Yohei Kataoka est un pur produit PlayStation. Il a fait ses gammes sur le programme Net Yaroze destiné aux développeurs en herbe animés d'une furieuse envie d'embrasser ce métier. Depuis, il ne quitte plus Sony (ou presque) et s'est même spécialisé dans la réalisation de jeux décalés à l'image de Tokyo Jungle. Cette production chaperonnée par le PlayStation CAMP en collaboration avec le propre studio du créatif Crispy's, donne le la à une toute nouvelle gamme de jeux proche des concepts inventifs de la scène indépendante, mais redimensionnée grâce aux moyens financiers du géant de l'électronique. Pour Famitsu, il s'est penché sur son éveil vidéoludique ainsi que les dangers de la mondialisation.
 
 
Comme tout expatrié, Kataoka ne possède pas la langue du pays d'accueil : "j'ai vécu à Boston, aux États-Unis. Je me débrouillais mal en anglais si bien que j'ai éprouvé des difficultés à m'entendre avec les gamins du quartier". Une barrière linguistique qu'une console légendaire allait rapidement gommer : "je voulais une NES lorsque j'avais trois ans ou plus [...] j'avais répondu à l'invitation d'une réception organisée par la famille d'un de mes camarades propriétaire d'une NES. Il possédait Super Mario Bros et Duck Hunt. Il y avait des canards à l'écran. Il fallait utiliser un pistolet pour tirer sur tout ce qui bougeait". Cette expérience ajoutée à celle de SMB a définitivement scellé sa passion pour le média : "cette image à l'écran évoluait comme par enchantement, elle se pliait à ma volonté. J'ai été très impressionné, c'est comme si le monde avait une saveur différente après cette expérimentation".
 
L'excitation n'étant pas retombée, Kataoka pressait ses parents de lui acheter cette machine à rêve. Il eut en tout et pour tout "une Gameboy accompagnée de Tétris. Mais quand vous êtes un gamin âgé de quatre à peine, ce jeu n'a que peu d'intérêt pour vous, non ?". Dans un premier temps, son père ne céda pas à ses caprices "je voulais Super Mario Land, mais mon père refusa au motif que la console était livrée avec Tétris. Je me suis mis à pleurer dans le magasin". Sa mère "exaspérée" fit plier l'intransigeance du mari : "je ne jouais plus qu'à Mario [...] ma grand-mère s'était éprise de Tétris". Il aborde ensuite des sujets moins personnels.
 
 
Est-ce une pique adressée à Keiji Inafune qui exhorte ses homologues japonais à dépasser leur centrisme culturel pour embrasser aveuglément la mondialisation ? Toujours est-il que Kataoka prêche la thèse inverse : "je pense qu'à l'avenir, le style et la spécificité régionale des créatifs seront déterminants." Selon lui, la généralisation des plates-formes e-commerce à vocation transfrontalières des fabricants (Sony, Apple...) et autres géants des logiciels (Google...) aide à l'expansion du marché du jeu vidéo, en évitant le danger de son uniformisation. Les particularismes culturels régionaux deviendront donc "précieux" à ses yeux, suffisamment pour identifier la provenance territoriale d'un jeu : "je voudrais que l'on dise << seulement un pays est capable de réaliser un titre de cette trempe >>".
 
Son bref passage aux États-Unis n'a nullement contrarié cette revendication d'être profondément habité par la culture de son pays natal : "j'ai été élevé au Japon comme un japonais". Et quand bien même la taille du marché nord-américain suscite la convoitise de tous les créatifs originaires de son pays, elle n'exige en rien l'abandon de ses racines identitaires pour plaire aux goûts étrangers : "bien au contraire, je pense que je peux mettre à profit mes spécificités nationales afin de donner de l'originalité à mes productions."
 
Les sensations provoquées par Super Mario et Duck ne l'ont jamais quittées et sont mêmes devenues le moteur de sa motivation : "je cherche à bousculer les joueurs comme je l'ai été à mon enfance [...] je souhaite créer de la valeur ajoutée afin d'être en mesure d'apporter de nouveaux concepts".