des clubs comme Lyon qui le font dans leur centre de formation. Ils le font
systématiquement. J'étais à Marseille là. Et Henri Stambouli le met en place sur Marseille.
Pareil, ils vont limiter le nombre. Voilà. Les clubs, ça y est, ils sont en train de réfléchir. Et ils vont le mettre en place aussi. Ils le
supportent plus

Francis Smerecki: J'entends bien, mais si on enlève tous ces
gens-là ? ! Si le mec a envie d'être international, c'est quand même
normal qu'il aille vers un pays où il va pouvoir jouer. Je pense que
c'est humain quand même. T'as été joueur de très haut niveau, Laurent.
Si tu n'avais pas pu jouer en équipe de France...

Laurent Blanc: J'aurais pas demandé à jouer ailleurs. C'est aussi simple que ça.

Francis Smerecki: Non mais y en a. Et on peut reconnaître que c'est humain de vouloir jouer.

Laurent Blanc: Je le reconnais. Mais il ne faut pas que ce soit
tous les joueurs qui puissent faire ça. Parce que tous les blacks, si tu enlèves les Antillais, ils ont des origines africaines. Donc,
africaines, ils vont pouvoir aller dans une équipe africaine.

Francis Smerecki: Les Polonais, quand on est arrivé, on était
blanc, et puis la France a eu cette influence polonaise. Et puis ça nous a quand même servis. Aujourd'hui, les règlements ont évolué. Les blacks aujourd'hui, parce que ça a été l'Afrique, et on est fautifs quand même parce qu'on a été les chercher quelque part par wagons entiers. Et
aujourd'hui, on voudrait s'en séparer?

Laurent Blanc: J'ai pas dit s'en séparer.

Francis Smerecki: Ben si, quelque part, puisque certains avancent
le nombre de 30%. C'est qu'on veut s'en séparer, d'une manière ou d'une
autre. Il faut être concret. Le deuxième point, c'est que si tous ces
gens-là, blacks ou beurs, ou autres, on les enlève, est-ce qu'il va nous rester une division?

Erick Mombaerts: On ne veut pas les enlever! Les clubs pros, ils
peuvent les prendre. Ils se répartissent! Là on parle des structures
fédérales. Nous on travaille pour le football français, on ne travaille
pas pour les sélections étrangères.

Francis Smerecki: Et en même temps que tu travailles pour le
football français, tu travailles pour l'équipe de France et aussi pour
les clubs. Le football français, c'est pas que l'équipe de France! Mais
aujourd'hui, ceux-là, si on les enlève... je sais pas si on a une division.

Laurent Blanc: Tu retournes l'argument!

Erick Mombaerts: Mais on veut pas les enlever. Ils vont dans les sections sportives élites.

Francis Smerecki: Je ne retourne pas l'argument. Je dis: première
chose, c'est discriminatoire. Et si on enlève la totalité des gens qui
peuvent choisir, pour une autre sélection
éventuellement, je ne sais pas si on a une division. Parce que quelque
part, même s'ils vont jouer dans un autre pays, il y a des clubs de
Ligue 2 qui vivent avec ces joueurs-là.

(... un des participants rappelle qu'il y a "300 joueurs français"
formés dans l'Hexagone qui jouent dans des clubs étrangers. Laurent
Blanc revient, insistant, sur les critères de selection des jeunes...)

Laurent Blanc: Là, on parle d'enfants de 12 ans, 13 ans ou 14 ans.

Francis Smerecki: Tu peux pas dire à des gens de troisième
génération, qui sont nés sur notre sol... Un gamin qui va jouer, je sais pas, pour la Libye ou pour la Guinée, s'il a le choix, si tu le prends, il va aller avec toi, Laurent. Il ne va pas aller là-bas.

Erick Mombaerts: S'il te plaît. Moi je vais prendre le problème à
l'envers. Quand on parle des structures, c'est aussi la place qu'ils
prennent. Moi ce qui m'intéresse c'est que le jeune qui va jouer pour
l'équipe de France puisse être en équipe de France de jeunes.

Francis Smerecki: Ecoute, moi, ce qui me gêne sur le fond, c'est
(qu'il y a) celui qui a la possibilité d'être français-français et
d'aller avec Laurent, et celui, parce qu'il n'a pas assez d'aptitudes et de talent pour aller avec Laurent et qui va aller dans un autre pays,
et c'est celui-là que vous voudriez éliminer. C'est impossible.

François Blaquart: C'est pas forcément l'éliminer.

Francis Smerecki: Le limiter? Ça veut dire que vous allez garder lesquels? Les blancs? Les moins bons?

Erick Mombaerts: Ça ne te choque pas que l'INF ait sorti quatre internationaux français et 26 internationaux étrangers? Est-ce qu'on peut pas basculer un petit peu. Basculer.

