C'est une pratique aussi ancienne que le jeu vidéo. Celle dénoncée à tort comme une calamité menaçant le prix d'équilibre du marché des loisirs interactifs, lui-même tiré vers le haut par des coûts de développement exorbitants. Voire même assimilée à tort au fléau du piratage pour mieux crever l'abcès... Et vous autant que moi lecteurs avons succombé plus d'une fois à la tentation. Les appellations ne manquent pas pour qualifier ce comportement de consommation décrié : marché de l'occasion, de seconde main, parallèle, gris, etc.
 
Au gré des conjonctures économiques défavorables et de l'air du temps, les éditeurs et constructeurs ont chantonné d'une même voix auprès des régulateurs étatiques de toutes les régions du monde afin de minimiser sinon d'interdire ce florissant marché leur échappant. C'était vrai dans les années 70 et plus encore à la fin de la décennie 80 pendant laquelle la mention "not for resale" avait été arrachée aux organisations de tutelle après un long bras de fer. Après un statu quo favorable aux joueurs ainsi qu'aux chaînes de distribution indépendantes qui réalisent de confortables marges bénéficiaires, certains studios de création ont cherché à contourner intelligemment le "problème" de cette "fuite de capitaux". Ce fut le cas de Rareware. Ne cachant pas son malaise face aux mesures coercitives venant des acteurs de l'édition, le prolifique studio britannique avait proposé des solutions consensuelles afin de dissuader le joueur de revendre son jeu dans la boutique de son quartier.
 
Lors du développement de Banjo-Kazzoie sur Nintendo 64, il était question de relier ce titre à sa suite Banjo-Tooie. Appelée Stop n' Swop, l'astuce héritée nativement de son avancement sur le DD64 consistait à intervertir les deux cartouches dans le but de débloquer des items inédits. Le périphérique avorté avait cependant tué dans l'oeuf cette judicieuse initiative pour en définitive se transformer en légende urbaine.
 
Avec l'avènement de la génération HD, l'Internet est devenu une composante complémentaire au confort de jeu. Contenu additionnel téléchargeable (CAT) et jeux en ligne se sont développés en marge de l'offre de base. La mauvaise réputation du CAT consécutives aux mauvaises pratiques sous-jacentes des rois de l'édition n'ont pas habilité les éditeurs à explorer cette voie défrichée par entre autres, Rare. De même, le surcoût de l'option multijoueur répercuté sur le prix de vente des jeux neufs n'a pas permis aux yeux de certains éditeurs de couvrir l'ensemble des frais (serveur, bande passante...). À l'initiative d'Electronic Arts, un droit d'entrée obligatoire fut imposé aux joueurs identifiés comme propriétaire d'un jeu de seconde main. Malgré son impopularité, le pass online repose sur une logique économique légitime d'après le numéro deux mondial de l'édition. L'acquisition non officielle des jeux pour un prix inférieur à ceux du marché alors que le service en ligne est identique à tout un chacun grève le retour sur investissement attendu par EA. Cette "taxe" supplémentaire ne ferait que corriger ce déséquilibre. Identique constat chez Ubisoft avec son dispositif Uplay Passport
 
L'abandon surprise de ce DRM au prétexte qu'elle se soit avérée ingrate pour les joueurs n'était en fait qu'un repli tactique.
 
Le rendez-vous de juin dernier qui devait consacrer la Xbox One a tourné à la débâcle. Se substituant aux procédés disparates des éditeurs, le dispositif d'encadrement de la circulation des jeux d'occasion proposé par Microsoft a déclenché l'ire des joueurs tandis que Sony jouait la carte du parfait démagogue. Le géant de l'informatique devenait en quelques minutes un épouvantail, lâché par ses plus fidèles lieutenants. EA en tête : "les jeux de seconde main représentent un pan économique non négligeable de notre industrie. Dans l'esprit du consommateur, le coût de reprise s'inscrit dans l'acte d'achat d'un jeu neuf" justifiait quelques jours plus tard, le responsable du pôle financier d'EA Blake Jorgensen à l'occasion d'une conférence accordée aux investisseurs. Le rétropédalage de Microsoft ne dit pas mieux.
 
peu de temps avant cette mise en scène médiatique, Sony déposait un brevet
délimitant le périmètre de commerce des jeux d'occasion
 
Activision muré dans un silence coupable a depuis encouragé du bout des lèvres ce système d'échange en épaulant la montée en gamme d'achat de CoD Ghost sur x360 moyennant 10 euros supplémentaires pour l'acquisition de la version Xbox One. Celui-ci s'est finalement généralisé à d'autres éditeurs, mais de manière ponctuelle.
 
Ce que les constructeurs comme éditeurs ont refusé de voir depuis si longtemps, c'est l'effet levier de la revente de jeux vidéo. Cette manne financière échappant aux acteurs de l'édition dans un premier temps est réinjectée dans le circuit économique officiel. En définitive, tout le monde y trouve son compte. Casser cet équilibre économique, c'est remettre en cause la dynamique de cette industrie, elle-même fragilisée par la crise ainsi que la mutation en profondeur de son mode de fonctionnement.