Francis Smerecki: Attends, vous allez pas prendre "Dédé" pour plus
con qu'il l'est. Les bons jeunes blancs, s'il avait eu un jeune
talentueux blanc, il aurait pris, non?

(... près d'une heure plus tard, le sélectionneur des Bleus reprend la parole pour relancer le débat sur ces thèmes...).

Laurent Blanc: On veut pas éliminer les étrangers, pas du tout,
mais faire en sorte que les pôles Espoirs ou les pôles de la DTN testent sur des critères mieux définis pour pouvoir attirer d'autres personnes, parce que si on a toujours les mêmes critères, y aura toujours les
mêmes personnes. Et plus ça va, plus ça va être encore davantage. Parce
que je suis sur les terrains tous les samedis, je vois quelques centres
de formation: on a l'impression qu'on forme vraiment le même prototype
de joueurs: grands, costauds, puissants. Qu'est-ce qu'il y a
actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les blacks. Et c'est
comme ça. C'est un fait actuel. Dieu sait que dans les centres de
formation, dans les écoles de football, ben y en a beaucoup. Je crois
qu'il faut recentrer, surtout pour des garçons de 13-14 ans, 12-13 ans,
avoir d'autres critères, modifiés avec notre propre culture. Je vais
vous citer les Espagnols: ils n'ont pas ces problèmes-là. Ils ont des
critères de jeu qui sont très précis, à 12-13 ans.

Erick Mombaerts: C'est ça le projet.

Laurent Blanc: Avec notre culture, notre histoire, etc. Les
Espagnols, ils m'ont dit: "Nous, on n'a pas de problème. Nous, des
blacks, on n'en a pas."

Erick Mombaerts: Mais Laurent, le phénomène que tu évoques, c'est
tellement ancré chez nous que les petits gabarits blancs qui sont dans
les pôles Espoirs, les clubs pro me les laissent sur les bras. Ils ne
les prennent pas, n'importe comment, même si c'est des bons joueurs!

Laurent Blanc: Les clubs ils auront toujours leurs critères de
sélection. Ça tu pourras pas... Même si en formant des éducateurs, tu
vas pouvoir peut-être à la longue changer un petit peu les choses, ou
influencer un peu. Mais c'est surtout dans les pôles qu'il faut avoir
ces critères-là. Un participant sort de ses gonds et rappelle qu'un bon
joueur est efficace quelle que soit sa couleur de peau, rouge ou
blanche, sa taille, grande ou petite.

Laurent Blanc: Oui, mais en ce moment tu n'as pas le choix puisque
tu as toujours le même stéréotype de joueurs, tu exagères. Je vois les
centres de formation, je les vois de Bordeaux, des cités, et tu as
toujours le même stéréotype de joueurs, je suis désolé ! Tu vas aller au centre de formation de Bordeaux, tu vas prendre les joueurs, mais des
petits bons joueurs, tu n'en auras pas. Donc il faut inciter.

Erick Mombaerts: Est-ce qu'on peut essayer de proposer avant la fin de l'année un projet, quelque chose de différent, bon pas
fondamentalement différent, mais qui va être force de projet. Dire:
voilà on va s'attaquer à ça. Bon, on a compris aussi qu'on a besoin
d'ouverture, de proposer quelque chose et qu'on peut s'attaquer à
quelques croyances bien établies, notamment le jeu, hein, le jeu, au
détriment peut-être de l'individu. Mais le jeu, forcément, ça va être d'intégrer d'autres types de joueurs. Parce que le jeu, c'est l'intelligence, donc c'est d'autres types de joueurs. Donc tout est lié, tout est lié!

Pour la ministre des Sports, Chantal Jouanno, "l'affaire est grave", suffisamment pour suspendre immédiatement François Blaquart, le directeur technique national (DTN) de la FFF (qu'elle avait elle-même nommé), en attendant les conclusions des enquêtes menées par la FFF et par l'IGJS (Inspection générale de la jeunesse et des sports). Opportuniste, comme le chante si bien Dutronc dans sa chanson, Chantal Jouanno sera alors toujours à temps de modifier son discours. Dans l'intervalle, c'est autant de temps et d'espace en moins dans les médias pour commenter le fiasco de la politique gouvernementale.

Toujours est-il qu'à la lecture de ce verbatim, le titre et l'accroche du premier article de Médiapart énervent tant ils s'apparentent à un raisonnement sophiste comme le démontre très bien Daniel Schneidermann dans son article daté du Samedi 30 Avril: Racisme : les dirigeants du foot français condamnés sans preuves. Reste que Médiapart a réussi son coup en créant le Buzz et il est plus que regrettable que le site d'information s'en soit réduit à un titre fallacieux afin d'assurer ce Buzz comme il est tout aussi regrettable qu'une grande partie la presse ait emboité le pas sans y voir à redire. D'autant, que la proposition (à priori) discriminatoire retranscrite dans le verbatim suffisait certainement, en elle-même, à susciter l'intérêt de l'opinion.